Quelles solutions a-t-elle prévues pour résoudre dans la durée la question des transitions ? Je n'en vois pas qui soit à la hauteur d'une véritable transition de société.
La proposition de loi fait de l'éleveur, de l'agriculteur la figure centrale. Est-il normal que, sur 100 euros dépensés dans l'agroalimentaire, 6 ou 7 euros seulement lui reviennent ? Pas du tout ! Avec cet argent, il ne fait que ce qu'il peut. C'est à la collectivité de lui donner les moyens de satisfaire nos exigences et de fixer des objectifs conformes aux évolutions de la société ainsi que de la science.
Oui, la science a évolué récemment et nous a sortis du détestable postulat de Descartes qui a longtemps plombé la France sur les questions de bien-être animal. Des scientifiques parmi les plus reconnus de notre époque ont signé la Déclaration de Cambridge sur la conscience, les travaux en éthologie sur la conscience et la souffrance animales d'ingénieurs et de spécialistes de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAe) et d'ailleurs ont montré à quel point la frontière est bien plus fine que ce que l'on croyait.
Cette évolution scientifique accompagne une prise de conscience sociale. Certains de nos collègues ont bien expliqué en quoi elle s'inscrit dans une transformation globale de notre société et de son économie, et nécessite un changement de paradigme.
En Bretagne, en effet, il fut un temps où l'industrialisation de l'élevage porcin misant sur l'essor de la production d'une viande de basse qualité semblait une bonne idée. On se rend compte aujourd'hui que ce mode de production n'est pas compatible avec les exigences éthiques en matière animale et qu'il faut aider le secteur à investir pour s'adapter. C'est là exactement le sujet du film Au nom de la terre. Les élevages traditionnels que M. Benoit a évoqués me sont familiers : natif de la compagne corrézienne, je vivais à quelques mètres des vaches et des cochons, et je me promenais bien souvent en forêt avec un marcassin en laisse… Un tel lien entre l'humain et l'animal n'existe plus, si bien que l'on a besoin de le repenser autant que les circuits courts et la proximité dans notre rapport à l'agriculture et à l'élevage.
M. Benoit a fait allusion à M. Xavier Niel. Celui-ci aurait pu se passer de l'image qu'il a promue avec « Les nouveaux fermiers ». Il n'a réussi qu'à faire du tort à la cause animale. Je ne nie pas sa sincérité, car il n'a pas besoin de la viande végétale pour devenir riche. Pour ma part, je ne crois pas à la viande végétale. Pour moi, la France est une grande nation agricole et d'élevage, et a vocation à le rester. J'espère qu'elle donnera l'exemple en adoptant les meilleures pratiques du monde, en accord avec les évolutions sociétales et scientifiques, ce qui implique les activités de transport, d'échange et d'achat de bêtes, dont les règles économiques internationales devront être révisées.
M. Aubert a malicieusement relevé la référence à Peter Singer. J'aurais effectivement pu l'éviter et je ne l'aurais pas cité si j'avais eu conscience des polémiques qui ont suivi. Je ne l'ai d'ailleurs pas fait dans mon propos liminaire. J'appelle cependant votre attention sur son ouvrage La libération animale qui, outre sa rigueur philosophique, présente l'intérêt de faire parler des faits souvent tirés des rapports techniques du secteur de l'élevage lui-même.
La vision que je défends s'inscrit dans le périmètre de la pensée d'Élisabeth de Fontenay, qui nous rappelle l'importance du lien entre humain et animal sans chercher le moins du monde à tracer un signe égal entre les deux.
L'objet de la proposition de loi n'est pas de distribuer des bons et des mauvais points, ni de jeter les uns contre les autres. Il est d'accompagner la transition de notre société. Dans un contexte d'urgence écologique, on a besoin de repenser l'écologie ; dans un contexte de souffrance économique, on a besoin de repenser l'économie. Dans un contexte de souffrance du monde de l'élevage et de l'agriculture, nous avons besoin d'accompagner les éleveurs et les agriculteurs pour qu'ils retrouvent dans notre société la place qu'ils doivent avoir : la première, celle qui nourrit et satisfait notre besoin le plus fondamental d'êtres humains.