Intervention de Barbara Pompili

Réunion du jeudi 4 février 2021 à 10h30
Commission des affaires économiques

Barbara Pompili, ministre de la transition écologique :

Je suis très heureuse d'être avec vous, car j'accorde beaucoup d'importance aux relations entre le Gouvernement et le Parlement – sans doute eu égard à mon passé récent.

S'agissant du projet Hercule, comme vous, j'ai entendu et lu beaucoup de contre‑vérités, tant sur nos objectifs que sur les enjeux liés à la production d'électricité et à la transition écologique. Lorsqu'on lit dans tel journal que le Gouvernement entend vendre EDF à la découpe, qu'on entend des accusations de duplicité, de dissimulation, voire de trahison ou des annonces de coupures massives d'électricité, je comprends que l'on puisse exprimer des craintes et des inquiétudes. Je le dis et le répète : tout cela est faux ! Lorsque les rumeurs les plus absurdes finissent par gagner des galons de véracité, il faut rappeler les faits et la vérité.

Il est ici question d'avenir : de celui d'un de nos opérateurs historiques et de ses salariés, de celui de l'accès à l'énergie électrique et de la transition énergétique en France. Historiquement, la France a choisi un mix électrique décarboné, comprenant une grande part d'énergie nucléaire. Nous faisons désormais le choix de nous tourner massivement vers les énergies renouvelables pour avoir un mix électrique plus diversifié – et toute l'Europe rejoint ce mouvement de résilience. Il s'agit de nous élever à la hauteur des défis de notre siècle en faisant de la France un pays neutre en carbone et de donner à notre économie les moyens de préserver à la fois son dynamisme et la planète.

Certes, avec un parc de production largement décarboné, la France se classe parmi les pays les plus vertueux en termes d'émissions de CO2, et donc dans la lutte contre le changement climatique. Cette électricité décarbonée nous permet d'atteindre notre objectif de neutralité carbone et de développer la mobilité électrique ou l'hydrogène par électrolyse. Toutefois, ces choix historiques ne doivent pas nous empêcher de regarder vers l'avenir et de le préparer. Cela signifie entretenir et moderniser nos installations nucléaires, majoritairement construites dans les années 1970 et 1980, et, parallèlement, donner à EDF les moyens de prendre le tournant des énergies renouvelables.

Partout, sur le continent, la concurrence s'organise : énergies renouvelables, hydrogène, stockage d'énergie, les concurrents d'EDF sont à pied d'œuvre. Je refuse que la France et EDF se retrouvent sur le banc de touche de la transition écologique. Mon ambition, celle du Gouvernement, et son engagement, c'est que l'entreprise reste un grand énergéticien et un champion français de la transition écologique et énergétique.

La situation résulte de l'inadaptation des cadres de régulation : les règles en vigueur ont été instaurées il y a plus de dix ans, dans un monde de l'énergie très différent de celui d'aujourd'hui. Dans ces conditions, EDF n'a pas les moyens d'être à la hauteur de notre ambition, ce qui nécessite de traiter deux sujets majeurs.

Le premier est la régulation des concessions hydroélectriques, dont une vingtaine est arrivée à échéance depuis 2011. Depuis qu'EDF a perdu son statut d'établissement public, en 2004, la mise en concurrence est devenue obligatoire à la fin des concessions. Nous sommes donc hors-la-loi et sous le coup d'un contentieux européen pour leur remise en concurrence – celui-ci est provisoirement suspendu compte tenu des discussions en cours.

Je sais l'attachement des collectivités et des territoires aux installations hydroélectriques ; je sais aussi que vous-mêmes êtes attachés à leur bonne gestion, d'autant que ces installations utilisent la ressource précieuse qu'est l'eau. Le sort des concessions est aussi un enjeu social : les personnels sont dans l'incertitude et ce statu quo leur nuit autant qu'il empêche la modernisation des installations. Nous voulons donc trouver une solution. Parmi d'autres scénarios, le Gouvernement explore une voie autorisée par le droit des concessions. Il s'agirait de renouveler, sans mise en concurrence, les concessions à une structure dédiée détenue par l'État. Cela mettrait fin au contentieux européen et permettrait de relancer l'investissement et de conforter les salariés. Ce serait donc un moyen de sortir de cette incertitude pesante qui n'a que trop duré et de redonner confiance aux territoires pour lesquels ces installations sont aussi un outil de développement économique.

Le deuxième sujet est la régulation du nucléaire historique. En vertu du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), tous les fournisseurs ont la possibilité d'acheter à EDF 100 térawattheures issus de la production nucléaire à un prix fixe. Le tarif, 42 euros le mégawattheure, n'a jamais été revu depuis 2012. À l'origine, ce dispositif était prévu pour être transitoire. Son objectif était d'aider au développement de la concurrence dans la fourniture d'électricité ; objectif atteint, puisque 40 % des volumes d'électricité en France sont commercialisés par des fournisseurs alternatifs.

L'ARENH présente plusieurs inconvénients. Il est optionnel et asymétrique, c'est-à-dire que les fournisseurs peuvent ne s'y approvisionner que lorsqu'ils prévoient des prix de marché qui lui sont supérieurs. Son tarif non révisé depuis 2012 ne permet pas de couvrir les coûts et les investissements nécessaires dans le parc existant : l'écart entre le prix de l'ARENH et le coût de l'énergie pèse donc directement sur EDF – mais les acteurs qui lui achètent cette électricité ne sont pas davantage satisfaits puisqu'ils sont rationnés en électricité d'origine nucléaire. Si bien que quand les prix sont élevés, EDF voit ses revenus plafonnés et, quand ils sont bas, EDF n'est pas soutenue. Bref, l'entreprise ne peut pas prendre franchement le virage de la transition énergétique et développer les énergies renouvelables au même niveau que ses concurrents.

Adapter le dispositif de l'ARENH pour le rendre plus juste et plus efficace n'est pas envisageable dans la mesure où il est encadré par la Commission européenne et qu'il arrive à échéance en 2025. Dès lors, que faire pour honorer notre engagement de donner à EDF les moyens d'assumer son rôle dans la transition énergétique du pays ? Ouvrir la discussion avec Bruxelles car, qu'on le veuille ou non, la régulation des marchés de l'énergie est largement européenne.

Que voulons-nous obtenir de cette discussion ? D'abord, la protection des consommateurs français. Ceux-ci ont contribué à constituer un parc de production nucléaire dont la collectivité supporte les risques et pour lequel elle a intérêt à provisionner de manière adéquate le démantèlement. Or, l'ARENH une fois parvenu à son terme, en 2025, les consommateurs seraient directement exposés à un prix de marché français presque totalement déterminé par les prix des matières premières fossiles et du carbone, sans rapport avec la réalité de leur approvisionnement. Les Français ne sauraient accepter la transition énergétique devant une situation aussi contradictoire. Le Gouvernement ne peut pas leur expliquer qu'ils devront payer plus cher leur électricité parce que les prix du carbone, du gaz ou du charbon augmentent, alors que la quasi-totalité de leur électricité est décarbonée. Puisqu'ils ont historiquement participé au financement de cet outil de production, les consommateurs français doivent aussi être protégés contre les variations imprévisibles de leur facture. Pour cela, il faut garantir le financement du parc nucléaire existant, qui nécessite des investissements majeurs – c'est le « grand carénage », le programme de rénovation et de modernisation des centrales nucléaires.

Nous devons donc réformer les conditions de vente de la production nucléaire et faire en sorte qu'EDF soit rémunérée à la hauteur des coûts de production qu'elle supporte. Nous avons également besoin d'avancer au sujet des concessions hydrauliques d'EDF, pour éteindre le contentieux sans remise en concurrence, afin de maintenir ces installations dans le giron public et mettre fin à l'incertitude sur leur avenir. Il s'agit à la fois de protéger les salariés et les territoires. Ceux qui prétendent que ce projet portera atteinte aux tarifs réglementés ou au principe de la péréquation se trompent ou, pire, agitent des contre-vérités pour faire peur. En réalité, rien dans la réforme que nous envisageons ne porte atteinte au principe des tarifs réglementés et la péréquation n'est en aucun cas concernée. Je le dis devant vous : nous ne cachons rien, ni dans les manches ni dans les tiroirs ! Notre ambition, notre seul mandat, c'est de réussir à faire évoluer la régulation en faveur d'EDF, de ses personnels, des consommateurs et de la transition écologique, bref, de notre pays.

Nous avons donc engagé la discussion avec la Commission européenne. C'est un chantier de modernisation sans précédent, dont la taille nécessite de savoir évoluer. Il est vraisemblable, en effet, que les structures internes du groupe et l'organisation de l'entreprise aient à être adaptées, car nous souhaitons faire reconnaître à EDF un rôle particulier de producteur nucléaire de service public à partir de son parc existant. Si la Commission accepte ce nouveau modèle de régulation, elle demandera des garanties, notamment que la régulation ne s'applique que pour l'activité de production nucléaire et non aux autres activités de l'entreprise, afin d'éviter toutes subventions croisées. La même logique s'appliquera pour les concessions hydroélectriques : si elles redeviennent publiques, par exemple en étant intégrées dans une quasi-régie, c'est-à-dire une entité appartenant au secteur public et pilotée par l'État, nous devrons garantir que cette entité n'en financera pas d'autres, concurrentielles, au sein du groupe, comme celle en charge du développement des énergies renouvelables.

En aucun cas il ne s'agit de démanteler le groupe EDF, ni de la privatiser. Je le répète, l'entreprise est et restera un groupe public intégré : quelle que soit l'organisation retenue, toutes ses activités auront vocation à rester détenues majoritairement par l'État. Cela n'a rien d'un dépeçage, d'un démantèlement ou d'une quelconque remise en cause du statut des salariés. Ceux qui le disent ou, pire, veulent le faire croire, ont tort, voire mentent délibérément pour agiter les peurs. Présenter le statu quo comme la meilleure solution est tout autant une erreur : il n'est pas tenable dans la durée.

Nous ne sommes certes pas encore en mesure de décrire le schéma précis de la réforme et de ses impacts sur l'organisation interne du groupe EDF. La raison en est simplement que les négociations avec la Commission européenne sont toujours en cours. Nous n'avons pas même la certitude de parvenir à un accord, car nous nous montrerons intransigeants. Si les conditions d'un accord conduisaient à une forme de démantèlement du groupe, nous ne l'accepterions pas ; si le tarif de l'énergie nucléaire régulée ne permettait pas de couvrir les coûts de sa production, nous ne l'accepterions pas.

En face, toutefois, la Commission demandera que la conformité au droit européen de la régulation que nous proposons soit démontrée et que les mécanismes de régulation soient bien limités au parc nucléaire existant et aux concessions hydroélectriques, sans subventions cachées aux autres activités d'EDF. Elle demandera des garanties afin que les mécanismes de régulation que nous cherchons à construire pour ces deux secteurs ne constituent pas des avantages compétitifs injustifiés au bénéfice des autres activités d'EDF.

Soyons clairs, il n'est pas question d'une quelconque privatisation ; il n'est pas question d'une remise en cause des parcours professionnels des personnels, ni du statut des industries électriques et gazières (IEG). Le groupe EDF est public, il le restera – c'est un engagement –, car il fait partie de notre histoire et de notre conception du service public. Notre seule volonté est de conforter le groupe et son statut de grand énergéticien public au sein d'un marché et d'un système électrique européens, et de lui permettre d'assurer son rôle clé dans la transition énergétique.

Ce vaste chantier n'en est qu'à ses débuts. Sachez-le, nous ne toucherons pas à EDF sans que vous soyez associés, puisqu'il faudra revoir la loi. Jamais la négociation que nous menons ne pourra préempter votre voix, celle des élus de la Nation, ni se passer de la discussion parlementaire préalable et indispensable à toute réforme. De même, la réorganisation n'interviendra qu'après en avoir débattu avec les partenaires sociaux, notamment dans les instances de gouvernance du groupe. L'évolution du groupe EDF ne se fera pas contre la volonté de ses salariés. On ne construit pas le changement depuis un bureau à Paris ou à Bruxelles ; on le fait avec les citoyens et leurs élus, avec les femmes et les hommes qui travaillent au quotidien sur le terrain ; on le fait démocratiquement.

Il était devenu nécessaire d'apporter clarté et précisions dans le débat public. Je vous remercie chaleureusement de m'en avoir donné l'occasion. Avec ce projet, EDF restera le premier énergéticien bas-carbone d'Europe, capable de financer ses moyens et champion de la transition. À des kilomètres d'un démantèlement ou d'une privatisation, c'est bien de l'avenir d'un fleuron national public qu'il s'agit.

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