Intervention de Patricia Lemoine

Réunion du jeudi 18 novembre 2021 à 9h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Lemoine, rapporteure :

À l'heure où le pouvoir d'achat est au cœur des préoccupations des Français, cette proposition de loi prévoit une mesure juste et attendue par nombre de nos concitoyens, notamment ceux qui aspirent à mener à bien l'un des projets les plus marquants de leur vie, l'accession à la propriété.

Elle est le résultat d'un travail collectif engagé en 2020 avec les acteurs des secteurs bancaire et assurantiel, des associations de malades et des associations de consommateurs. L'amendement que j'avais déposé dans le cadre du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) a été adopté mais n'a pas été retenu lors de la réunion, conclusive, de la commission mixte paritaire (CMP).

Dans un contexte de crise économique et sanitaire persistante, j'ai acquis la conviction qu'il fallait aller plus loin, grâce à une proposition de loi complète, dont la première partie porterait sur la possibilité de résilier à tout moment l'assurance emprunteur souscrite pour un crédit immobilier, et la seconde, sur le droit à l'oubli. Le cœur du dispositif reste le même : libéraliser le secteur de l'assurance emprunteur afin de redonner aux Français une liberté de choix et leur permettre de gagner du pouvoir d'achat.

Lors de l'achat d'un bien immobilier, les Français sont souvent captifs de leur établissement bancaire pour le choix de l'assurance emprunteur. Selon les chiffres de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le secteur bancaire détient 87,5 % des parts du marché. Trois raisons expliquent la position prépondérante des banques dans ce secteur particulier de l'assurance, qui représente un chiffre d'affaires de 9,8 milliards d'euros, dont 7 milliards consacrés à la couverture des prêts immobiliers. D'abord, la banque exige une garantie pour assurer le prêt qu'elle consent, et propose l'assurance emprunteur en même temps. Ensuite, l'emprunteur est soumis à une contrainte temporelle : il doit disposer d'une offre de prêt pour honorer la promesse d'achat qu'il a signée. Enfin, l'emprunteur cherche avant tout à obtenir un taux bas pour son crédit, le coût de l'assurance reste à ce stade secondaire.

Sept millions de foyers sont concernés. Paradoxalement, alors que l'assurance emprunteur n'est pas obligatoire juridiquement, elle le devient dans les faits. Selon une étude conduite en 2018 par l'ACPR, sur 100 euros de primes encaissés, 68 euros sont conservés par l'assureur, le reste étant décaissé pour les sinistres ; pour l'assurance habitation, le montant conservé s'établit à seulement 32 euros et pour l'assurance automobile, à 21 euros.

Ce surcoût et cette rentabilité se font au détriment du consommateur. Selon les calculs réalisés par l'association UFC-Que choisir, pour un crédit de 250 000 euros souscrit sur vingt ans, le gain estimé en cas de changement d'assurance serait de l'ordre de 6 500 euros pour les plus de 65 ans et de plus de 15 000 euros pour la tranche d'âge 35-45 ans, l'économie moyenne se situant entre 5 000 et 15 000 euros. Rendre aux Français cette partie de pouvoir d'achat semble relever de l'évidence, d'autant que cette mesure est totalement neutre pour les finances de l'État.

Certes, me direz-vous, mais pourquoi passer par la loi ?

Au cours des dix dernières années, le législateur a opéré une libéralisation du secteur de l'assurance emprunteur, en trois temps. La loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde », a décorrélé le choix de l'offre de prêt de celui de l'assurance emprunteur. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », a permis à l'assuré de résilier son contrat dans les douze premiers mois suivant la signature de l'offre de prêt. En 2017, l'amendement « Bourquin » à la loi Sapin 2 a étendu le droit de résiliation au-delà de la première année.

Toutefois, ces mesures ont très vite montré leurs limites. La société Securimut, que j'ai auditionnée, a identifié pas moins de sept obstacles pour parvenir à une substitution d'assurance. Le maquis législatif et la force d'inertie de certains établissements découragent tout emprunteur non aguerri à un tel franchissement d'obstacles, guère envisageable sans le recours à un courtier en assurances.

La proposition de loi apporte une réponse complète à la question de l'assurance emprunteur. Grâce à elle, il ne sera plus possible de détourner ni l'esprit, ni la lettre de la loi.

Dans le titre Ier, l'article 1er porte la mesure principale : ouvrir un nouveau droit, celui de résilier sans frais et à tout moment les contrats d'assurance souscrits pour les crédits immobiliers. Non seulement cette mesure rend le droit de résiliation effectif, à garanties minimales identiques, mais elle offre aussi une meilleure protection aux personnes qui avaient trouvé une offre dégradée, en matière de prix ou de couverture, en raison d'un risque aggravé de santé.

L'article 2 renforce la motivation du refus de substitution d'assurance.

L'article 3 oblige l'assureur à informer chaque année l'emprunteur de son droit à résilier à tout moment son assurance. Il prévoit des sanctions administratives en cas de non‑respect de cette obligation.

L'article 4 encadre le délai d'émission de l'avenant bancaire : il le fixe à dix jours ouvrés à compter de la réception de la demande de substitution. Nous transcrivons ainsi dans la loi une recommandation émise par l'ACPR en juin 2017, qui a été jusqu'à présent globalement ignorée par les prêteurs.

À l'instar de l'article 3, l'article 5 prévoit des sanctions administratives en cas de non-respect des règles de substitution par les prêteurs et assureurs.

Quant à l'article 6, il précise que ces mesures entreront en vigueur un an après la publication de la loi, afin que les acteurs du secteur puissent se préparer à ces nouvelles règles, qui s'appliqueront aux contrats en cours.

Le titre II de la proposition de loi, qui concerne le droit à l'oubli, répond aussi à un objectif d'équité.

Actuellement, les personnes qui présentent un risque aggravé de santé se voient appliquer des surprimes, sans que cela ne repose sur des données scientifiques fiables. Même si la convention AERAS – « S'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé » – facilite l'accès au crédit au regard d'une grille de référence, des limites demeurent : certaines pathologies chroniques comme le diabète en sont les grandes oubliées, et le taux de crédit maximum garanti est plafonné à 320 000 euros, ce qui peut se révéler insuffisant dans certaines zones tendues comme Paris et la petite couronne francilienne.

Par ailleurs, si l'introduction d'un droit à l'oubli dans la loi a constitué un progrès notable, celui-ci reste insuffisant : il ne s'applique qu'aux pathologies cancéreuses et les délais de mise en œuvre ne correspondent ni à la réalité du marché de l'emprunt immobilier, ni à celle des études épidémiologiques.

En vertu de la loi du 26 janvier 2016, pour les cancers s'étant déclarés avant l'âge de 18 ans, le droit à l'oubli s'exerce lorsque le protocole thérapeutique est terminé depuis plus de cinq ans et qu'aucune rechute n'a été constatée. La commission de suivi et de propositions de la convention AERAS a étendu ce délai de cinq ans, à compter du 1er septembre 2020, aux cancers survenus avant l'âge de 21 ans. C'est une bonne chose, mais nous pouvons sans doute aller plus loin.

L'article 7 prévoit que, trois mois au plus tard après la publication de la loi, les partenaires de la convention lanceront des travaux visant, d'une part, à réduire les délais d'application du droit à l'oubli pour les différentes pathologies cancéreuses, d'autre part, à étendre la grille de référence AERAS à d'autres pathologies ou maladies chroniques. En outre, les partenaires de la convention devront, dans le même délai, lancer une négociation sur la hausse du montant garanti par la convention. À défaut de mise en œuvre de ces travaux et de cette négociation, les conditions d'accès à la convention pourront être fixées par décret en Conseil d'État, celles-ci ne pouvant être moins favorables que celles en vigueur à la date de la publication de la loi.

Aux termes de l'article 8, le Gouvernement devra remettre au Parlement, dans les douze mois suivant la promulgation de la loi, un rapport détaillant les dispositifs d'études et de recherche permettant de recueillir, d'analyser et de publier les données disponibles sur la mortalité et la morbidité en vue de fournir les éléments statistiques nécessaires à la tarification du risque.

Mes collègues du groupe Agir ensemble et moi espérons que vous soutiendrez cette proposition de loi.

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