Intervention de Grégory Besson-Moreau

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGrégory Besson-Moreau, rapporteur :

« Nous ne devrions pas être là aujourd'hui mais pas parce qu'être avec vous me serait désagréable. Nous ne devrions pas être là si nous n'étions pas tenus par des décisions passées » : j'ai eu l'occasion de le dire lors de chaque audition que j'ai menée avec les organisations syndicales, les associations, les représentants de la filière, les ministres de la transition écologique et de l'agriculture, mais aussi à chaque visite sur le terrain, qui est la bonne école pour appréhender la détresse du monde agricole et, plus particulièrement, des planteurs de betteraves.

En réponse à ces mots, un seul constat : nous sommes face à une impasse technique suite à des dérives passées dont nous partageons la responsabilité. Une seule solution : un projet de loi qui remettra tout le monde dans le droit chemin.

Je n'aurai de cesse de le répéter : la transition agroécologique consiste à mettre en cohérence les temps de la politique, de la science, de l'agriculture, et la loi de la nature, mais l'analyse du passé ne résoudra pas à elle seule les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Ce projet vise à mettre rapidement un terme à l'usage des néonicotinoïdes sans pour autant sacrifier les filières et la protection de l'environnement. Je souhaite rappeler ce qu'il est et, surtout, ce qu'il n'est pas.

Ce projet de loi n'est pas une autorisation de mise sur le marché, pas plus qu'il n'introduit l'utilisation d'un nouveau pesticide : il met un terme à l'usage des néonicotinoïdes. Je le dis fermement car il faut que les choses soient claires pour tout le monde : ce texte n'encourage pas l'agriculture française à revenir aux pesticides, bien au contraire.

Un peu de bonne foi et de recul montre que, grâce au projet de loi de 2016 sur la biodiversité défendu par la ministre d'alors, Barbara Pompili, l'utilisation de 92 % des néonicotinoïdes a été supprimée en quatre ans. Ce projet de loi permettra donc d'en finir avec ces derniers 8 % qui embarrassent la filière de la betterave, ce qui mérite toute notre attention et nécessite des moyens d'accompagnement plutôt que de laisser cette culture souveraine sur le bas-côté, comme le souhaitent nombre de détracteurs politiques.

Nous nous devons de relever le défi du virage écologique et d'une agriculture durable et pérenne. C'est lui que nous prenons et que nous encourageons à suivre. Ce texte ne s'oppose en rien avec une telle vision de la société et les adaptations que nous lui apporteront ne le réduiront pas à un chèque en blanc. Il garantit que, pendant trois ans, notre agriculture se focalisera sur la fin des néonicotinoïdes. Il garantit que, dans nos territoires, nous aurons toujours des champs de betteraves pour alimenter des sucreries car, le ministre l'a rappelé, il en va de notre souveraineté économique, alimentaire, et, me semble-t-il, de notre capacité à accélérer la transition agroécologique.

Ce projet de loi ne constitue pas non plus une régression pour le droit de l'environnement, ce qui serait bien évidemment inconstitutionnel : il s'inscrit dans le droit européen tel qu'il est en vigueur et prolonge le régime d'interdiction qui était le nôtre depuis 2018, avec des possibilités de déroger strictement encadrées.

D'un point de vue social, il s'agit surtout de ne pas tuer des exploitations betteravières et de ne pas mettre au chômage des femmes et des hommes qui travaillent dur depuis des années dans l'espoir, souvent, de transmettre leurs exploitations aux générations futures.

Ce texte ne vient pas d'en-haut mais il émane de nos territoires ruraux.

Enfin, ce débat n'oppose aucunement les pro- et anti-néonicotinoïdes pour la bonne et simple raison que tous, ici, faisons partie de la seconde catégorie. Personne ne nie les dangers de cette substance, ni le Gouvernement ni moi-même. Dans mon rapport, j'ai exposé avec beaucoup de sincérité de tels risques. Les acteurs de la filière non plus ne considèrent pas les néonicotinoïdes comme une solution durable et tous souhaitent en sortir. Le recours aux néonicotinoïdes est en l'occurrence une solution d'urgence, le seul moyen de faire face à une situation intenable pour la filière betteravière et sucrière.

Souhaitons-nous conserver notre place de leader européen ou la laisser à d'autres par dogmatisme, pour ensuite compenser cette perte de leadership par l'importation de sucre étranger dont la production ne respecte pas nos propres normes ? L'égoïsme écologique du « plus vert que vert chez moi et tant pis pour les autres » ne résoudra pas les problèmes.

Ce texte répond à deux objectifs.

Tout d'abord, sécuriser la production française de sucre, qui a une importance économique réelle, en particulier dans nos territoires ruraux, et qui a contribué à la souveraineté alimentaire et énergétique française. En raison d'un hiver exceptionnellement doux, certaines régions ont subi des attaques massives de pucerons verts qui ont transmis aux plantes le virus de la jaunisse – en fait, quatre virus différents, ce qui complique considérablement la recherche d'alternatives.

Cette jaunisse, qui empêche la photosynthèse et le développement normal des betteraves, a entraîné de très fortes pertes de rendements avec, pour conséquence, des pertes de revenus mais aussi le risque que les agriculteurs renoncent à planter des betteraves.

Si la production française diminue, les sucreries ne disposeront plus de la matière première dont elles ont besoin pour produire et être rentables. À très court terme – deux ans – cela signifierait des fermetures d'usines, donc des suppressions d'emplois, mais aussi un amoindrissement de notre souveraineté alimentaire et énergétique.

Ensuite, accompagner la transition d'une filière. Le texte s'inscrit en effet dans le cadre d'un plan d'action plus large destiné à assurer sa pérennité et sa durabilité. Ce plan prévoit notamment l'application de plans de prévention des infestations par les ravageurs par les professionnels, le renforcement des efforts de recherche avec 5 millions supplémentaires mobilisables dès 2021, une indemnisation des pertes les plus importantes résultant de la jaunisse au cours de la campagne 2020 ainsi que des engagements des industriels sur la pérennisation de la filière sucrière.

Pour atteindre cet objectif de sauvegarde de la filière betteravière et sucrière, le texte propose un dispositif simple de dérogation, strictement limité et encadré sur les plans européen et français. L'article unique permet aux ministres de l'agriculture et de la transition écologique d'octroyer par arrêté des dérogations à l'interdiction d'utiliser des produits phythopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes jusqu'au 1er juillet 2023.

Une telle possibilité est encadrée par des conditions strictes de délivrance, que je rappelle : l'autorisation de déroger ne peut excéder 120 jours et la mise sur le marché est destinée à un usage limité et contrôlé qui ne peut intervenir qu'en raison d'un danger ne pouvant être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables.

Comment pouvons-nous améliorer ce dispositif pour renforcer encore les garanties offertes par ce texte ? Vos amendements sont autant d'occasion d'en discuter mais il me semble très important de pouvoir « cranter » les objectifs en matière de recherche et d'assurer un contrôle parlementaire fort afin qu'en 2023, nos agriculteurs disposent d'alternatives aux néonicotinoïdes respectueuses de l'environnement et efficaces. Je vous proposerai un amendement en ce sens.

Christian Huyghe, directeur scientifique « Agriculture » à l'INRAE, a tenu à nous rappeler que la sortie des néonicotinoïdes ne passera pas par une solution unique mais par la combinaison de plusieurs évolutions, dont certaines relèvent d'un changement de pratiques culturales et de « culture », au sens large, qui doit conduire à repenser la question des équilibres au sein des parcelles en favorisant l'installation d'auxiliaires naturels prédateurs des pucerons ainsi que de bandes enherbées et de haies. Il nous a ainsi rappelé la nécessité de « remettre de la complexité » dans les parcelles. C'est cette complexité que je vous invite à assumer aujourd'hui dans le cadre de nos échanges car je suis convaincu que la situation à laquelle nous faisons face ne trouvera de solution apaisée que par le dialogue, le respect mutuel et le refus des positions dogmatiques.

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