Je suis ravie d'être parmi vous, à double titre : d'abord parce que je ne connais pas encore tous les membres de cette magnifique commission dont M. Roland Lescure ne cesse de me dire qu'elle fait un travail remarquable, ensuite parce que les sujets qui nous réunissent sont éminemment importants, non seulement pour moi, en tant que ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi, plus généralement, pour l'égalité et la justice sociale dans notre pays. Ils sont à la lisière de nombreux enjeux et débats qui traversent notre société ; ils sont structurants et, j'en ai l'intime conviction, ils contribueront à façonner le visage de la France de demain.
L'égalité entre les femmes et les hommes et l'égalité des chances ont pour dénominateur commun la quête de la justice sociale, enjeu brûlant d'actualité tant la période troublée que nous traversons met les femmes, les personnes les plus précaires et les jeunes à rude épreuve. Nous, responsables politiques, devons nous en saisir avec la plus grande détermination, alors que l'angoisse et la résignation empoignent une grande partie de nos concitoyens.
La crise sanitaire, dont la parenthèse n'est malheureusement pas encore refermée, aura peut-être une vertu : avoir mis en scène un monde où l'économie est subordonnée à une autre dimension, la préservation de la vie, quoi qu'il nous en coûte.
Le Président de la République a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat. Elle est un combat de longue haleine encore inachevé. Chaque jour, je rencontre des femmes et des associations qui luttent pour elle, et je me rends compte que nous sommes confrontés à un défi culturel dont l'égalité professionnelle est une composante majeure. Gisèle Halimi affirmait que l'indépendance économique des femmes est la clé de leur libération ; pour prolonger son propos, je dirai qu'elle est la voie la plus sûre vers l'égalité que nous appelons toutes et tous de nos vœux.
Je viens du monde de l'entreprise : j'ai passé les trente dernières années dans le secteur du BTP, puis dans celui de la tech, où les femmes ne sont pas légion – c'est un euphémisme. J'ai croisé le sexisme, les plafonds de verre et l'invisibilisation, des maux auxquels les femmes restent encore confrontées en France en 2021. Ce ne sont pas que des mots mais bien des réalités, vécues, ou plutôt subies, par beaucoup de nos concitoyennes.
La situation est paradoxale : on n'a jamais autant parlé et agi en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes mais, restons lucides, on avance encore très lentement. Les chiffres parlent d'eux‑mêmes : de 27 % globalement et de 9 % à poste équivalent, les écarts de rémunérations sont à des niveaux très élevés. En 2018, les femmes ne représentaient que 27 % des dirigeants d'entreprise, 15 % des dirigeants de très petites entreprises, et 30 % des créateurs d'entreprise – 12 % dans le secteur de la tech. La même année, elles étaient 30 % à travailler à temps partiel, contre à peine 8 % des hommes – je parle évidemment du temps partiel subi, qui a un impact sur leur situation économique.
Le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes n'est malheureusement pas encore derrière nous. Or, en exprimant ses attentes avec beaucoup de conviction, la nouvelle génération de femmes nous oblige à accélérer.
La loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, dite Copé-Zimmermann, a eu un effet plutôt positif sur la parité au sein des conseils d'administration puisqu'en dix ans, nous sommes passés de 10 % à 45 % de femmes dans ces conseils, ce qui fait de la France le premier pays en Europe à promouvoir cet enjeu avec force et courage. L'index de l'égalité professionnelle a également joué un rôle essentiel. Pour autant, les femmes continuent d'être confrontées à un véritable plafond de verre qui les exclut trop souvent des autres instances de direction, où les décisions sont véritablement prises.
Les faits sont têtus : parmi les entreprises qui composent l'indice boursier SBF 120, douze ne comptent aucune femme au sein de leur plus haute instance de direction et neuf en comptent moins de 10 %. Ainsi, le SBF 120 demeure hélas un boys' club en costumes gris. Il est en fait la face émergée d'une réalité française qui touche les entreprises de toutes tailles.
Pour autant, ces inégalités ne sont pas une fatalité. Avec mes équipes et avec le Gouvernement, je me demande chaque jour ce que nous devons faire pour aller plus vite et plus loin, comment faire pour que la parité ne soit plus une exception mais devienne la règle.
L'index de l'égalité professionnelle créé par le Gouvernement en 2018 pallie une partie de ces injustices. Il concerne toutes les entreprises d'au moins cinquante salariés. Son obligation de transparence est bien intégrée et commence à porter ses fruits. Les résultats de la campagne 2021 montrent cependant qu'il reste beaucoup à faire : seules 2 % des entreprises ont obtenu la note de 100/100, qui devrait pourtant être la norme, et 43 % d'entre elles ne comptent qu'une seule femme ou aucune parmi les dix plus hautes rémunérations.
Face à cette situation, il est nécessaire de redoubler d'efforts pour accomplir les progrès qu'il reste à réaliser. Les entreprises doivent se doter d'objectifs mesurables et mesurés car ce que nous ne comptons pas ne progresse pas et ne se transforme pas. Avec Mme Élisabeth Borne et M. Bruno Le Maire, nous sommes résolument déterminés à avancer plus rapidement. Oui, je plaide pour des quotas dans les instances de direction. Non, exiger la parité n'est pas quémander la charité. La parité est un atout compétitif tout autant qu'un facteur d'attractivité.
Je me réjouis que l'Assemblée nationale, à travers Mme Marie-Pierre Rixain et la majorité, se soit saisie de cette question. L'émancipation économique des femmes réside aussi dans le soutien à l'entrepreneuriat féminin. Ayant commencé ma carrière en créant une entreprise, je sais les difficultés auxquelles les femmes peuvent parfois se heurter.
Pour favoriser l'entrepreneuriat féminin, la loi PACTE a notamment permis de protéger les femmes d'artisans, de commerçants ou d'indépendants, grâce à la réforme du statut de conjoint collaborateur. L'accès aux financements restant l'un des principaux freins, Bpifrance figure parmi les cinquante-six fonds d'investissement ayant signé en 2019 avec le collectif Sista une charte visant à ce que, à l'horizon 2030, 30 % des financements, soit deux fois plus qu'aujourd'hui, soient attribués à des start-up féminines.
Dans ma vie antérieure en entreprise, j'ai observé que l'un des obstacles majeurs à l'entrepreneuriat est la difficulté d'accès à une solution de garde pour les enfants. Avec M. Adrien Taquet, nous avons réduit le coût des assistantes maternelles et des nounous, en particulier pour les femmes seules avec enfants, en augmentant de 30 % le montant du complément de libre choix du mode de garde. Nous renforçons aussi le soutien à la création de nouvelles places de crèches dans les quartiers par une majoration des aides aux communes, effective depuis le 1er janvier 2021. Ces mesures vont dans le sens d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
L'année 2020, qui a été particulière, semble malheureusement s'étirer en 2021. La crise sanitaire a mis en lumière la nécessité d'aider les femmes à s'émanciper. Les femmes sont particulièrement présentes dans les secteurs de la santé, de l'éducation, de la propreté, de l'alimentation et de la distribution, où les métiers sont souvent faiblement rémunérés, insuffisamment valorisés et parfois précaires. Elles ont été aux avant-postes – et elles le sont encore aujourd'hui – dans les EHPAD, les écoles, les hôpitaux, les grandes surfaces et les métiers de la propreté. Malheureusement, la crise a plongé nombre d'entre elles dans la précarité, mais elle n'a été qu'un miroir grossissant d'une réalité qui existait avant la covid-19. Les femmes sont davantage victimes de la pauvreté que les hommes ; elles sont surreprésentées dans les métiers peu qualifiés, gagnent moins que leurs homologues masculins, même à compétences égales, et occupent plus fréquemment des emplois en contrat précaire. Les mères sont plus souvent isolées que les pères : 85 % des familles monoparentales sont composées d'une femme avec enfants et 700 000 d'entre elles vivent sous le seuil de pauvreté.
Pour en finir avec les impayés de pensions alimentaires, qui pèsent pour près de 20 % dans le budget des familles monoparentales, M. Adrien Taquet et moi-même avons créé un nouveau service public des pensions alimentaires. Géré par la Caisse d'allocations familiales (CAF), il est ouvert depuis le 1er janvier 2021 à tous les parents séparés.
Par ailleurs, pour mieux valoriser le rôle primordial des personnels de santé, donc des femmes soignantes, M. Olivier Véran a pris des mesures importantes, annoncées dans le cadre du Ségur de la santé, notamment la revalorisation des salaires des aides-soignants et des infirmiers, qui sont majoritairement des femmes. Le second volet de ces dispositions a été dévoilé hier. S'il faut toujours se garder de verser dans l'autosatisfaction, je crois que ces mesures d'ampleur, très volontaristes, jamais prises auparavant, améliorent la vie des femmes.
La pandémie et ses conséquences, notamment le confinement, ont accru l'inégalité de la répartition des tâches au sein du foyer. Or les inégalités à l'intérieur du domicile et leurs répercussions à l'extérieur ont un impact sur la culture de l'égalité. La culture de l'égalité en actes, c'est, par exemple, l'allongement de la durée du congé paternité, que nous avons portée de quatorze à vingt-huit jours. Beaucoup en avaient parlé, ce Gouvernement l'a enfin fait !
Si l'égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause du quinquennat, l'égalité des chances doit en être le fil rouge. Avant de revenir sur les actions du Gouvernement en la matière, je vous lis quelques lignes, que vous connaissez tous mais qui m'inspirent au quotidien dans ma tâche : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé ». Ce sont les mots qu'Albert Camus, tout juste auréolé du prix Nobel de littérature, a adressés à son professeur Louis Germain. L'instituteur de la rue Aumerat d'Alger s'était aperçu très vite des qualités de M. Camus, et il avait décidé de l'accompagner alors même que la mère de l'enfant était illettrée. Louis Germain aura été la chance de la vie de Camus. Ce miracle républicain, dont l'homme de lettres se souviendra toute sa vie, est celui que nous devons encourager dans notre pays. L'histoire entremêlée d'Albert Camus et de Louis Germain est l'illustration que la République peut changer des vies.
Pourtant, comme l'a rappelé le Président de la République lors de son discours pour le cent cinquantième anniversaire de la proclamation de la République, « l'égalité des chances n'est pas encore effective aujourd'hui ». Pour de multiples raisons, l'égalité reste un principe et non une réalité pour bon nombre de nos concitoyens. C'est pourquoi le Gouvernement s'est mobilisé dès le début du quinquennat pour s'attaquer aux inégalités à la racine, notamment par la création des internats d'excellence, qui seront installés dans chaque département d'ici à 2022, par la mise en place des cordées de la réussite et par le versement d'une aide exceptionnelle à l'emploi qui vise, dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », à accompagner chaque jeune sur le marché du travail. À cela s'ajoutent de nombreuses mesures concrètes : le plan d'investissement dans les compétences, qui a permis de former plus d'un million de demandeurs d'emploi et de jeunes peu ou pas qualifiés ; le plan « talents du service public » déployé par Mme Amélie de Montchalin ; le dispositif « 1 jeune, 1 mentor » lancé par Mme Sarah El Haïry et M. Thibaut Guilluy ; la mission sur l'équité territoriale confiée par le Premier ministre à M. Saïd Ahamada.
À la suite de l'engagement pris par le Président de la République le 4 décembre 2020, le Gouvernement a créé une plateforme de lutte contre les discriminations. Confiée au Défenseur des droits, accessible au 3928 et sur le site antidiscrimination.fr, elle est destinée à lutter contre une certaine banalisation des discriminations qui nous conduit parfois à accepter l'inacceptable.
Le 8 avril 2021, nous avons lancé avec M. Marc Fesneau la grande consultation citoyenne annoncée par le Président de la République pour lutter contre ce fléau. Accessible sur le site consultation-discriminations.gouv.fr, elle est pilotée par mon ministère mais mobilise, depuis décembre 2020, l'ensemble du Gouvernement. Elle est ouverte à tous jusqu'au 31 mai. Je compte sur vous, Mesdames et Messieurs les députés, ainsi que sur l'ensemble des citoyens, des associations, des entreprises et des collectivités locales, pour y participer. Ce grand moment de démocratie participative, de débat, de dialogue et de réflexion sur une question qui intéresse tout un chacun pourra apporter des solutions concrètes pour lutter contre ces injustices. En plus d'être des injustices individuelles, ces discriminations sont des entorses à nos valeurs républicaines qu'il nous faut absolument conjurer.
Vous l'aurez compris, mon ministère a en son cœur l'Égalité avec un « É » majuscule. En cette période tourmentée, notre tâche reste immense et les réponses à apporter sont multiples. Pour cela, le Gouvernement et la majorité sont sur le pont.
Derrière chaque crise se dresse une opportunité. Celle qui s'offre à nous aujourd'hui nous invite à construire un monde plus inclusif, plus juste et plus égalitaire. Je sais pouvoir compter sur vous pour être à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes collectivement confrontés.