Intervention de Éric Bothorel

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 15h05
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Bothorel, rapporteur pour avis :

Monsieur Corceiro, vous avez raison : le pouvoir d'achat, l'acculturation au numérique et la disponibilité des infrastructures sont autant de facteurs qui jouent un rôle dans l'inclusion numérique et, partant, dans l'accès à de nombreux services publics. Beaucoup a été fait en la matière, mais beaucoup reste à accomplir, notamment pour accompagner ceux qui ont besoin d'une acculturation aux réseaux. La problématique est complexe, car c'est une population hétérogène du point de vue de l'âge, du milieu social et de la localisation. L'action des médiateurs du numérique, qui se rendent dans les territoires, au plus près des besoins, devrait contribuer à résorber les difficultés.

L'année 2021 restera dans l'histoire comme celle où les courbes de la fibre et du cuivre se sont croisées. On aura connu, cette année, une accélération du déploiement des prises et des antennes. La France est le pays où la fibre se déploie le plus rapidement au monde. Notre machine industrielle n'a pas été altérée par le confinement car chacun – opérateurs, autorités de régulation, Gouvernement – s'est mobilisé pour la préserver. Quant au réseau mobile, la 4G couvre près de 99 % du territoire ; il faut à présent franchir le dernier kilomètre.

Les TPE et les PME ont des besoins spécifiques – j'ai récemment évoqué la question de l'organisation de ce marché avec Mme Laure de La Raudière, qui en avait fait son cheval de bataille lorsqu'elle siégeait sur les bancs de l'Assemblée. Les TPE et les PME doivent pouvoir accéder à la fibre ou à des services particuliers et disposer au minimum d'une garantie de service ou de redémarrage, autrement dit à quelque chose de plus professionnel que la seule offre domestique, et cela, à des tarifs abordables. Ma détermination demeure intacte en la matière.

J'en viens à la mutualisation, qui a été évoquée par M. Lamirault. On compte aujourd'hui un peu moins de deux antennes par support, tous opérateurs confondus ; 70 % des antennes des membres de la Fédération française des télécoms – c'est-à-dire, des trois opérateurs – sont mutualisées ; enfin, on recense 2,8 antennes par support mutualisé pour les membres de la FFT. C'est dire que l'effort est déjà engagé.

On entend dire, parfois, qu'il faudrait réduire le nombre des antennes, par exemple pour la 5G. Or, un téléphone portable émet d'autant plus d'ondes que le signal de l'antenne est faible. On peut donc être fondé à penser que, plus il y a d'antennes, moins on expose les gens aux ondes. Mme Laure de La Raudière et moi-même avions recommandé, en amont du New Deal, d'explorer le champ du roaming, qui permet d'accéder aux infrastructures disponibles quel que soit l'opérateur. Cette option n'a pas été retenue pour ne pas altérer le marché. Il est essentiel que l'on pilote et que l'on contrôle les obligations, concernant en particulier les voies de circulation et les contreparties données : c'est le rôle de l'ARCEP. Cela étant, les opérateurs respectent en grande partie leurs engagements.

On pourrait aller plus loin. Je propose ainsi dans mon rapport la publication de données ouvertes concernant notamment le dispositif de couverture ciblée ou d'autres opérations, pour éclairer les citoyens. On comprendrait pourquoi des antennes ne sont finalement pas installées, que cela tienne à l'alimentation électrique ou à des oppositions locales. Cela instillerait de la confiance et dépassionnerait le débat.

Madame Pinel, s'agissant du réseau de la fibre, InfraNum estime que les raccordements complexes concernent environ 2,1 millions de prises. Plutôt que la localisation dans une zone plus ou moins dense, c'est surtout la disponibilité d'un réseau électrique à proximité qui entre en ligne de compte. En tout état de cause, on devra proposer des solutions à ceux de nos concitoyens qui ne pourront recevoir la fibre parce que leur raccordement exigerait des moyens financiers hors de la portée des opérateurs. Et il est difficilement envisageable que les départements ou l'État financent ces opérations. Les 150 millions d'euros fléchés pour les raccordements complexes sont très en deçà des efforts qu'il faudrait fournir pour faire passer le taux de raccordement de 99 % à 99,9 %, voire 100 % de la population.

Concernant l'IFER, je regrette que le Gouvernement n'ait pas présenté le rapport que nous lui avions demandé. L'Inspection générale des finances a produit un excellent travail, dont le contenu semble connu de la presse. Il faut rappeler que la France est le pays où les tarifs des forfaits de téléphonie mobile sont les plus faibles, à l'échelle de l'Europe, et peut-être même du monde, ce qui réduit d'autant les revenus des opérateurs. Loin de moi l'idée de leur demander d'augmenter le prix de leurs forfaits, mais l'IFER fait peser une pression croissante. Cet impôt repose sur une base inégalitaire au possible, puisque Paris en est le premier bénéficiaire, alors que c'est une recette totalement marginale dans son budget. Ne pas en débattre, au motif que c'est une recette dynamique, ce serait mettre en difficulté une partie de notre appareil de production, lequel garantit la couverture numérique du territoire. Dans cette hypothèse, le projet de loi de finances continuerait à être amendé chaque année, comme c'est le cas depuis quatre ou cinq ans ; mais il devient, de la sorte, de moins en moins lisible et fixe des échéances sans lien avec l'état du marché.

Monsieur Corceiro, je ne suis pas sûr que le PLF 2022 permette d'abriter un amendement faisant un choix entre les trois options que vous avez évoquées, voire en retienne une autre. À mon sens, il faut instituer un dispositif qui limite la croissance des recettes dans le temps et garantisse ainsi que les opérateurs puissent continuer à répondre aux besoins de tous les Français sur l'ensemble du territoire. Je ne déposerai pas un amendement sauvage, mais j'invite le Gouvernement à agir en ce sens, aux côtés de l'Association des maires de France et de l'Assemblée des départements de France, lesquelles m'ont semblé ouvertes à une évolution. Le temps est venu de coconstruire un dispositif plus pertinent qui préserve les intérêts des opérateurs et des collectivités.

Avant de dire un mot sur le cloud, je voudrais rappeler que l'état de la menace sur la sécurité des systèmes informatiques est élevé et concerne toutes les infrastructures, tous les usages. Aussi serait-il raisonnable de ne pas détourner les moyens substantiels que l'on accorde à l'ANSSI – qui est une institution d'excellence – en lui assignant des missions éloignées de son rôle originel. En matière de cloud, nous avons été victimes de doctrines qui n'ont jamais marché. En vertu du « cloud de confiance », label récemment créé, les opérateurs américains pourraient toujours nous fournir des services, à condition de respecter les règles que nous avons définies. C'est, en quelque sorte, une contre-offensive face à l'extraterritorialité américaine. On observe la conclusion, dans ce nouveau cadre, d'accords entre des groupes américains et français. Par ailleurs, l'initiative franco-allemande GAIA-X poursuit son développement. Il est illusoire de penser qu'on puisse être indépendant ou recouvrer une forme d'autonomie stratégique en fermant nos frontières, en recourant uniquement à des produits et des acteurs français. Le numérique est, par nature, ultra‑mondialisé, et on voit mal comment on tournerait le dos à des groupes qui investissent, pour certains, 10 milliards d'euros par an dans le cloud, et avec lesquels aucun gouvernement ne pourrait rivaliser. Concentrons nos investissements sur des innovations de rupture.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.