Intervention de Anne-Laure Blin

Réunion du mardi 19 octobre 2021 à 18h10
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Laure Blin, rapporteure pour avis (Entreprises) :

Le programme 134 Développement des entreprises et régulations doit être jugé compte tenu des difficultés inédites et redoutables que traversent les entreprises françaises dans le contexte créé par l'épidémie de la covid-19. À l'aune des finalités que lui assigne la maquette budgétaire, on aurait pu s'attendre à ce que ce programme apporte en la matière une contribution décisive. Or, je l'avoue, je ne vois rien de tel dans les crédits et emplois que nous propose le Gouvernement.

Malheureusement, le constat n'est pas nouveau ! En conclusion de son avis budgétaire sur le projet de loi de finances initiale pour 2021, notre collègue Rémi Delatte avait déjà mis en lumière une discordance entre les moyens et les objectifs affichés. Il déplorait non seulement une maquette budgétaire insuffisante par son contenu, mais aussi et surtout une hausse trompeuse des crédits.

Je ne peux que renouveler ce diagnostic, au vu des deux constats développés dans la première partie de mon avis budgétaire.

Le premier concerne le périmètre du programme. Certes, avec près de 1 631 millions d'euros en crédits de paiement, les ressources budgétaires allouées dans ce cadre enregistrent une hausse de 31,88 % par rapport à la loi de finances initiale de 2021. Mais le programme 134 ne contient en réalité qu'une partie restreinte des moyens relatifs au développement des entreprises. Ainsi, le seul programme 363 Compétitivité de la mission Plan de relance dispose de 904 millions d'euros en autorisations d'engagement au titre du financement des entreprises, et 103 millions pour son action 03 Plan de soutien à l'export.

Le second constat porte sur la dynamique même des moyens du programme 134, qui ressort dans une large mesure d'un effet d'optique. De fait, la hausse très soutenue des crédits résulte, en réalité, de l'évolution du financement des compensations accordées à La Poste pour le service universel postal et ses missions d'aménagement du territoire. Le service universel donne ainsi lieu à l'inscription d'une dotation de 520 millions. En outre, la programmation budgétaire pour 2022 renforce la subvention accordée par l'État afin de remédier à l'insuffisance des ressources fiscales allouées au Fonds postal national de péréquation territoriale.

Pour le reste, l'impact des financements strictement dévolus au soutien des entreprises paraît incertain ou mérite d'être nuancé.

Il en va ainsi des dépenses fiscales. D'après le projet annuel de performances pour 2022, le programme 134 supporte soixante-cinq dispositifs. Leur montant prévisionnel s'élève à un peu plus de 20 milliards d'euros, contre 17 milliards en 2021. Je note que ce chiffrage – au demeurant non renseigné pour certains dispositifs – conserve une part d'imprécision.

S'agissant des actions budgétaires, chacun pourra convenir du caractère pour le moins contrasté de l'évolution des financements programmés.

J'attire ainsi votre attention sur la baisse très sensible des crédits demandés au titre de la compensation pour les sites très électro-intensifs. Dans le cadre de l'action 23 Industrie et services, il est prévu de lui allouer 344 millions d'euros. D'après les réponses du Gouvernement, cette budgétisation tiendrait compte d'une évolution des paramètres de calcul de compensation et s'inscrirait dans la perspective de l'entrée en vigueur de nouvelles lignes directrices européennes en 2022. La programmation budgétaire n'en aboutit pas moins à une réduction de 14 % de l'enveloppe consacrée à ce dispositif. Il conviendra d'en mesurer précisément les effets.

Par ailleurs, à l'échelle de l'ensemble du programme, l'analyse des documents budgétaires montre que la réduction du plafond d'emplois se poursuit : il est proposé d'autoriser un effectif maximal de 4 448 équivalents temps plein travaillés, contre 4 532 en loi de finances initiale pour 2021. Ce mouvement montre une stabilisation relative des emplois accordés à la direction générale des entreprises (DGE), alors que les précédents exercices se caractérisaient par des réductions d'effectifs assez sensibles.

Pour ce qui concerne les autorités administratives indépendantes et les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la programmation pour 2022 comporte quelques emplois supplémentaires, notamment au bénéfice de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

Aussi, compte tenu des doutes qui pèsent sur son efficacité, je donnerai un avis défavorable à l'adoption des crédits et des emplois du programme 134.

Quant à la partie thématique de mon avis, j'ai choisi de la consacrer aux modalités d'accompagnement et de soutien auxquelles recourent les collectivités publiques.

Comme chacun le sait, cette politique s'appuie sur des instruments très divers et fait intervenir de nombreux acteurs aux échelons national et local. Mon évaluation porte sur les instruments et les circuits de financement de l'aide publique aux entreprises, notamment au regard des enseignements de la crise sanitaire. Beaucoup de questions demeurent quant à la pertinence des aides aux entreprises et à l'efficacité des procédures qui permettent d'y accéder. Sous réserve d'une évaluation plus précise, je souhaiterais avancer ici deux idées.

Premièrement, le soutien financier apporté aux entreprises par les collectivités publiques peut être considéré comme relativement important et diversifié. En pratique, il s'appuie sur une pluralité de dispositifs de nature à couvrir les besoins de financement des entreprises dans leur ensemble.

En 2021, les crédits des actions du budget général susceptible de bénéficier à l'ensemble des entreprises peuvent être évalués à 3,713 milliards d'euros en crédits de paiement.

En ce qui concerne les régions, les statistiques consolidées pour l'exercice en cours font état d'une dépense prévisionnelle de 3,2 milliards pour l'ensemble des collectivités.

S'agissant de l'État, les aides directes aux entreprises reposent sur les dépenses fiscales et sur quelques dispositifs circonscrits. Je pense ici au Fonds de développement économique et social, qui assure le financement de prêts aux entreprises en difficulté. En dehors des ressources procurées par le budget général, l'État s'appuie sur les outils et solutions de financement proposés par BPI France, voire, de manière plus indirecte, sur les outils de la Banque des territoires.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, les dispositifs d'accompagnement et de soutien des entreprises peuvent également revêtir des formes relativement diverses. Les instruments utilisés varient ainsi suivant les collectivités, en conséquence de la répartition des compétences accentuée par la loi NOTRe, loi portant nouvelle organisation territoriale de la République de 2015. Leur multiplicité et l'importance des sommes parfois mobilisées témoignent d'un véritable engagement des régions, des intercommunalités et des communes. Il faut souligner l'apport substantiel des collectivités territoriales, qui ont pris des initiatives et fourni un concours utile à notre économie.

Ainsi, les régions ont engagé près de 2,6 milliards d'euros de dépenses exceptionnelles, dont 774 millions consacrés plus particulièrement au soutien à l'industrie, à l'artisanat, au commerce et aux autres services. Même si je n'ai pu disposer de chiffres consolidés, les auditions que j'ai réalisées et les témoignages du terrain – qui doivent correspondre à ceux que vous pouvez recueillir – montrent que d'autres échelons territoriaux, à l'exemple des intercommunalités, ont pu renforcer très sensiblement leurs interventions dans l'économie locale.

Il convient aussi de souligner les potentiels que recèlent les fonds d'investissement et les accords régionaux de relance. Sous réserve d'une évaluation, les fonds d'investissement semblent avoir contribué à la consolidation des fonds propres des entreprises grâce à des avances remboursables.

Si elle demande à être expertisée, l'émergence de nouvelles coopérations et d'adaptations de circonstance dans le contexte de la crise sanitaire mérite sans doute réflexion. Pour ce qui concerne l'État, la nécessité de créer des aides aux entreprises dans l'urgence a pu conduire – et c'est heureux ! – à un décloisonnement des services. Ont été notamment installées ou réactivées des cellules de veille censées apporter aux entreprises un accompagnement personnalisé, sous l'autorité des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP). Mais rien ne permet aujourd'hui de conclure à l'efficacité du dispositif sur l'ensemble du territoire, et pour cause : les CRP et leurs adjoints sont à peine soixante-dix en métropole ! On peut dès lors s'interroger sur la pertinence de leur implantation, ainsi que sur leur capacité à se montrer réellement proactifs.

La seconde idée que je souhaite partager avec vous est que l'organisation des aides aux entreprises peut être considérée comme perfectible, dans son organisation comme dans sa gestion. Au-delà du niveau des ressources mobilisées, l'efficacité des dispositifs d'accompagnement et de soutien exige qu'ils soient lisibles et accessibles.

La réalisation de ces objectifs n'implique pas nécessairement une remise en cause du partage des compétences en matière de développement économique. Les régions s'emploient à devenir des interlocuteurs incontournables pour les entreprises et à prendre toute leur part dans le déploiement des dispositifs. En outre, des écosystèmes émergent à l'échelle locale qui peuvent avoir pour pivot un nombre croissant d'intercommunalités.

De mon point de vue, le véritable questionnement doit porter sur la place de l'État dans l'organisation de l'aide économique à l'échelle locale. L'année 2022 devrait voir l'achèvement de la réforme dite des pôles 3E. Cette réforme vise la réorganisation des services déconcentrés chargés du développement économique, qui relevaient des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, les DIRECCTE, dans le cadre de la création des services économiques de l'État en région, les fameux SEER. Elle a abouti à une redéfinition du périmètre des missions et à un resserrement des effectifs – quelque 225 postes sur 420 sont supprimés. Je l'ai dit, la programmation budgétaire pour 2022 comporte une stabilisation du plafond d'emplois de la DGE. Néanmoins, même si les SEER se recentrent sur des fonctions de pilotage et n'assument pas la gestion des aides, je ne peux qu'appeler le Gouvernement à une grande vigilance quant aux moyens et missions qui leur seront confiés.

Au-delà des complexités de notre organisation administrative, l'empilement des dispositifs constitue le véritable écueil des politiques de soutien aux entreprises. Des élus locaux soulignent ainsi les difficultés que peut occasionner la juxtaposition des conventions et des dispositifs d'aide. En outre, la création de programmes de développement économique fondés sur le principe d'une géographie prioritaire ne simplifie pas nécessairement la perception des aides existantes.

C'est la raison pour laquelle je juge indispensable de renforcer les moyens dévolus à l'évaluation parlementaire de l'efficacité et du coût du soutien de l'État aux entreprises. Dans mon esprit, cette évaluation devrait porter sur les aides relevant des dispositifs expressément financés par le budget général, mais aussi sur celles accordées dans le cadre de partenariats et de programmes de développement locaux.

L'accompagnement des chefs d'entreprise constitue aujourd'hui un besoin clairement identifié. Organiser une communication efficace au sujet des aides existantes et des conditions nécessaires à leur obtention peut apporter une solution dans l'immédiat, mais, plus profondément, il convient de simplifier les formalités administratives incombant aux entreprises. À ce propos, les services ministériels m'ont confirmé qu'ils travaillaient toujours à la création et au développement de portails qui permettraient aux entrepreneurs de s'informer sur les démarches administratives ou de les accomplir en ligne, voire à la perspective d'un guichet unique par lequel on procéderait à distance à l'ensemble des formalités. Les guichets uniques, nous en entendons souvent parler, mais ils ne sont pas toujours mis en œuvre. Je ne peux donc qu'appeler le Gouvernement à concrétiser très rapidement ces projets. Mais il faut surtout faire œuvre de simplification pour accompagner les entreprises, au lieu de toujours les contraindre par de nouvelles normes.

En dernier lieu, je tiens à mettre l'accent sur l'importance des relais et de la coordination à l'échelle locale. La crise sanitaire a montré l'intérêt pour l'État de disposer de relais locaux, tant pour mettre efficacement en œuvre les mesures que pour informer le public. La puissance publique n'a pas besoin de se réinventer : au contraire, elle doit s'appuyer davantage sur les réseaux existants, notamment les chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers et de l'artisanat. Il convient de tirer parti de leur proximité avec le terrain pour améliorer l'accès des entreprises aux dispositifs de soutien qui leur sont destinés. Une telle démarche pourrait justifier que l'État confie expressément aux réseaux, dans le cadre de leurs missions prioritaires, le soin d'informer leurs adhérents des aides aux entreprises.

Dans un même souci de publicité des politiques publiques, il conviendrait de mener des campagnes d'information à propos des outils et solutions de financement proposés par BPI France. Rien n'assure, en effet, que ces dispositifs jouissent d'une grande visibilité en dehors du cercle des clients et des partenaires souvent situés dans les grands pôles métropolitains – ce qui, en pratique, exclut les entreprises situées en zone rurale. C'est essentiel : le niveau d'information des entreprises dépend très souvent non seulement de leur taille mais aussi de leur situation géographique.

Enfin, nous devrions évaluer au plus vite l'apport des initiatives permettant de susciter des partenariats entre l'État, ses établissements, les opérateurs nationaux, les collectivités locales et les opérateurs économiques. Cela permettrait d'identifier un interlocuteur unique de l'État dans la conduite de projets de développement économique, alors qu'aujourd'hui, le sujet relève de plusieurs ministères concernés par les questions de ruralité, de tourisme ou d'agriculture.

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