Je suis très heureux que nous abordions la discussion de ce projet de loi en commission des affaires économiques, dont nous avons déjà très longuement discuté hier en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
La jaunisse de la betterave est provoquée par un puceron qui inocule un virus modifiant le métabolisme de la plante : il stoppe la photosynthèse, détruit la chlorophylle et fait donc jaunir les feuilles. Dès lors, la betterave produit beaucoup moins de sucre, ce qui met en péril les rendements.
Les récoltes commencent à peine dans certains territoires mais cette maladie frappe un nombre très conséquent de champs de betteraves. À cela s'ajoute les difficultés du secteur sucrier suite à des décisions qui ont été prises pendant la dernière décennie, dont la fin des quotas. Le secteur de la betterave dépend de surcroît, en aval, de l'industrie sucrière – nous comptons vingt-et-une sucreries en France – dont le point d'équilibre chute en cas de rendements insuffisants, entraînant ainsi la fermeture de ces usines. Il en va donc de notre souveraineté.
Nombre de planteurs, en ce moment même, hésitent à replanter des betteraves : outre la maladie de la jaunisse, un effondrement du rendement implique un manque conséquent de revenus. Si les sucreries ferment, c'est toute la filière de la betterave qui peut disparaître en une ou deux saisons. Il est donc urgent d'agir avec responsabilité et courage en reconnaissant d'abord que nous nous trouvons devant une impasse, la recherche scientifique et agronomique, publique ou privée, n'ayant pu trouver à ce jour une solution alternative à l'usage des néonicotinoïdes.
La première alternative envisagée consisterait à placer l'ensemble de la filière sous perfusion économique jusqu'à ce que l'on trouve une solution agronomique, or, les règles européennes sont très claires et nous interdisent d'indemniser à 100 % les agriculteurs. Une indemnisation maximale, à hauteur du régime de base, qui est de 65 %, voire la présentation, à Bruxelles, d'un nouveau régime qui s'élèverait à 80 %, ne changerait rien.
Les alternatives dites chimiques, quant à elles, existent depuis 2018. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé en 2018 la mise sur le marché d'autres substances, notamment le Teppeki et le Movento, pour pallier l'arrêt des néonicotinoïdes enrobés pour la betterave mais leurs effets ne sont pas du tout à la hauteur du problème que nous rencontrons aujourd'hui et, parfois, leurs conséquences sur l'environnement sont significatives puisque leur diffusion répétée peut entraîner leur rémanence dans les sols voire une infiltration dans les nappes phréatiques.
Enfin, nous avons recherché une alternative agronomique.
Premier volet : la sélection génétique. Il s'agit d'identifier des semences qui réagiraient différemment au virus inoculé par ce puceron sans modifier le métabolisme de la plante. À ce jour, nous n'en avons pas trouvé. J'ai encore discuté hier avec les équipes de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), selon lesquelles quelques semences ont été identifiées mais pour faire face à seulement un ou deux types de virus sur les quatre existant.
Deuxième volet : la biosécurité. Il s'agit de favoriser la présence d'auxiliaires dans nos champs comme, par exemple, les coccinelles, prédateurs naturels de ces pucerons. Des recherches intéressantes sont en cours mais nous devons créer un écosystème – le gîte et le couvert ! – de ces auxiliaires, ce qui implique de planter des haies et de créer des zones d'accueil, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain.
Troisième volet : les pratiques culturales, à mes yeux les plus prometteuses. Il s'agit d'adapter la taille des parcelles ou d'autres facteurs de gestion des cultures. Par exemple, comme l'a montré une expérimentation dans l'Oise, le semis d'avoine aux côtés de la betterave pourrait avoir un effet répulsif pour les pucerons, sans que cela ait été toutefois confirmé à ce jour.
J'évoquais donc notre souveraineté. Si la filière sucrière s'effondre en deux ans, plus question de transition agroécologique ; de plus, onze producteurs européens sur quatorze – c'est notamment le cas des Polonais, des Belges et des Allemands – ont utilisé des dérogations à l'utilisation des néonicotinoïdes et utilisent même parfois des produits interdits en France. Voulons-nous pérenniser la filière sucrière en l'aidant à passer cette période difficile et en accélérant sa transition ou considérons-nous qu'elle ne fait plus partie des objectifs de la politique agricole française, que ce n'est pas grave pour notre souveraineté, que ce n'est pas grave si 46 000 emplois sont concernés ? En tout cas, dans deux ans, nous, vous, vos enfants continueront à consommer du sucre et ce serait alors du sucre polonais, belge, allemand.
Face à cette question de souveraineté, le Gouvernement propose un plan d'ensemble dont l'un des principaux volets est le projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre cet après-midi. Son article unique vise à donner la possibilité à la France d'utiliser la même règle de dérogation que nos onze partenaires européens. Une loi est nécessaire parce que la loi de 2016 sur les néonicotinoïdes en interdit l'utilisation et interdit toute possibilité de dérogation. Il ne nous est donc pas possible d'utiliser l'article 53 du Règlement européen, fondement juridique sur lequel s'appuient nos partenaires pour demander des dérogations à ces interdictions.
Vous le constatez, j'insiste exclusivement sur la question de la souveraineté : depuis que je suis en fonction au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, c'est elle qui m'obsède. Je suis convaincu que notre agriculture est confrontée à ce défi de l'indépendance. Je suis convaincu que la force d'une société et d'une civilisation – c'est vrai depuis 2 000 ans – dépend de la puissance de son agriculture. Lorsqu'un pan entier de notre agriculture est en danger et qu'il faudrait se résoudre à importer du sucre en provenance d'autres pays européens, qui plus est produit dans des conditions qui n'ont rien à voir avec celles qui sont en vigueur chez nous, alors, notre souveraineté est profondément atteinte.
Politiquement, ce texte emporte des conséquences. Il ne constitue en rien un renoncement écologique mais il incarne une volonté de souveraineté. Je rappelle d'ailleurs que la loi de 2016 a mis fin à 92 % des usages de néonicotinoïdes. Or, la politique, c'est aussi avoir le courage et l'humilité de reconnaître les impasses et d'y faire face en sachant que la poursuite de la transition agroécologique implique d'abord de disposer de filières vivantes.
En outre, il faut faire des comparaisons à partir des référentiels actuels. L'ANSES a ainsi autorisé l'utilisation d'autres produits mais qui ont des conséquences sur l'environnement, en particulier lorsqu'ils sont utilisés au-delà des doses initialement prévues faute d'avoir les effets escomptés.
Jamais je ne me cacherai derrière mon petit doigt : les néonicotinoïdes ont des conséquences sur l'environnement que je ne cherche en rien à minimiser. Dans « transition agroécologique », il y a d'abord « transition », et elle prend parfois du temps. En politique, il faut avoir le courage de l'affronter, et c'est le sens de ce projet qui sera complété par des engagements de la filière elle-même en termes de prévention, des engagements de la recherche, avec 5 millions financés par l'État, et un suivi dont nous allons débattre, lequel doit être fort, aigu, et associer la représentation démocratique afin de trouver les alternatives nécessaires d'ici à trois ans, délai posé par cette loi.