Intervention de Sébastien Jumel

Réunion du mardi 19 octobre 2021 à 18h10
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel, rapporteur pour avis (Industrie) :

Devant intervenir dans quelques instants en séance sur le projet de loi relatif au passe sanitaire, je vais vous présenter le plus brièvement possible les crédits consacrés à l'industrie et aux services, sur lesquels j'émettrai un avis défavorable – non par posture, mais parce que les auditions et les documents budgétaires m'y ont amené.

Je décerne quelques « bons » points dans mon rapport, par exemple concernant le maintien des dotations allouées à la surveillance du marché ou en faveur de certains centres techniques industriels, ainsi que des PME et des métiers d'art et du patrimoine. Mais je note que, du fait de la clôture parallèle des actions de politique industrielle, la mission Économie ne comportera quasiment plus de crédits soutenant directement le développement des TPE et des PME industrielles, ce qui, me semble-t-il, nuit à la clarté budgétaire.

La partie thématique de mon rapport s'intéresse aux moyens déployés par l'État pour soutenir notre tissu industriel face aux grandes mutations technologiques et écologiques actuelles et pour relancer l'industrialisation de notre pays.

L'industrie a en effet beaucoup régressé en France ces dernières années, bien plus que dans d'autres grands pays industrialisés, à l'exception du Royaume-Uni. En quarante ans, nous avons perdu la moitié de nos emplois – 2,2 millions – et 10 points de PIB. La part de l'industrie dans le PIB s'établissait ainsi à 13,4 % en 2018, contre environ 25 % en Allemagne, 19 % en Italie ou encore 16 % en Espagne.

Nous mesurons tous désormais les conséquences néfastes du déclin industriel, qu'il s'agisse du déficit commercial, des dégâts durables dans nos territoires, des dommages sociaux ou de la perte de souveraineté.

En effet, la crise a brutalement révélé l'ampleur de la dépendance de notre économie vis-à-vis des importations des pays tiers. Pour répondre aux besoins essentiels de la population française ou fournir les produits indispensables à l'activité de nos chaînes de valeur industrielles, il devient urgent de renforcer notre résilience, tout le monde en convient.

À ces enjeux de souveraineté et de préservation de l'économie et des emplois s'ajoute le défi majeur de la décarbonation. Je me suis particulièrement intéressé à l'un des piliers de l'industrie française, emblématique de la situation : la filière automobile.

Elle reste un acteur de poids de notre économie, mais elle a perdu plus de 120 000 emplois en quinze ans et ne représentait plus que 6,7 % de la production automobile européenne en 2016, contre 13,7 % en 2000. Elle a été particulièrement frappée par la crise sanitaire et reste aujourd'hui très ralentie par la pénurie de semi-conducteurs. L'usine emblématique de Sandouville en Normandie a ainsi cessé sa production pour les quinze prochains jours.

De manière plus fondamentale, la filière doit faire face aux bouleversements liés au remplacement de la motorisation thermique par l'électrique : 96 bassins d'emploi et 450 sites seraient affectés à court et moyen terme, et plus de 66 000 emplois menacés.

Elle doit également assumer ses choix, antérieurs et actuels : course aux volumes de production, reconversion dans le haut de gamme, construction de gros véhicules, négligeant les besoins de mobilité quotidienne de la population ainsi que les marchés des pays en voie de développement, qui ne passeront pas facilement à la voiture électrique.

L'industrie automobile doit surtout affronter l'exigence des actionnaires, et des taux de marge déraisonnables. Pendant la crise, les dividendes sont restés au rendez-vous chez certains. Malgré cela, certains groupes se sont désengagés auprès de nombreux sous-traitants, telle la Fonderie du Poitou, abandonnée par GMD. Cette stratégie s'est payée en centaines de milliers d'emplois pour notre économie et a entraîné la perte de savoir-faire précieux.

Dans son soutien à la filière automobile, le Gouvernement n'a malheureusement pas conditionné les aides publiques ni exigé de contreparties, se privant ainsi de la possibilité de contrôler, tant pour nous-mêmes que pour les salariés, leur utilisation. En dépit de la négociation d'un nouveau plan, certaines entreprises continuent d'organiser des suppressions d'emplois.

Devant ces constats, quelles sont les réponses de l'État ? Pour répondre à la dégradation de nos forces industrielles, le Gouvernement a commencé par renforcer les dispositifs des programmes d'investissements d'avenir (PIA), soutenant l'innovation et la modernisation des filières. Mais le levier d'action le plus substantiel restait les allègements de charges, avec, notamment, le remplacement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) par une baisse de cotisations sociales.

Le véritable basculement des interventions de l'État en faveur de l'industrie française date du plan de relance de septembre 2020. Force est de reconnaître que ce plan marque un retour inédit de l'État dans une politique industrielle.

En sus des nouvelles dépenses fiscales et des investissements des PIA3 et PIA4, l'État a en effet mobilisé plus de 4,5 milliards d'euros pour l'industrie, en soutien aux filières automobile, aéronautique et nucléaire, afin de moderniser les usines, décarboner les installations productives et favoriser les relocalisations.

Sans entrer dans le détail de la stratégie et des divers dispositifs, présentés dans mon avis, je cite néanmoins deux actions aux résultats prometteurs : le renforcement de l'enveloppe permettant à BPI France d'apporter sa garantie aux prêts des TPE et PME et le programme Territoires d'industrie, créé en 2018 mais consolidé par le plan de relance.

Parallèlement au programme national (Re)localiser, qui cofinance les projets d'augmentation ou de relocalisation des productions dans les secteurs considérés comme stratégiques pour notre pays, le dispositif Territoires d'industrie, mis en œuvre avec les collectivités locales, favorise une dynamique industrielle intéressante, grâce aux binômes élu-industriel formés dans chacun des 146 territoires labellisés. Plus de 1,37 milliard d'euros de soutien ont été apportés par l'État aux territoires d'industrie depuis 2018, et 569 millions par les régions. Sur la seule période 2020-2021, 1 416 projets ont été soutenus, développés à 84 % par des PME ou des ETI, ce qui a permis de créer ou de consolider 27 255 emplois. Ces dispositifs perdureront en 2022. L'enveloppe de Territoires d'industrie devrait même être complétée par 150 millions d'euros pour poursuivre cette dynamique.

Mais au-delà des moyens engagés, le pilotage manque pour une véritable stratégie de relance industrielle.

Il est à déplorer qu'aucun plan plus ambitieux en matière de renouveau industriel n'ait été sérieusement envisagé, visant à la fois une décarbonation générale et la relocalisation et le développement de véritables filières industrielles autour du renforcement de la fonctionnalité et de la répétabilité des composants.

Il faut déplorer également le manque de perspectives au-delà de 2022, malgré l'annonce du nouveau plan France 2030. Les 34 milliards d'euros évoqués non seulement ne sont encore qu'une promesse sans traduction budgétaire, mais risquent de n'être que du saupoudrage au regard des ambitions affichées. Et quelle est la stratégie au-delà des cinq ans de rallonge de France 2030 ? Une fois encore, l'État semble douter du rôle qu'il a à jouer dans la transformation et dans la reconquête de notre industrie.

Dans l'immédiat, plusieurs points pourraient être améliorés. Il faudrait d'abord obtenir des engagements précis des filières en matière sociale et environnementale, en contrepartie des fonds publics.

Par ailleurs, la multiplicité des dispositifs, gérés par des opérateurs différents, nuit fortement à leur lisibilité et à leur bonne connaissance par les TPE et PME, même si des efforts ont été accomplis pour faciliter le dépôt des dossiers. Je recommande donc de développer une information publique sur les dispositifs d'aides existants, au plus près des territoires, et d'uniformiser les guichets qui les distribuent pour plus de clarté et d'égalité de traitement.

Il serait également utile de réfléchir au type de soutien qui pourrait être apporté aux projets encore en gestation. Aucun dispositif d'incubation ne semble être proposé : cela devrait être aussi un objectif des politiques publiques.

Les collectivités territoriales sont en première ligne dans la reconquête industrielle. Or seul le programme Territoires d'industrie leur apporte un accompagnement actif.

Outre le fait que la multiplicité des dispositifs nuit aussi à leur examen par le Parlement, il faut noter que, si leurs gestionnaires suivent l'engagement des fonds et additionnent les résultats espérés, ils ne disposent pas nécessairement des instruments permettant de vérifier la réalité de ces résultats ni de mesurer leurs bénéfices pour la collectivité. Je recommande donc, pour le futur plan France 2030, d'utiliser des outils de suivi des résultats et d'évaluation a posteriori adaptés. En attendant, il me semble possible de créer un dispositif de mesure des résultats réels des soutiens publics apportés à l'industrie par les programmes en cours, notamment en termes d'emplois.

Enfin, il faut s'assurer que l'on tire tous les bénéfices possibles des investissements publics. Hormis les filières automobile et aéronautique, les aides de l'État ne sont pas subordonnées à la présentation d'une stratégie globale par les différentes filières industrielles, que ce soit en matière environnementale, sociale ou territoriale.

Je termine en soulignant trois problématiques non traitées, ou insuffisamment : l'accompagnement des entreprises en difficulté, le volet énergétique de la compétitivité prix de l'industrie et l'adaptation des emplois industriels.

Sur ce dernier chapitre, les moyens engagés par le plan de relance sont nettement insuffisants par rapport aux besoins, de conversion pour les uns, de formation des compétences recherchées par les autres. Le plan France 2030 pourrait renforcer les dispositifs, mais il se concentrerait sur les nouvelles filières : la réponse resterait donc partielle, et à nouveau provisoire.

La question des prix de l'énergie est un enjeu déterminant pour notre compétitivité : les prix de gros du gaz ont augmenté de 300 % en Europe depuis le début de l'année, et ceux de l'électricité ont plus que doublé. Loin de s'inverser, la tendance se creuse chaque jour davantage. Résultat, le surcoût pour les entreprises électro-intensives tournera autour de 1 milliard d'euros en 2021. C'est un risque essentiel qui reste, pour l'instant, un angle mort dans notre soutien à l'industrie.

Notre réflexion doit donc intégrer plus largement la politique énergétique : il y a urgence à mener une réflexion au niveau européen autant que national pour définir un mécanisme qui protège davantage l'activité industrielle, sans sacrifier l'incitation à décarboner nos usines.

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