Intervention de Annick Girardin

Réunion du mercredi 3 février 2021 à 16h45
Commission des affaires économiques

Annick Girardin, ministre de la mer :

Le 22 septembre, alors que mon ministère venait de recevoir sa feuille de route, je vous avais présenté nos grandes orientations et nous avions bien entendu évoqué le Brexit. Professionnels, services de l'État ou responsables politiques, nous étions remplis d'incertitudes et de craintes, d'ailleurs légitimement, et ce fut le cas jusqu'au 24 décembre, à huit heures du soir, où nous avons appris l'existence d'un accord.

Le volet « pêche » a occupé les débats, notamment durant les derniers jours de la négociation. Je tiens à souligner l'implication de plusieurs ministres, mais surtout la mobilisation totale dont a fait preuve le Président de la République : il avait déclaré que les pêcheurs ne paieraient pas la facture de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et il a fait en sorte jusqu'au bout, jusqu'à l'obtention de l'accord, qu'il en soit ainsi.

Depuis l'accord, je me suis souvent rendue sur le terrain, dans les Hauts-de-France, en Normandie, en Bretagne, dans les Landes... Nous avons toujours dit qu'une négociation impliquait forcément des évolutions : ce qui importe, maintenant, c'est l'application réelle de cet accord. Avec mon cabinet, avec la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA), nous sommes en lien permanent avec les socioprofessionnels car il est essentiel d'expliquer et d'expliquer encore, y compris à ceux qui ne pensaient pas être touchés par les questions de quotas et de totaux admissibles de captures (TAC).

Je remercie les députés qui, eux aussi, ont été sur le terrain aux côtés des professionnels, dont ils nous ont fait part des angoisses et des interrogations. Nous avons pu ainsi relayer auprès d'eux les bonnes nouvelles, mais aussi expliquer les mauvaises.

S'agissant de la pêche, je qualifierais cet accord de « compromis raisonnable ». Comme tel, il n'est donc pas parfait, mais les lignes rouges que nous avions posées n'ont pas été franchies : le quota de pêche dans les eaux du Royaume-Uni sera réduit de 25 % seulement, très loin de ce qu'avaient demandé les Britanniques, et nous pourrons continuer à pêcher dans leur zone économique exclusive (ZEE), dans leurs 6-12 milles et au large des îles anglo‑normandes.

Ces trois zones sont organisées de manière différente.

Tout d'abord, la ZEE, autrement dit les 12-200 milles. Nous avons obtenu, et il faut s'en féliciter, les listes temporaires des navires qui peuvent aller y pêcher depuis le 31 décembre 2020. Des autorisations provisoires ont également été renouvelées pour quelques semaines. Quelques négociations sont encore en cours, mais globalement tout fonctionne. Une petite inquiétude : contrairement aux usages, le Royaume-Uni a posé dernièrement et unilatéralement des conditions techniques, sans nous en informer au préalable. Nous avons fait savoir à la Commission européenne que nous jugions cela inacceptable. Nous ne devons rien laisser passer aux débuts de cet accord, sans quoi le mauvais pli sera pris. Nous continuerons à faire preuve de fermeté.

Ensuite, les 6-12 milles. En l'état, nous disposons de 59 licences provisoires. D'autres requêtes font l'objet de demandes d'informations complémentaires, auxquelles nous répondons avec les socioprofessionnels. J'espère que tous ceux qui naviguaient dans cette zone pourront très vite le faire à nouveau.

Enfin, les îles anglo-normandes. L'idée était, au cours d'une période transitoire, de donner des permis à tous ceux qui prétendaient avoir pêché auparavant dans leurs eaux, et de contrôler cette antériorité petit à petit. Mais Jersey et Guernesey n'ont pas procédé de la même façon et la situation s'est bloquée. Nous sommes repartis à zéro administrativement : comme Guernesey, Jersey a accordé des autorisations provisoires, au nombre de 344. Il convient maintenant de déterminer celles qui seront maintenues – car, soyons francs, il n'y a jamais eu 344 bateaux à pêcher dans cette zone. Il faudra accepter ces ajustements : les « quotas de papier », comme on les appelait, ne pourront être conservés…

Les accès sont préservés tels qu'aujourd'hui jusqu'en 2026. Nous travaillons dès maintenant à leur maintien au-delà. En attendant, des clauses permettent d'éviter que le Royaume-Uni ne puisse revenir unilatéralement sur les décisions qui ont été prises, sauf à subir des mesures de rétorsion.

Dès lors que les quotas doivent diminuer de 25 % et que les contraintes sont plus prégnantes, le Premier ministre a souhaité à la mi-décembre qu'un plan très large d'accompagnement de l'ensemble de la filière – pêcheurs, mais aussi mareyage… – lui soit présenté. Il comporte des mesures immédiates – aides à la trésorerie –, complémentaires – indemnisation des arrêts temporaires, compensation d'une partie des pertes de chiffres d'affaires – et aussi à moyen et long terme : elles concernent par exemple les plans de sortie de flotte, qui, s'ils ne sont pas désirés par la majorité des pêcheurs, peuvent être attendus par certains, l'activité partielle de longue durée, ou encore les aides à l'investissement et, très important, à la formation.

Ce plan, qui s'applique déjà, sans attendre la validation européenne, est souple et évolutif. Si certaines situations nous ont échappé, je vous remercie de nous les signaler car il est hors de question de laisser qui que ce soit sans solution.

S'agissant maintenant des ports et du transport maritime, le maître mot reste « anticipation ». Leur compétitivité réside dans la fluidité du passage aux frontières. Depuis 2019, les ports des Hauts-de-France, de Normandie et de Bretagne se sont préparés au retour d'une frontière et des contrôles. Sans doute la France est-elle le pays qui s'est le mieux préparé à affronter le Brexit, mais les difficultés sanitaires actuelles compliquent encore les choses.

Les reports de trafic, notamment depuis l'Irlande, en raison d'infrastructures encombrées, soulèvent quelques problèmes. À cela s'ajoute la mauvaise préparation du Royaume-Uni lui-même. Les opérateurs, quant à eux, privilégient les liaisons directes entre les ports des États membres, où les contrôles ne s'exercent pas, plutôt que de faire transiter leurs marchandises à travers le Royaume-Uni. La traversée du Calaisis est de plus en plus compliquée.

Des plans de gestion de crise ont été préparés afin de filtrer, de stocker les poids lourds et de réguler le trafic, notamment autoroutier, en cas de saturation des ports. Un travail est en cours pour fluidifier l'ensemble des formalités aux frontières. Il y a des difficultés – qui pensait qu'il n'y en aurait pas ? – mais nous sommes au rendez-vous. Ainsi la plateforme France SESAME permettra-t-elle de disposer, à compter de juin 2021, d'un point de contact unique, physique et numérique, douanier, vétérinaire et phytosanitaire. D'ici là, quelques petites tensions ne sont pas à exclure mais la situation devrait peu à peu rentrer dans l'ordre.

Je salue le travail quotidien des services de l'État et des acteurs économiques qui œuvrent pour que nos ports et nos transports maritimes puissent assurer leurs missions, indispensables mais difficiles. Nos chaînes logistiques d'approvisionnement ont excellemment travaillé et si tout se passe bien, c'est aussi grâce à la capacité d'anticipation dont elles ont su faire preuve, côté français et européen.

Enfin, le gouvernement britannique a lancé au mois de novembre dernier une procédure d'appel d'offres pour la création de ports francs. Face à cela, le Président de la République souhaite que nous puissions rapidement faire des propositions pour renforcer l'attractivité de nos zones industrialo-portuaires. À cette fin, nous reprendrons certaines propositions du rapport parlementaire de M. Kasbarian.

Voilà ce que je voulais vous dire en introduction.

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