Intervention de Patrick de Cara

Réunion du mercredi 29 novembre 2017 à 17h05
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Patrick de Cara, délégué syndical au siège social d'Alstom (Saint-Ouen) et représentant CFDT au comité stratégique de la filière ferroviaire :

En complément des propos de mon camarade Laurent Desgeorge, je saisis l'occasion qui m'est offerte par cette commission d'enquête pour évoquer la stratégie industrielle.

La filière ferroviaire a de grandes incertitudes sur sa pérennité du fait du rapprochement entre Alstom et Siemens. Et je ne parle pas seulement des salariés d'Alstom, mais aussi ceux des sous-traitants. Il faut savoir qu'un salarié d'Alstom – et nous sommes environ 9 000 en France – en fait travailler trois autres dans notre pays. Nous savons qu'il y aura de grandes échéances ferroviaires vers 2022 : le TGV du futur ; le RER NG, en consortium entre Bombardier et Alstom, qui ne prendra vraiment son essor sur le plan de la production qu'à partir des années 2020 ; tous les projets d'infrastructures du Grand Paris ; le remplacement des trains Corail – c'est le fameux marché des trains d'équilibre du territoire (TET) ; le renouvellement de la flotte du métropolitain de Paris ; mais aussi tous les projets annexes qui sont liés aux Jeux olympiques de 2024. Qui peut nous dire qu'Alstom sera en mesure d'assurer la production pour tous ces marchés ? Constatant que l'effectif des opérateurs-ouvriers est en train de se réduire comme peau de chagrin, nous avons peur de ne pas pouvoir répondre à la demande, le moment venu.

J'en viens au rapprochement entre Alstom et Siemens. Nous avons effectivement été reçus par M. Aloïs Kirchner et nous avons alors appris qu'il existe un contrat entre l'État et Siemens, de même qu'il en existe un entre l'État et Alstom. Nous avons appris, par ailleurs, grâce au comité de groupe européen, qu'il existe un contrat entre Siemens et IG Metall, principal syndicat allemand. Sans paraphraser ce qu'a dit Claude Mandart, on disait auparavant que tout le monde parle avec tout le monde, mais aujourd'hui tout le monde passe des contrats avec tout le monde … Notre inquiétude est claire : ces trois contrats vont-ils dans le même sens ? Qui peut nous répondre là-dessus ? Nous avons interrogé le conseiller en charge de l'industrie auprès du ministre de l'économie, mais nous n'avons pas eu de réponse satisfaisante en ce qui concerne le contrat entre l'État et Siemens.

Pour ce qui est de celui conclu entre l'État et Alstom, nous avons deux certitudes : aucune fermeture de site et aucun départ contraint. Mais que se passe-t-il si l'on applique ces deux éléments du contrat au contexte de Belfort ? Le site a pu être maintenu il y a un an, grâce à une mobilisation syndicale et à des engagements de l'État, mais ceux-ci n'ont été tenus qu'en partie : les TGV ont effectivement été commandés, il y aura un appel d'offres pour les 20 locomotives de secours – et nous ferons tout pour le gagner – mais on n'a pas vu la couleur des six fameux TGV italiens. L'objectif était de donner suffisamment de charge pour que le site puisse attendre le TGV du futur.

Pour d'autres raisons, la SNCF est en train de revoir son projet économique sur la grande vitesse, de sorte que les premières commandes du TGV du futur, attendues pour cette année, n'arriveront peut-être que l'année prochaine. En tout cas, la commande est retardée. Cela signifie que le creux de charge va réapparaître : nous pensons qu'il se produira fin 2019. Que se passera-t-il alors ? L'établissement de Belfort fait à la fois du service, ce qui occupe environ 100 personnes, et produit des motrices et des locomotives – soit 400 emplois. Avec l'accord entre Alstom et l'État, on ne fermera pas le site, mais il sera recentré sur le service et l'on proposera un plan de départs volontaires pour les 400 personnes qui fabriquent le matériel roulant et les locomotives.

Jusqu'à la preuve du contraire, l'engagement entre Alstom et l'État ne permet pas d'écarter cette perspective. Or, autant il est difficile de construire un savoir-faire, autant il peut disparaître facilement. Un savoir-faire d'un siècle peut être perdu en deux ans.

Cette affaire entre Alstom et Siemens ne sécurise pas du tout le site de Belfort, mais je pourrais aussi parler de La Rochelle. Ce site vit aussi du TGV et connaîtra également un creux de charge à la fin de l'année 2019. La situation sera même pire qu'à Belfort il y a un an, où la présence des deux représentants de l'État au conseil d'administration nous a aidés. Avec le soutien du Président de la République, un espoir a été donné à Belfort. Cette fois-ci, nous ne pourrons plus compter sur la présence de l'État. Le ministre de l'économie déclare qu'il préfère être maître d'oeuvre des commandes publiques plutôt que d'avoir un strapontin ; mais si Alstom gagne ces commandes, personne ne peut nous assurer qu'elles seront exécutées en France. Au-delà de Belfort, je pourrais vous donner d'autres exemples concernant d'autres sites.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.