Intervention de Barbara Bessot Ballot

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 15h05
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Bessot Ballot, rapporteure pour avis :

Depuis le transfert réalisé en loi de finances initiale pour 2021, c'est à l'action n° 4 du programme 305, Stratégies économiques, que sont inscrits les crédits expressément consacrés au financement de la politique publique menée en matière d'économie sociale et solidaire (ESS), laquelle relève ainsi désormais de Bercy, conformément aux vœux de nombreux acteurs du secteur. Au risque de me répéter, je voudrais à nouveau souligner combien l'été 2020 a marqué un tournant pour l'économie sociale et solidaire, avec la création d'un secrétariat d'État, incarné avec énergie et vision par Mme Olivia Grégoire. Toutefois, l'action n° 4 ne reflète pas l'ensemble de l'effort budgétaire consenti en faveur de ce secteur et je me félicite de ce que d'autres missions et d'autres programmes puissent soutenir ses acteurs, même de manière indirecte.

Je tiens à réaffirmer cet après-midi une conviction : dans l'édification d'une société plus juste et équilibrée, l'économie sociale et solidaire a un rôle à jouer en ce qu'elle propose des modèles qui, loin d'opposer des considérations économiques à la poursuite de buts d'utilité sociale, les réconcilient, en accordant toute leur place au respect des enjeux éthiques et à la valorisation des territoires. Représentant 10 % du produit intérieur brut national et 14 % de l'emploi privé – avec 12 millions de bénévoles et 2,4 millions de salariés –, l'économie sociale et solidaire constitue un secteur économique à part entière, présent dans tous les domaines d'activité.

Il importe donc de lui donner les moyens de se structurer et de s'affirmer afin qu'elle prenne toute sa part dans la construction d'une croissance inclusive et s'oriente davantage vers l'économie réelle. Assurément, le projet de loi de finances pour 2022 contribue pleinement à la réalisation de cet objectif, puisqu'il tient le cap d'une politique qui, tout au long du quinquennat, s'est employée à donner à l'ESS les moyens d'exprimer et de préserver tout son potentiel, dans les temps ordinaires comme dans des circonstances exceptionnelles. Je pense en particulier au dispositif UrgencESS qui, au plus fort de la crise sanitaire, a permis la mobilisation de 30 millions d'euros au bénéfice de près de 4 800 structures comptant moins de dix équivalents temps plein (ETP).

Comme le montre la première partie de mon rapport, le projet de budget pour 2022 inscrit l'engagement de l'État dans la durée. D'une part, le montant des crédits de paiement inscrits à l'action n° 4 passe de 17,54 millions d'euros à 19,25 millions d'euros, soit une progression de 9,72 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2021, et dépasse les sommes inscrites en 2020. D'autre part, la programmation budgétaire assure la continuité de financements qui répondent à des enjeux essentiels pour la structuration et la croissance de l'ESS.

En premier lieu, des crédits sont alloués au développement des contrats à impact social. Je sais que ce dispositif innovant suscite des réserves, voire des craintes. Mais objectivement, il présente l'intérêt de renouveler et de diversifier les instruments de financement de l'économie sociale, solidaire et responsable. En pratique, ces contrats favorisent une association plus étroite des investisseurs autres que les personnes publiques à la réussite d'actions d'utilité sociale. De mon point de vue, un recours proportionné à ce dispositif peut constituer une démarche vertueuse.

En second lieu, le budget pour 2022 consacre des ressources utiles à la structuration d'un écosystème que d'aucuns peuvent juger complexe. Au-delà de la reconduite des crédits alloués au soutien des têtes de réseau, il met l'accent sur un financement accru des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), avec deux objectifs : la labellisation de quinze nouveaux PTCE et la création d'un bouquet de services. Je considère que cette orientation est décisive, car ces dispositifs présentent deux vertus : d'une part, ils peuvent offrir un cadre à la mise en commun de ressources et à des coopérations entre associations, coopératives, tiers lieux, entreprises et collectivités publiques ; d'autre part, ils sont de nature à favoriser un changement d'échelle dans la réalisation de projets mobilisant d'autres ressources que les microfinancements ou les subventions.

Dans cette même optique, il convient par ailleurs de souligner le caractère stratégique des ressources dégagées pour l'affermissement des dispositifs locaux d'accompagnement (DLA). En effet, ceux-ci visent à favoriser la consolidation et le développement des emplois et des projets des structures d'utilité sociale grâce à un accompagnement sur-mesure et gratuit. Ils bénéficient aujourd'hui à près de 6 000 structures et se déploient sur l'ensemble du territoire. Les 11,3 millions d'euros dégagés par la programmation budgétaire devraient contribuer à consolider ce réseau, qui peut et doit répondre à un besoin de conseils et d'expertises. C'est un point que j'avais souligné l'an dernier dans mon rapport pour avis et, lors de la discussion des amendements, la secrétaire d'État Olivia Grégoire s'était engagée à augmenter les ressources des DLA.

Compte tenu de ces choix et des moyens de l'action n° 4 du programme 305, je donnerai un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'économie sociale et solidaire.

Mais si le soutien des collectivités publiques revêt une importance cardinale, il ne saurait conduire à négliger les moyens de diversifier les ressources de l'économie sociale et solidaire, dans le double objectif d'accroître le potentiel de financement mobilisable au service du modèle et de renforcer durablement l'autonomie financière des entreprises du secteur vis-à-vis du soutien de la sphère publique.

En effet, l'ESS renvoie parfois l'image d'une économie sous perfusion. Ce lieu commun peut nuire à sa crédibilité et renforcer la perception d'un modèle non viable économiquement. Or, l'ESS regroupe une très grande diversité de structures et d'activités : des associations en très grande majorité, des fondations, mais aussi des coopératives, des mutuelles et des sociétés commerciales à finalité sociale. On le voit : le secteur compose avec des considérations économiques qui font tout autant partie de son ADN que l'utilité sociale.

À cet égard, tout en affirmant sans ambiguïté le bien-fondé d'un financement public consolidé de l'ESS dans la durée, il est souhaitable d'enclencher une dynamique vertueuse qui permettrait à chaque entreprise du secteur de bénéficier d'un financement équilibré. Cette démarche apparaît particulièrement pertinente dans le contexte d'une montée en puissance de la notion d'impact dans l'économie dite « conventionnelle ». On assiste ainsi à la popularisation d'enjeux pour lesquels l'ESS a été et demeure pionnière. Il est par conséquent opportun de tirer parti d'un phénomène qui peut assurément susciter l'intérêt des financeurs privés pour l'ESS, voire devenir, à terme, l'un des vecteurs de l'« ESSisation » de l'économie classique.

C'est dans cette optique que j'ai choisi de consacrer la seconde partie de mon rapport aux conditions d'une participation du secteur privé au financement de l'ESS.

Premier enseignement : il est nécessaire de disposer d'un suivi statistique actualisé de l'activité économique et des modalités de financement de l'économie sociale. De fait, l'absence de données et d'éléments d'analyse des flux financiers et des investissements au bénéfice de l'ESS hypothèque toute évaluation approfondie. Aux termes de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, le suivi statistique annuel de l'activité économique et des modalités de financement du secteur incombe à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), aux services statistiques ministériels, à la Banque de France ainsi qu'à la Banque publique d'investissement (« BPI France »). Pour l'efficacité de l'action publique, il importe donc que cette mission légale soit pleinement accomplie.

Il apparaît ensuite nécessaire de conforter l'accès de l'ESS aux instruments communs d'investissement. Dans les faits, la possibilité de recourir aux dispositifs de financement ouverts à d'autres acteurs privés demeure en effet théorique, notamment en ce qui concerne les prêts bancaires. D'après plusieurs travaux, dont ceux de la commission présidée par M. Frédéric Tiberghien en 2017, cette difficulté pourrait résulter d'une appréciation défavorable des exigences que comportent, pour des investisseurs éventuels, les caractéristiques du modèle de l'ESS. Ainsi, le principe de lucrativité limitée interdit ou encadre très strictement le partage et l'usage des bénéfices éventuels. En outre, l'impossibilité de placer des parts du capital social sur les marchés boursiers exclut toute plus-value sur les titres cédés, comme dans le modèle du capital risque traditionnel. D'autres analyses démontrent que les structures et entreprises de l'ESS se heurtent à une surestimation du risque financier qu'elles représentent en cas d'emprunt ; elles soulignent en outre leurs difficultés à répondre à des exigences de rentabilité, difficultés qui conduisent certains investisseurs à renoncer à participer à leur développement.

Face à ce qui pourrait relever d'une faille de marché, il faut d'abord veiller à l'efficacité des régimes de garantie. Cette activité incombe aujourd'hui à BPI France qui, outre ses propres dispositifs de financement, assure la gestion du Fonds de cohésion sociale (FCS) pour le compte de l'État. Il convient ensuite d'accompagner les structures de l'ESS et d'améliorer la connaissance qu'ont les investisseurs privés de la spécificité de son modèle.

Il existe aujourd'hui des freins à l'investissement privé qui tiennent notamment à la méconnaissance des outils existants chez les entrepreneurs sociaux, à une faible connaissance des initiatives locales ainsi qu'à la difficulté d'appréhender les implications des activités de l'ESS. C'est pourquoi mon rapport préconise de consolider la place et le rôle des DLA.

En plus de l'organisation d'un véritable parcours d'accompagnement par les chambres régionales de l'économie sociale (CRESS), il est nécessaire d'associer plus étroitement aux actions de promotion de l'ESS les chambres de commerce et d'industrie (CCI), voire les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA).

En dernier lieu, j'appelle l'attention de la commission sur les enjeux décisifs liés au développement de certaines modalités d'investissement innovantes. Il existe en effet des instruments et des circuits de financement conçus pour répondre aux spécificités et aux finalités d'utilité sociale des modèles de l'ESS. Il faut y voir le résultat des initiatives prises non seulement par l'État et les collectivités territoriales, mais également par des réseaux spécialisés, ainsi que par certaines institutions financières. Il reste toutefois à établir dans quelle mesure ils répondent aux besoins de l'écosystème, compte tenu de leur caractère relativement embryonnaire.

Dans cette optique, un premier axe de travail pourrait consister à engager la rénovation des outils créés ou formalisés par la loi du 31 juillet 2014. Je pense en particulier aux obligations et aux titres associatifs qui, dans leur principe, doivent procurer des ressources en fonds propres et quasi-fonds propres. Toutefois, il n'est pas certain qu'ils puissent rendre attractif l'investissement dans les structures de l'ESS car le code monétaire et financier plafonne la rémunération de tels placements. Il pourrait donc être utile – ainsi que l'envisage le Gouvernement – d'augmenter la rémunération servie aux souscripteurs des titres. Une réflexion pourrait également être menée sur les exigences afférentes à la qualité des investisseurs et aux structures susceptibles d'émettre des obligations et des titres.

Un second axe de travail pourrait porter sur le développement de l'épargne ou de la finance solidaires. D'après les statistiques fournies par l'association FAIRE, l'encours total placé dans l'épargne ou la finance solidaires atteignait 20,35 milliards d'euros en 2020. En hausse de 33 % sur un an, il connaît un accroissement continu depuis le début des années 2010.

De mon point de vue, les pouvoirs publics doivent poursuivre leurs efforts pour soutenir cet essor, en se donnant deux objectifs. Le premier est de parfaire l'organisation d'une véritable épargne solidaire réglementée, sans toutefois entamer la capacité d'innovation des acteurs financiers. Dans le cadre de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, le législateur s'est efforcé de conforter l'attractivité de la finance solidaire, notamment en prévoyant l'obligation de proposer aux souscripteurs d'une assurance-vie, à compter de 2022, des produits comportant au moins une unité de compte labellisée « investissement socialement responsable ». Afin de maximiser les ressources tirées de produits existants, nous pourrions également envisager d'affecter une partie de l'encours de chacun des livrets d'épargne réglementés à des placements ou à des dons en faveur de l'ESS. Dans une logique analogue, je préconise d'examiner la possibilité de relever la part des actifs solidaires souscrits dans le cadre des fonds dits « 90/10 ».

Le second objectif consiste à mieux orienter les ressources de l'épargne ou de la finance solidaires, ce qui soulève la question de l'identification des acteurs de l'ESS susceptibles d'en bénéficier. C'est la raison pour laquelle je préconise de poursuivre la simplification de l'agrément entreprise solidaire d'utilité sociale (ESUS) et de renforcer son attractivité au plan fiscal. Je vous remercie de votre attention.

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