Intervention de Xavier Niel

Réunion du mardi 17 novembre 2020 à 9h30
Commission des affaires économiques

Xavier Niel, président du conseil d'administration d'Iliad :

Merci de nous accueillir et de nous donner de votre temps.

En guise d'introduction, je souhaite rappeler qui nous sommes, parler de l'impact de cette crise sanitaire sur notre métier, et surtout présenter notre vision du développement des réseaux fixe et mobile partout en France.

Iliad est la maison-mère de Free et de Free Mobile. Cette entreprise a été créée il y a 20 ans à la manière d'une start-up, en proposant une offre fixe, puis une offre de téléphonie mobile en 2012. Aujourd'hui, nous comptons environ 20 millions d'abonnés.

Le Groupe se développe en Europe – nous sommes le sixième opérateur de télécommunications mobiles européen – avec une activité mobile en Italie et une participation dans un opérateur historique en Irlande, et nous venons d'acquérir le premier opérateur polonais. Notre société compte 9 000 salariés en France, et a créé 4 000 emplois au cours des dernières années, quasi exclusivement en contrats à durée indéterminée (CDI).

Notre société paie très peu de dividendes. La totalité de nos moyens sont consacrés au déploiement de nos réseaux et à notre croissance. Nous sommes le premier opérateur en matière d'investissements dans la fibre optique après Orange. Sur le mobile, parce que nous sommes les derniers à être entrés sur le marché, nous avons construit 17 000 sites mobiles en 8 ans, ce que nos concurrents ont fait en 15 ou 20 ans. Nous sommes probablement en France la société qui investit la plus grande part de son chiffre d'affaires.

En témoignage de l'histoire de cette société, j'ai racheté des titres lorsque sa valorisation boursière a baissé, et je détiens aujourd'hui un peu plus de 70 % de son capital. Avec les salariés de l'entreprise, nous devons détenir un peu moins de 80 % de celui-ci.

Nous traversons cette crise sanitaire avec solidité et solidarité. Les opérateurs de télécommunication sont particulièrement sollicités. Ainsi, pour nous parler aujourd'hui, nous utilisons des moyens de télécommunications. Nos équipes ont donc été particulièrement mobilisées ces derniers mois. Elles ont assuré la robustesse des réseaux et la continuité des déploiements, ce qui était à la fois très important et complexe au cours du premier confinement et sans doute plus simple lors du deuxième que nous connaissons à l'heure actuelle. Comme nos concurrents, il nous a fallu mettre tout en œuvre pour assurer la continuité de service qui était essentielle au pays.

Tout au long de la crise, nous avons pu avoir des échanges efficaces tant avec l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) qu'avec M. Cédric O, secrétaire d'État, et ses équipes. Nous avons fait le choix délibéré de ne pas faire appel à l'aide publique, au chômage partiel, même si au cours du premier confinement, l'ensemble de nos magasins ont été fermés, et aux prêts garantis par l'État, car nous avons estimé que notre bilan nous permettait de prendre en charge les surcoûts impliqués par la crise. Ce choix nous semblait évident et patriote. Un autre opérateur a fait le même, quand deux autres opérateurs ont fait des choix contraires. Nous avons également essayé autant que possible d'aider nos sous-traitants et nos partenaires.

Nous sommes devenus une force d'investissement et un opérateur d'infrastructures de premier plan, y compris dans les zones rurales, tout d'abord dans le cadre du déploiement des réseaux fixes. Plus de 20 millions de locaux sont aujourd'hui éligibles au FTTH, ce qui est unique en Europe. Notre pays présentait un certain retard, mais nous avons maintenant pris de l'avance. Ces déploiements se poursuivent avec la création de 4 millions de nouvelles lignes par an, et Free est aujourd'hui l'opérateur alternatif leader sur le FTTH. Nous sommes également le premier investisseur en France dans la fibre optique après Orange, et nous sommes co-investisseurs dans la plupart des réseaux d'initiative publique (RIP) ou en zone AMII (appel à manifestation d'intention d'investissement). Nous souhaitons continuer à investir de manière durable.

Sur les 18 millions de lignes représentent un foyer sur deux en France, nous proposons uniquement la fibre optique dans le cadre des nouveaux abonnements. Nous proposons donc un plus grand nombre d'abonnements en fibre optique que d'abonnements sur une ligne de cuivre. Grâce à cette démarche volontariste, plus de 40 % de nos abonnés sont aujourd'hui raccordés à la fibre optique.

En outre, depuis deux ans, nous avons accéléré la commercialisation en zone rurale, dans les zones AMII dans un premier temps, puis dans le cadre des réseaux d'initiative publique (RIP), dans lesquels nous disposons de plus de 2 millions de prises ouvertes. Nous avons donc réalisé notre part du travail, et avons la volonté de poursuivre.

Toutefois, nous devons être conscients que, collectivement, les opérateurs, les collectivités territoriales et l'État ne pourront pas financer encore longtemps l'entretien et le financement de deux réseaux concurrents, le cuivre et la fibre optique. Il s'agit d'un des principaux messages que je souhaite vous transmettre aujourd'hui. Il nous faut remplir plus rapidement les réseaux de la fibre optique, avec plus d'abonnés. Pour cela, il est nécessaire d'organiser un plan d'arrêt rapide de la commercialisation des nouveaux accès en cuivre sur les zones équipées en fibre optique.

Chez Free, nos tarifs en fibre optique et en cuivre sont identiques. Les clients n'ont donc pas de raison financière de ne pas basculer vers la fibre optique. Digitaliser de manière plus rapide l'ensemble des foyers, des entreprises et des activités économiques nous paraît constituer aujourd'hui une priorité.

S'agissant du mobile, votre préoccupation légitime est la couverture des territoires. Il y a 8 ans, un réseau mobile national comptait environ 15 000 sites. Aujourd'hui, nous nous acheminons vers des réseaux de 27 000 ou 30 000 sites. Nous avons lancé notre offre en 2012, et nous comptons déjà 19 000 sites. Nous couvrons 99 % de la population en 4G. L'itinérance est devenue marginale, même si elle reste indispensable. Nous utilisons alors, dans les endroits où nous ne sommes pas présents – car nous sommes le dernier entrant sur le marché – le réseau d'Orange.

Le New Deal mobile est en train de faire disparaître les zones blanches. Nous avions du retard, mais nous sommes aujourd'hui l'opérateur qui déploie dans ces zones le plus grand nombre d'antennes. Il s'agit d'un énorme chantier, et nous construisons des sites dans des lieux inaccessibles à pied, en ayant recours à des hélicoptères. Nous y mettons, tout comme nos concurrents, beaucoup de cœur.

Trois sujets méritent votre attention en ce qui concerne le marché du mobile. Le premier est la couverture des zones rurales. Elle pourrait être améliorée plus rapidement si nous partagions plus largement les sites existants. Il existe un grand nombre de zones grises en France, où seuls un ou deux opérateurs sont présents. Si la mutualisation allait plus loin, les consommateurs jouiraient d'une meilleure qualité de réseau. Il nous semble alors important de proposer une solution proche du roaming, équivalente à celle accessibles lorsque vous venez de l'étranger et qui permet d'accéder aux quatre opérateurs français. Dans ces zones, la question de la concurrence ne se pose pas. Il s'agit de proposer une réelle qualité de service, quel que soit l'opérateur. Transformer ces zones grises en zone blanche aurait un réel intérêt. Notre entreprise ne profiterait pas des autres opérateurs, mais les Français bénéficieraient d'une meilleure qualité de service.

Le deuxième sujet est la 5G. Elle ne doit pas faire peur. Elle constitue une formidable opportunité pour construire une société plus sobre et plus efficace, pour améliorer la gestion des villes en matière de trafic, de sécurité ou de gestion des déchets, pour moderniser les usines, les zones industrielles et les ports, ou encore pour permettre la télémédecine. Cette nouvelle technologie amène plus de débit, mais au-delà, une latence plus faible, ce qui permet aux entreprises et aux particuliers de profiter d'applications en temps réel. Il serait regrettable que la France dispose des meilleurs réseaux fixes grâce au FTTH (nous proposons aujourd'hui les offres de fibre optique les plus rapides d'Europe), mais qu'elle soit le dernier pays européen en matière de mobile, en refusant le marché de la 5G. Cela donnerait une image négative de la France à l'étranger, et pourrait nous faire perdre un certain nombre d'investissements. La France, avant la crise de la covid-19, était devenue une des destinations principales des investisseurs, grâce à de nombreux atouts comme notre système social ou notre système éducatif, et je pense qu'il est important de ne pas perdre en attractivité à cause de la 5G.

Le troisième sujet que je souhaite mettre en avant est le subventionnement des terminaux, qui est souvent opaque pour les abonnés. Nous sommes le seul opérateur à ne pas subventionner des terminaux. Ce subventionnement est nuisible à l'environnement et au commerce extérieur, car il pousse à changer plus régulièrement de mobile. Nous pensons qu'il faut soit l'interdire – la Cour de cassation s'est prononcée sur le sujet, et il semblerait qu'il soit illégal, mais cela n'a pas empêché d'autres opérateurs à continuer de le proposer –, soit imposer plus de transparence. L'objectif, et je pense que nous le partageons tous, est d'allonger la durée d'utilisation des smartphones, qui représentent 70 % de l'impact environnemental du numérique, et d'éviter que les abonnés continuent à payer un abonnement coûteux alors qu'ils ont remboursé leur mobile.

Par ailleurs, je souhaite vous parler du marché des entreprises. Nous sommes aujourd'hui un opérateur qui n'intervient qu'auprès du grand public. Nous avons l'ambition, comme nous l'avons fait pour ce dernier, de simplifier et de rendre plus accessible le segment des entreprises, qui est très peu concurrentiel à l'heure actuelle. Nous lancerons une offre dans les mois qui viennent, probablement début 2021. Amener une réelle concurrence dans l'accès aux services de télécommunications pour les entreprises est extrêmement important. Nous devons rendre ces services accessibles et compréhensibles.

Pour résumer, je pense que la France s'inscrit aujourd'hui dans une équation favorable sur le plan des télécoms. Les prix sont extrêmement bas grâce à une concurrence qui bénéficie à tous. Les infrastructures sont résilientes. La couverture est bonne, en comparaison de celle des pays voisins. Le réseau est rapide et quasiment national. La France est l'un des pays où les investissements sont les plus importants. Dans l'histoire, nous n'avons jamais autant investi dans les télécommunications. Enfin, les quatre acteurs du marché sont en bonne santé, même s'ils ont vendu un certain nombre d'actifs.

J'aimerais ajouter un point important, qui n'est facile à percevoir lorsque nous nous trouvons en France : les télécoms françaises ont été tellement dynamiques, et trois des quatre opérateurs ont tellement appris de ce marché difficile et concurrentiel, qu'une des forces de la France est que ses opérateurs sont présents dans le monde entier. Ainsi, Orange est présent dans des dizaines de pays, tout comme SFR Altice, et nous sommes nous-mêmes implantés dans une dizaine de pays. Cet apprentissage du difficile marché français nous a donné une expérience qui nous a permis de sortir de nos frontières. Par conséquent, dans plus de la moitié des pays du monde, un opérateur français est présent.

Nous ne demandons pas d'aides de l'État. Nous pensons seulement qu'il est nécessaire de nous protéger un peu afin de nous permettre d'investir. Les opérateurs français sont les plus gros investisseurs d'Europe. Or, des taxes sectorielles existent en France, et nous les trouvons problématiques. Par exemple, l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) « mobile » sanctionne l'investissement, car plus nous possédons d'antennes, plus la taxe est élevée. Ce principe ne nous semble pas sain, et cette taxe paraît mal dimensionnée.

En outre, des évolutions n'impliquant aucun coût pour le contribuable permettraient des gains d'efficacité rapides : arrêter la commercialisation des nouveaux accès en cuivre là où la fibre optique est disponible, afin de remplir plus rapidement les réseaux fibres et d'éviter une impasse économique ; mutualiser les sites mobiles situés en zones grises, ce qui permettrait d'améliorer drastiquement la couverture sans construire de nouveaux sites ; ou encore mettre un terme aux offres mobiles subventionnées ou a minima forcer la transparence en distinguant le prix du terminal et le prix du service, le consommateur, l'environnement et la balance commerciale en profiteraient.

Vous pouvez compter sur Iliad pour continuer à investir dans les réseaux. Nous souhaitons être un opérateur d'infrastructures qui déploie et détient ses réseaux, et qui propose les meilleures offres au meilleur prix. Cela est notre ADN, et nous poursuivons dans cette voie, en proposant des offres « différentiantes » et, quand nous le pouvons, en perturbant le marché afin de favoriser la concurrence et les investissements.

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