Intervention de Loïc Dombreval

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Dombreval, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre Ier :

Monsieur le président, chers collègues, si le Discours de la méthode de Descartes et sa conception de « l'animal-machine », dénué de sensibilité, a durablement marqué la conception occidentale de l'animal, il ne doit pas occulter une tradition philosophique très vivace, issue de l'Antiquité, qui souligne la responsabilité morale des humains vis-à-vis des animaux.

Montaigne au XVIe siècle, Diderot, Voltaire et Rousseau au siècle des Lumières, Lamartine, Hugo, Schœlcher et Zola au XIXe siècle sont autant de défenseurs de la cause animale, qui lient progrès humain et considération pour ceux que l'historien Michelet désignait comme des « frères inférieurs ».

Pourtant, nous avons parfois le sentiment que l'attention qu'il nous faudrait porter aux conditions de vie des animaux est une cause qui n'est pas digne d'un débat au Parlement. C'est pourtant toujours la loi qui a permis des avancées en la matière, suivant l'idée historique sous‑jacente selon laquelle encadrer l'action de l'homme envers l'animal est un moyen d'améliorer l'homme lui-même.

En France, la loi dite « loi Grammont », du 2 juillet 1850, est le premier jalon d'une législation plus protectrice des droits des animaux domestiques : elle dispose que « seront punis d'une amende de cinq à quinze francs, et pourront l'être d'un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Cette loi sera abrogée par le décret dit « décret Michelet », qui sanctionne la cruauté envers les animaux domestiques, y compris dans le cadre privé.

La loi du 19 novembre 1963 sur la protection des animaux crée le délit d'actes de cruauté envers les animaux. Elle expose les auteurs, ayant agi publiquement ou non, à des peines correctionnelles beaucoup plus sévères.

Le statut de l'animal connaît une première évolution avec l'adoption de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, dont l'article 9 reconnaît explicitement la qualité d'être sensible de l'animal : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».

La loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux renforce les sanctions pour sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux, précisant qu'elles sont applicables en cas d'abandon d'un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité.

La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité rendra ces peines applicables pour les sévices de nature sexuelle.

La loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures reconnaît enfin les animaux, au sein du code civil, et non plus uniquement au sein du code rural et de la pêche maritime, comme des « êtres vivants doués de sensibilité », ajoutant que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».

La loi EGALIM du 30 octobre 2018 a permis certaines avancées en matière de lutte contre la maltraitance animale, par exemple le doublement des peines pour ce délit, portées à un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, et la possibilité offerte aux associations de se porter partie civile.

Ces dernières années, nombre de nos voisins européens sont allés beaucoup plus loin que les parlementaires français. Au Royaume-Uni, en Suisse, en Italie, en Wallonie, les législations relatives au bien-être animal sont bien plus sévères et développées. En France, championne d'Europe de la possession d'animaux de compagnie, avec plus de 60 millions d'animaux détenus, l'engouement pour l'adoption ne s'accompagne pas nécessairement d'une amélioration des conditions de vie des animaux.

La mission gouvernementale qui m'a été confiée par le Premier ministre Édouard Philippe et que j'ai conduite de janvier à juin 2020, sous la responsabilité du ministre de l'agriculture et de l'alimentation de l'époque, M. Didier Guillaume, s'est conclue par un rapport contenant 121 propositions.

Les chapitres Ier et II de la proposition de loi que nous allons examiner en reprennent un grand nombre. L'acte d'achat, parfois impulsif, résulte d'une méconnaissance des besoins fondamentaux des animaux et d'une sous-estimation – notamment pour les équidés – du coût de leur entretien. Cette méconnaissance est source d'abandons.

Ainsi, l'article 1er de la proposition de loi crée un certificat de sensibilisation pour tout nouvel acquéreur d'un animal de compagnie. Je vous proposerai un amendement visant à faire de ce certificat de sensibilisation un certificat de connaissance des besoins spécifiques de l'espèce et à étendre le dispositif aux détenteurs d'équidés.

L'article 2 complète la liste des agents habilités à rechercher et constater le manquement à l'obligation d'identification des carnivores domestiques. Policiers municipaux et gardes champêtres pourront effectuer ce contrôle.

Le service de la fourrière est parfois délégué à un refuge, sans que le code rural et de la pêche maritime organise les conditions de cette délégation. L'article 3 simplifie la mise en œuvre de cette possibilité, afin de développer le recours aux refuges, et instaure une compensation financière pour les fondations et les associations qui les gèrent.

La stérilisation des chats est fortement préconisée, afin de maîtriser les populations et d'éviter abandon et errance. S'agissant des chats errants, le maire d'une commune dispose de la faculté d'identifier et de stériliser les chats sans propriétaire ; l'article 4 en fait une obligation.

L'article 5 prévoit d'étendre à l'ensemble des animaux de compagnie les obligations pesant sur les auteurs d'offres de cession de chats ou de chiens, à titre onéreux ou gratuit.

Le législateur s'est rarement inquiété du sort des équidés. Ils sont pourtant au cœur des préoccupations de vos rapporteurs et de notre collègue Martine Leguille-Balloy. Deux articles les concernent directement. L'article 6 améliore la traçabilité de la pratique de la névrectomie, considérée comme une forme de dopage et interdite dans le cadre des compétitions. Il rend obligatoire la mention de toute intervention de ce type sur le document d'identification de l'équidé. L'article 7 prévoit une nouvelle procédure de vente forcée aux enchères publiques d'un équidé que le propriétaire a abandonné chez un tiers dont il est le débiteur.

Le chapitre II, rapporté par notre collègue Dimitri Houbron, traite du renforcement des sanctions en cas de maltraitance animale et de la répression de la zoopornographie. Les sanctions encourues par les personnes se rendant coupables de maltraitance envers un animal sont aujourd'hui très insuffisantes. Par exemple, songez que les atteintes volontaires à la vie d'un animal sont punies d'une contravention de cinquième classe. La peine maximale de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende est insuffisante et inférieure aux peines maximales pour des atteintes à des biens. Nous proposons donc qu'elle soit significativement augmentée.

L'article 9 crée un stage de sensibilisation à destination des personnes condamnées pour maltraitance envers les animaux. L'article 10 prévoit une peine complémentaire d'interdiction de détention d'animal.

Je vous proposerai un amendement visant à créer un fichier des personnes interdites de détenir un animal, afin de rendre la mesure d'interdiction de détention effective. Je vous proposerai également la possibilité de levée du secret professionnel par les vétérinaires qui pourraient constater un acte de maltraitance.

Le chapitre III, rapporté par notre collègue Laëtitia Romeiro Dias, traite du sujet de la faune sauvage détenue en captivité.

Comme l'évoquait le 29 septembre 2020 la ministre de la transition écologique, Mme Barbara Pompili, « notre époque […] est celle d'un rapport nouveau à l'animal sauvage [qui est] avant tout […] un être à préserver et à respecter dans son intégrité. Cette évolution des perceptions, c'est la marque d'une société consciente de sa responsabilité vis-à-vis d'une nature fragile, de sa place et de sa dépendance à l'égard de [son] environnement ».

Concernant les animaux sauvages détenus dans des établissements itinérants pour être présentés au public, la Fédération vétérinaire européenne (FVE) s'est prononcée en juin 2015 contre l'utilisation de mammifères sauvages dans des cirques itinérants, compte tenu de « l'impossibilité absolue de répondre de façon adéquate à leurs besoins physiologiques, mentaux et sociaux ». Une sensibilité croissante du public à cet enjeu est, par ailleurs, constatée et de nombreux pays européens s'opposent à la venue sur leur territoire de cirques avec animaux.

Enfin, le chapitre IV propose la fin de l'élevage de visons d'Amérique pour leur fourrure dans un délai de cinq ans.

La production et le commerce de fourrure font aujourd'hui l'objet d'un rejet presque unanime de la part des Français. La pandémie de la covid-19 oblige, par ailleurs, à reconsidérer cet enjeu : mille visons ont dû être abattus dans l'un des quatre élevages français après le constat de signes de contamination chez ces animaux. Fort heureusement, ni l'éleveur ni aucun membre de sa famille n'ont été atteints. Ce n'est pas le cas en Europe du Nord, où l'on estime à plus de 600 le nombre de personnes qui ont contracté le coronavirus par excrétion de visons contaminés. Je me suis exprimé sur ce sujet majeur d'inquiétude dès le mois de juin 2020. Les dernières publications dans les plus grandes revues scientifiques doivent nous imposer un principe élémentaire de précaution : je proposerai, par amendement, l'arrêt de l'élevage de visons dans notre pays dès la promulgation de la loi.

La crise sanitaire que nous traversons nous a rappelé à quel point nous sommes liés biologiquement aux différentes espèces qui nous entourent. Elle nous invite à repenser notre rapport avec le vivant et conduit notre démocratie à s'interroger collectivement sur les liens que nous souhaitons établir avec lui. Les animaux ne sont pas des citoyens. En revanche, la manière dont nous les considérons engage directement notre dignité et notre humanité.

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