Ce projet de loi est déconnecté de l'urgence écologique à laquelle nous sommes confrontés, et que personne ne peut nier. Les néonicotinoïdes n'ont pas seulement en impact dramatique sur les abeilles sur les pollinisateurs, ces substances « à large spectre » ciblent tous les arthropodes sans distinction, y compris les insectes bénéfiques aux cultures. Les effets létaux de ces substances ont été mis en évidence sur une large gamme de micro-organismes d'invertébrés, de vertébrés terrestres et aquatiques. Dans ces conditions, il est inenvisageable de déroger à l'interdiction actuelle.
Le modèle agro-industriel, auquel souscrit une partie des agriculteurs et qui est soutenu par l'Union européenne via la PAC, est à bout de souffle et doit être remis en question. Plutôt que d'autoriser l'utilisation des néonicotinoïdes, le Gouvernement pourrait prendre la décision de débloquer des fonds d'urgence écoconditionnés en faveur des agriculteurs réellement touchés. La Fondation Nicolas Hulot indique que le coût d'un dédommagement total des betteraviers pour compenser les pertes de rendement s'élèverait au plus à 77,5 millions d'euros – montant alloué aux éleveurs lors de la grippe aviaire.
Cette filière est bien en difficulté, mais cela ne date pas d'aujourd'hui et n'a rien à voir avec l'interdiction, à compter du 1er septembre 2018, des produits phytosanitaires contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes. Les problèmes sont apparus dès 2017 avec la fin des quotas sucriers et du prix minimum garanti : ce sont bien la dérégulation et la concurrence mondiale qui affectent cette filière.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué hier que, sans dérogation, les agriculteurs pourraient bien cesser de planter des betteraves, ce qui entraînera, dans les deux ans, la fermeture des sucreries : c'est un chantage inacceptable. Quant à notre souveraineté alimentaire, elle n'est pas menacée : la France exporte près de la moitié de sa production de sucre ! Par ailleurs, votre ministère indique que ce ne sont pas 50 % des rendements qui sont touchés, mais 12,5 % par rapport à la moyenne 2015-2019. C'est un mensonge que de dire qu'une nouvelle autorisation des néonicotinoïdes permettra de sauver la filière ! En revanche, nous pouvons être sûrs que s'il n'y a plus de pollinisateurs, il n'y aura plus d'agriculture viable. D'autant que cette dérogation serait la porte ouverte à des demandes émanant d'autres filières, auxquelles il serait difficile d'opposer une fin de non-recevoir. Rappelons qu'en 2016, Barbara Pompili défendait avec force l'interdiction sans dérogation ; elle est aujourd'hui ministre de la transition écologique d'un gouvernement qui s'apprête à les autoriser à nouveau – où est la cohérence ?
On se retrouve ici dans la même situation qu'avec le glyphosate : alors que le président Macron avait annoncé l'interdiction du glyphosate dans les trois ans le 27 novembre 2017, le produit n'est toujours pas interdit à l'heure qu'il est. Tout cela est incompréhensible !