Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi les représentants des syndicats représentatifs d'Alstom Transport avec lesquels nous allons aborder un dossier brûlant qui illustre bien l'actualité de nos travaux.
En 2014, Alstom a cédé à General Electric (GE) sa branche énergie. Le ministre du redressement productif de l'époque, que la commission d'enquête auditionnera dans quelques jours, s'était opposé à cette vente, privilégiait alors une solution européenne avec Siemens, à la fois sur l'énergie et sur les transports.
Son successeur, qui a accordé in fine l'autorisation d'investissement, la justifiait dans un communiqué de presse du 5 novembre 2014 par la possibilité ainsi offerte à Alstom de constituer « un champion français et européen dans le secteur des transports ». Or, un peu plus de deux années plus tard, Alstom, recentré sur ses activités ferroviaires, est appelé à rejoindre Siemens au terme d'un accord qui permettra à Siemens de devenir majoritaire du nouvel ensemble dans quatre ans.
L'objectif défendu par l'actuel Gouvernement est de créer ainsi un constructeur européen disposant d'une offre globale et d'une taille critique auquel il reviendra de contrer la concurrence internationale qui s'est aussi réorganisée, notamment avec l'émergence du chinois China Railway Construction Corporation (CRRC), et dans une moindre mesure pour faire face à d'autres constructeurs comme le canadien Bombardier, présent sur notre territoire, ce qui n'est pas non plus sans faire débat, ou encore Mitsubishi, groupe japonais puissant qui entretient de longue date des liens d'affaires avec Siemens.
L'opération est présentée comme constitutive d'un « mariage entre égaux », Alstom et Siemens réalisant effectivement des chiffres d'affaires comparables dans le secteur ferroviaire : un peu plus de 7 milliards d'euros chacun, avec toutefois un léger avantage pour Siemens.
Force est de constater que les deux entreprises ont aujourd'hui des offres de produits distinctes, mais destinées à des marchés qui se recoupent. De même, leur appareil de production va nécessairement faire apparaître des redondances entre les différents sites. Siemens est depuis très longtemps présent en France, et s'est notamment renforcé en 1996 avec le rachat de Matra Transport, et a obtenu de nombreux marchés, notamment ceux de l'automatisation de lignes du métro parisien. L'entreprise Siemens entend également être un acteur majeur de la création et de l'extension des lignes du Grand Paris.
À l'inverse, Alstom est présent en Allemagne, où il vise particulièrement des marchés de trains régionaux, avec notamment son usine de Salzgitter en Basse-Saxe, l'un de ses plus importants sites de production. Ce site est polyvalent, contrairement aux sites français du groupe, presque tous spécialisés dans un type de produit.
Notre rencontre d'aujourd'hui doit permettre aux organisations syndicales d'exprimer en toute liberté leur opinion sur l'opération annoncée.
À ce jour, quels ont été les résultats de vos rencontres avec le Gouvernement ? Où en est la concertation avec votre direction ? Que savez-vous du projet industriel qui guide cette fusion ?
S'agissant de l'emploi et de l'offre de produits, quelles sont vos remarques et vos craintes ?
Concernant la recherche et développement, l'opération projetée pourrait-elle être lourde de conséquences, avec par exemple l'abandon de certains programmes ?
Plus généralement, constate-t-on dès à présent un climat d'attentisme dans vos entreprises où beaucoup de choses seraient en quelque sorte « gelées », y compris en matière d'investissements, jusqu'à l'aboutissement de l'opération de fusion ?
Cette rencontre doit aussi permettre à la commission d'aborder les conséquences de l'opération antérieure avec General Electric, à laquelle la plupart d'entre vous ont assisté au titre d'Alstom. À ce sujet, quel bilan dressez-vous de la situation ? La promesse de création de 1 000 emplois constitue-t-elle seulement une justification parmi d'autres ? Peut-on considérer aujourd'hui qu'elle est sérieusement mise en cause par un repreneur qui vient de décider de profondes restructurations de ses activités au niveau mondial ?
Il s'agit là de s'interroger sur la réelle portée des lettres d'engagement qui sont arrêtées dans le cadre de ces fusions et sur la base desquelles les ministres de l'économie sont amenés à prendre leur décision d'autorisation d'investissement dans notre pays.
Messieurs, je vais d'abord donner la parole à chacune de vos organisations qui disposera de huit à dix minutes pour faire un bref exposé liminaire. Puis les membres de la commission d'enquête qui le souhaitent pourront poser des questions.
Mais auparavant, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d'enquête, je vais demander à chacun d'entre vous de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.