Intervention de Antoine Frérot

Réunion du mardi 6 juillet 2021 à 17h30
Commission des affaires économiques

Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia :

Pour conclure notre OPA, nous attendons la décision de conformité de l'Autorité des marchés financiers concernant l'offre, et le feu vert des 22 autorités antitrust que nous avons saisies de par le monde. Six ou sept d'entre elles nous ont déjà répondu. Notre choix de regrouper les activités françaises d'eau et de traitement des déchets de notre groupe dans le nouveau Suez devrait en faciliter l'obtention.

Nous comptons notifier officiellement notre opération à l'autorité européenne en charge de la concurrence au mois de septembre. Sa réponse devrait nous parvenir fin octobre. Nous lancerons alors l'OPA sans condition suspensive antitrust, cinq semaines plus tard, de manière à clore l'opération fin novembre ou en décembre.

L'accord du 12 avril a acté le désistement de Veolia et de Suez de leurs contentieux juridiques l'une envers l'autre. Il reste à ma connaissance un contentieux lancé par quelques organisations syndicales chez Suez, mais il ne concerne pas la direction.

Hors de France, les activités de Veolia et Suez se superposent assez peu, excepté dans le Nord de l'Angleterre et la région de Sydney, en Australie, ainsi que dans le domaine de l'eau industrielle. Le respect de la concurrence me semble assuré en France, puisque nous avons accepté que les activités françaises de Suez demeurent indépendantes de Veolia. En Australie, la vente, par Suez, de son activité d'enfouissement des déchets à Sydney, devrait régler le problème : nous attendons l'accord des autorités australiennes cet été. Nous avons obtenu l'accord des autorités américaines dès le mois de mai. Les difficultés relatives aux autorités antitrust devraient se lever au cours du second semestre 2021.

L'État, principal actionnaire d'Engie, dont trois représentants du ministère des finances siègent au conseil d'administration, a avalisé sa décision de vendre sa participation dans Suez, par souci de voir Engie clarifier sa stratégie. Je ne saurais vous dépeindre la position de l'État qui, de fait, peut s'avérer plurielle. Je n'en suis pas moins resté attentif à ses préoccupations, qui portaient sur trois éléments : maintenir voire renforcer la concurrence dans l'eau et les déchets en France, préserver l'emploi et les avantages sociaux des salariés de Suez, et enfin garantir la souveraineté.

Dès lors qu'Engie a mis en vente ses actions de Suez, seul le projet de rachat de Veolia permettait à Suez de rester français. Veolia a veillé à doter le nouveau Suez d'actionnaires majoritairement français. Nous pensons donc avoir apporté des réponses claires et solides aux préoccupations de l'État.

Je confirme le chiffre de 500 millions d'euros annuels de synergie de coûts que nous visons. Sa mise en œuvre est prévue sur quatre années à compter de la finalisation de l'OPA, de 2023 à 2027. L'optimisation des achats devrait permettre une économie de 200 millions d'euros sur une base d'achats de 13 milliards d'euros. Les 300 autres millions viendront de ce que j'appelle l'efficacité industrielle, à savoir la capacité de faire fonctionner nos équipements avec moins d'énergie et de produits chimiques, et la généralisation, à nos deux groupes, des meilleures pratiques de maintenance de nos équipements complexes.

Aucune synergie de coûts ne proviendra de la masse salariale. Nous garantissons l'emploi de tous les salariés français de Suez et leurs avantages sociaux pour les quatre années à venir. Le consortium en fera autant pour les cinq années suivant le rapprochement.

Le partage des périmètres entre le nouveau Suez et Veolia ne s'apparente nullement à un accord de Yalta. Le nouveau Suez, au chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros, reste libre d'entrer en concurrence avec Veolia partout dans le monde, et réciproquement. La principale revue consacrée aux activités d'eau dans le monde a récemment estimé que le nouveau Suez se classerait au troisième rang mondial des opérateurs de l'eau. Il pourra ainsi assurer une concurrence efficace à peu près partout sur la planète. Rappelons que la Saur, beaucoup plus petite, concurrence déjà Veolia et Suez en France.

Veolia n'est pas une société à mission. Elle s'est simplement défini une raison d'être, présentée en assemblée générale, et qui tient lieu de boussole à notre stratégie et notre projet de rapprochement avec Suez.

Les plans de relance, français, européens ou autres, accordent tous une large place aux problématiques écologiques. Veolia projette évidemment de proposer des solutions aux questions qu'ils mettent en avant. Leur implémentation consolidera donc notre volonté de concevoir des solutions innovantes. Inversement, les solutions de transition écologique que nous proposerons aideront à atteindre les objectifs de ces plans de relance.

Nous garantirons le succès de notre opération par un rapprochement harmonieux, exempt de toute discrimination, des deux équipes, qui ont d'ailleurs commencé à se rencontrer dans cet objectif. Chaque collaborateur de nos deux groupes, équitablement traité et objectivement évalué, bénéficiera d'un plan de carrière pour les années à venir. La proximité des cultures métier facilitera la transition, et notre ambition de hisser notre groupe au rang de champion de la transformation écologique surmontera aisément les éventuelles réticences.

Si Veolia n'avait pas proposé l'OPA sur le point d'aboutir, la France aurait perdu Suez, car seule une entreprise étrangère aurait pu la racheter. Ne serait-ce que pour cette raison, le projet de Veolia bénéficie à la France.

En outre, Veolia et Suez, bien que leaders de leurs secteurs, doivent compter avec des concurrents chinois et américains. Au vu de l'ampleur du marché chinois, ce qui s'y est déjà passé pour d'autres métiers se répètera au cours des vingt prochaines années : nos concurrents locaux y acquerront une taille suffisante pour se lancer dans d'autres régions du monde. Le regroupement, dès maintenant, de Suez et Veolia permettra à la France de conserver son leadership une vingtaine d'années encore.

Si nous avions agi de même dans le domaine ferroviaire, nous aurions connu moins de déboires. Voici vingt-cinq ans, le leader chinois des chemins de fer était cinq fois plus petit qu'Alstom. Aujourd'hui cinq fois plus gros, il remporte presque tous les marchés en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine.

Les activités de Suez en France conserveront leur indépendance par rapport à Veolia. Nous dénombrerons dans nos secteurs d'activité le même nombre d'entreprises demain qu'hier. Les actionnaires du nouveau Suez ont annoncé qu'ils s'engageaient à investir industriellement plus que ce que Suez accordait en la matière à ses filiales françaises ces dernières années. La concurrence semble donc appelée à augmenter et non à reculer.

Le nouveau Suez, tout à l'heure qualifié de petit filleul, occupera le troisième rang mondial dans le secteur de l'eau, et le cinquième dans celui de l'environnement, en prenant en compte le traitement des déchets.

Je ne vois pas pourquoi la rentabilité de notre groupe diminuerait, à moins de considérer les marchés français comme moins rentables que d'autres, ce qui n'est d'ailleurs pas faux. Pour autant, la concurrence en France, déjà vive aujourd'hui, se maintiendra au même niveau.

Le contrat du SEDIF, au renouvellement prévu pour 2023, représente 300 millions d'euros de chiffre d'affaires par an, soit un peu moins d'1 % de l'activité de Veolia. Celui de Toulon, en cours d'attribution, rapporte encore moins.

L'EBITDA de Suez équivaut à 3,2 milliards d'euros. Le prix fixé par Veolia pour les actions de Suez, majoré de la dette de Suez, correspond à huit à neuf fois son EBITDA et non onze fois. Ce prix est rentabilisable par l'activité elle-même, les synergies de coût et, surtout, les synergies de développement à venir. Veolia cote aujourd'hui à peu près sept fois son EBITDA. Notre OPA s'avère donc tout à fait compatible avec les équations économiques auxquelles nous nous fions d'habitude.

Les 27 milliards d'euros à financer correspondent à 13 milliards d'euros d'actions au prix de 20,50 euros chacune ainsi qu'à 14 milliards d'euros de dettes. D'abord, nous cèderons le nouveau Suez à ses nouveaux actionnaires, contre 10,5 milliards d'euros. Nous prévoyons ensuite une augmentation de capital de 2,5 milliards d'euros à l'automne, que nous complèterons par une émission hybride de 2,5 milliards d'euros. Ne manqueront dès lors plus que 11 à 12 milliards d'euros. Ils viendront de la dette existante de Suez, que nous reprendrons.

En 2023, le ratio dettes/EBITDA de Veolia sera inférieur à trois. De fait, tel est déjà le cas aujourd'hui, alors que chez Suez, ce ratio dépasse légèrement ce chiffre. Les agences de notation considèrent un tel ratio acceptable pour les entreprises aux contrats de long terme comme les nôtres. De fait, les deux agences qui nous évaluent ont déjà confirmé la notation investment grade attribuée à Veolia.

Nous avons exigé du consortium propriétaire du nouveau Suez qu'il s'engage à ce que sa dette entre elle aussi dans la catégorie investment grade (celle des titres investissables) pour éviter tout surendettement.

Une dette plafonnée à trois fois notre EBITDA préservera notre capacité de développement ultérieur. En somme, le financement de notre OPA a été conçu pour ne pas obérer notre développement organique, pour lequel nous continuerons d'investir entre 500 millions et un milliard d'euros chaque année.

Les 350 millions d'euros d'économies que nous envisageons en 2021, dont 250 que nous réalisons à peu près chaque année, auxquels s'ajoutent des provisions liées à la pandémie, ne sont pas compris dans les 500 millions d'euros de synergie de coût, puisqu'ils ne concernent que les activités actuelles de Veolia. De mémoire, Suez avait prévu un plan de 200 millions d'euros d'économies pour 2021, que nous incluons quant à eux dans les 500 millions d'euros.

Dès le début, nous avons rendu public notre projet de rapprochement, son ambition et ses moyens, qui n'ont pas changé depuis. Cette cohérence et cette constance expliquent son succès.

En matière d'investissement dans la recherche et le développement opérationnels, Suez dépense en réalité à peu près autant que Veolia. Dans nos métiers, la recherche se déroule moins en centres dédiés que sur le terrain. Veolia dépense chaque année, en matière d'innovation, 180 millions d'euros.

Chaque salarié de Veolia sur le terrain a reçu l'an dernier une prime spéciale de 1 000 euros saluant son engagement en temps de pandémie.

Veolia passe pour une entreprise d'ingénieurs où ceux-ci tiendraient le haut du pavé. Les innovations dans nos métiers ne relèvent pourtant pas de la pure technique, puisque nous manipulons des outils socio-techniques, ce qui explique d'ailleurs l'intérêt de mentalités variées dans nos métiers touchant à la vie de tant de personnes. Nous cherchons à mixer les compétences. Veolia n'est pas non plus une entreprise de financiers, mais une société industrielle, qui le restera.

La crainte existe que Veolia ne demeure pas leader mondial de son secteur. J'aimerais, dans vingt ans, que chaque industriel, chaque territoire souhaitant œuvrer à sa transition écologique et en quête de solutions se tourne d'abord vers Veolia. Je considèrerai notre pari gagné si Veolia fait à l'avenir figure de référence en la matière.

De même que Suez, Veolia a déjà noué de nombreux partenariats avec la recherche publique, française ou étrangère. Nous poursuivrons au moins les programmes en cours, si nous ne les renforçons pas.

Le meilleur outil réglementaire pour réussir la transition écologique me paraît la redevance carbone. Si chaque pollueur se voyait appliquer une redevance utilisée pour subventionner ceux qui dépolluent, l'ensemble des acteurs, individuels ou économiques, s'alignerait rapidement et des projets écologiques verraient le jour. S'il coûtait plus cher de polluer que de ne pas polluer, la pollution cesserait, comme cela s'est produit dans le domaine de l'eau.

L'OPA n'a pas coûté 10,4 mais 27 milliards d'euros : 13 pour les actions et 14 pour la dette de Suez. Il me semble avoir déjà expliqué comment Veolia gère ce risque financier, qui n'en est pas un.

J'estime le nouveau Suez viable, durablement. Tel était du moins l'objectif poursuivi par la construction de son actionnariat à long terme, la limitation de son endettement, son projet industriel plutôt que financier, et les garanties sociales et d'investissement industriel fournies. S'il n'en allait pas ainsi, il reviendrait à Veolia d'assumer les risques. Voilà pourquoi, depuis un an, nous avons tenu à ce que Meridiam se retrouve au cœur du dispositif, soutenue par la Caisse des dépôts.

La Générale des eaux a quitté la Guadeloupe depuis cinq ans. Elle y a perdu 120 millions d'euros au cours de ses dix dernières années d'activité, parce que les collectivités, chargées par contrat du renouvellement du réseau, ne s'en sont pas occupées. L'État l'a constaté par l'accord Binot de 2009, prévoyant même de se substituer aux collectivités, ce qu'il n'a pourtant pas fait. Par ailleurs, il a fallu attendre le vote d'une loi par le Parlement cette année pour organiser une gestion de l'eau unique en Guadeloupe. La déficience de gouvernance complète des collectivités explique la situation que vous évoquez, Madame Panot. Le nouveau Suez poursuivra les activités françaises de Suez, y compris outre‑mer.

Le plastique qui pollue la mer vient des rivières, faute d'avoir été collecté sur la terre. Le problème résulte donc d'un défaut de système de collecte moderne, ce pourquoi il s'observe surtout dans les pays en étant dépourvus. Nous avons imaginé en Indonésie, en Inde ou au Bangladesh, des systèmes alternatifs de collecte rémunérant les ramasseurs de bouteilles en plastique en vue de leur recyclage. Nous œuvrons en Indonésie en partenariat avec Danone, qui nous confie la production de plastique recyclé pour ses très nombreuses bouteilles.

La gestion des déchets intéresse au plus haut point Veolia, qui récupérera l'ensemble des activités de Suez dans ce domaine hors de France. Nous y voyons le principal enjeu de la transition écologique, aussi bien par rapport à la pollution qu'à l'émission de carbone, tant le recyclage s'avère économe du point de vue de ces émissions.

Nous nous intéressons par ailleurs au monde agricole, et nous nous estimons en mesure d'alléger la tension relative à la ressource en eau par l'utilisation des eaux usées à des fins d'irrigation, notamment en zone littorale. Vendredi prochain, en Vendée, je lancerai avec le président de Vendée Eau un projet de réutilisation des eaux usées à des fins domestiques, premier du genre en France. J'espère que la réglementation européenne nous accordera le droit de généraliser notre expérimentation pour l'aspersion de terres agricoles dans le Sud‑Ouest de la France.

L'organigramme du nouveau groupe n'est pas encore arrêté. Toutes les filiales de gestion de l'eau et de déchets solides en France rejoindront le nouveau Suez, de même que toutes les filiales africaines et italiennes, le centre de recherches et les filiales eau de l'actuel Suez en Chine et en Inde. Le nouveau Suez choisira l'une de ces sociétés pour servir de holding.

Il restera ensuite à se partager le siège monde. Nous avons convenu avec le consortium d'un principe de répartition des effectifs, assurant au nouveau Suez une complète autonomie de fonctionnement dès son premier jour d'existence et permettant à Veolia d'assurer des tâches telles que la paye ou la facturation le temps que ces activités migrent vers notre propre système. Pour ce faire, en vertu d'accords d'agrément puis de commande, nous nous servirons des logiciels actuellement en usage chez Suez.

Notre OPA sur Suez s'inscrit dans le cadre de la vision à long terme que nous nourrissons de notre entreprise et de sa raison d'être, même si cette opération n'a été rendue possible que par la vente des titres détenus par Engie.

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