Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mardi 18 janvier 2022 à 17h20
Commission des affaires économiques

Julien Denormandie, ministre :

Je vous remercie pour vos mots agréables à mon endroit – cela fait toujours plaisir. Vous avez relevé la sincérité de la méthode que j'ai cherché à appliquer aux différents postes que j'ai occupés.

Monsieur Moreau, parmi les priorités à venir, la rémunération reste à mes yeux la mère des batailles. Tant que nous ne l'aurons pas gagnée, notre souveraineté sera menacée. Vient ensuite la troisième révolution agricole. Et puis, parmi les très nombreux chantiers que nous avons ouverts depuis deux ans, et souvent achevés, celui que j'aurais souhaité voir avancer davantage est celui de l'approche nutritionnelle.

Cette thématique devrait figurer dans l'intitulé du ministère. Si nous voulons sceller un nouveau pacte entre la société et le monde agricole, il faut absolument avoir une approche nutritionnelle. Le drame de notre société, c'est que l'alimentation a perdu sa valeur, à commencer d'ailleurs par sa valeur nutritionnelle. Nous oublions tous qu'Hippocrate disait que l'alimentation est la première médecine. Qui considère aujourd'hui l'agriculteur comme le deuxième médecin ou pharmacien du territoire ? Et faute de prise en compte de la valeur nutritionnelle, nous en venons à dénigrer notre agriculture, au profit de productions étrangères qui sont d'une qualité bien moindre.

D'autres aspects de cette valeur ont aussi été perdus, comme son volet environnemental – nous demandons aux agriculteurs de mener des transitions sans pour autant les rémunérer – et son volet économique. Il est pourtant tout aussi essentiel. Pour reprendre l'exemple de l'exploitation laitière, mais cela vaut aussi pour la viande bovine, les prix d'aujourd'hui sont presque identiques à ceux que connaissaient les parents de nos exploitants, alors que les charges n'ont cessé de croître !

Nous avons donc perdu le combat de la valeur, nutritionnelle, environnementale et économique. Je me suis battu avec force et je continuerai à le faire, mais il reste beaucoup à faire dans le domaine de l'éducation. Songez que les études de médecine n'abordent presque pas la nutrition ! Dès le plus jeune âge – j'ai commencé à y travailler avec M. Jean-Michel Blanquer, - et dans l'ensemble du débat public, la valeur de l'alimentation, pour son propre corps d'abord, doit s'imposer comme une évidence.

L'enseignement agricole est un trésor dans notre pays, qu'il faut préserver. Il faut continuer à le soutenir, dans toute sa singularité – il dépend du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Il faut aussi mieux informer nos concitoyens, qui ont une image positive de cet enseignement mais qui pensent qu'il ne débouche que sur le métier d'agriculteur : pourtant, plus de deux cents formations sont proposées, qui font aussi des experts en science environnementale ou en science des données, des machinistes, des vétérinaires et des biologistes ! Il faut donner plus de visibilité à tous ces métiers du vivant et je note avec une grande satisfaction, car c'était un de mes combats, qu'on compte en 2021 un nombre record d'apprentis et une augmentation du nombre d'apprenants, ce qui n'était pas arrivé depuis fort longtemps.

Monsieur Dive, ceux qui se livrent à l' agribashing cherchent à provoquer une réaction scandalisée du monde agricole comme le judoka utilise le poids de son adversaire pour le déséquilibrer et le faire chuter. Il faut donc, selon moi, cesser d'en parler : n'entrons pas dans leur jeu ! Ce n'est pas en « bashant » l' agribashing que l'on rendra service au monde agricole, au contraire. Soulignons plutôt les innovations de nos agriculteurs et la valeur nutritionnelle de leurs productions, sans nier les nombreux défis qui restent à relever, notamment en matière de transition écologique. Par ailleurs, il faut être intransigeant sur les violations de propriété privée et soutenir fermement la cellule Demeter, dont certains veulent la disparition.

PhytoSignal a été créé en 2013, puis mis en application, à l'échelle régionale, dans différents territoires comme la Nouvelle-Aquitaine et plus récemment la Bretagne. Pour le dire clairement, ce dispositif ne correspond à ma conception des choses, ni sur le fond, ni sur la forme.

Sur le fond, il donne le sentiment que les agriculteurs utiliseraient des produits de fond de cuve importés sous le manteau. Non ! Tous les produits dont ils se servent ont été validés par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et par l'agence de sécurité sanitaire française. Les agriculteurs n'ont pas à porter la responsabilité des décisions prises par ces agences selon la science et la raison. C'est pourquoi je ne suis pas favorable à ce type de dispositif. Au demeurant, si un problème lié à l'usage de ces produits survient, des canaux permettent de bénéficier du soutien public. Mais la suspicion et la délation ne sont pas conformes à mes valeurs.

Et sur la forme, il faut agir avec méthode. Si j'ai décidé de suspendre le dispositif, c'est parce qu'il me paraît important de connaître le retour d'expérience de son application dans une région avant de l'étendre à d'autres.

De la même manière, laisser croire que les zoonoses auxquelles nous avons à faire face sont apparues dans nos élevages est non seulement faux, mais contre-productif. Si l'on affirme que les élevages porcins par exemple favorisent l'émergence de je ne sais quelle maladie transmissible, l'on va continuer de fermer les nôtres – qui, en France, comptent en moyenne 170 truies – et donc importer de plus en plus de porcs élevés en Chine, où ils sont parqués dans des immeubles de treize étages qui, pour le coup, offrent gîte et couvert à tous les coronavirus ! Je préfère largement développer nos élevages, soumis à toutes les règles requises.

De même, Madame Taurine, j'ai entendu l'ancien président de votre groupe établir une corrélation directe entre l' influenza aviaire et de nouvelles zoonoses. Or ce virus n'est pas créé dans nos élevages, ouverts ou fermés : il est transmis par les oiseaux migrateurs ! J'ai même vu – et cela m'a terriblement heurté – des affiches publicitaires représentant un masque sous lequel il est écrit : « Au lieu de gérer les conséquences, gérons les causes : les élevages ». Non seulement c'est mensonger, mais c'est, au bout du compte, chérir des causes dont on se plaindra des conséquences : ce type de discours, outre qu'il revient à désigner l'éleveur comme le coupable, va conduire encore une fois à fermer nos élevages et à importer de plus en plus de viande issue de bêtes nourries aux antibiotiques de croissance en Amérique du Sud ou élevées dans une densité incroyable en Amérique du Nord ou en Chine. Commençons donc par remettre la science et la raison au centre des discussions.

Monsieur Corceiro, qu'il s'agisse des élevages ou des abattoirs, il faut être fier de tout ce qui a déjà été fait – je remercie, du reste, M. Potier de reconnaître qu'il en avait rêvé. Grâce au plan de modernisation des abattoirs, financé notamment par les investissements du plan France relance, on prend enfin le problème par le bon bout.

Quant aux élevages, ils ont également connu des avancées significatives. Toutefois, vous avez voté une loi qui impose que toute création ou modernisation d'un élevage de poules pondeuses se fasse selon des méthodes alternatives. Faites le test dans votre circonscription : déposez une demande de permis pour la construction d'un élevage de ce type en plein air. C'est impossible ! On peut rêver d'un monde idyllique où tous les animaux seraient élevés dehors. Mais, outre qu'il faut parfois mettre les cheptels à l'abri pour les protéger contre la peste porcine africaine ou l' influenza aviaire, il faudrait, pour que tous les porcs soient élevés dehors, la superficie d'un département entier ! Du reste, vous remarquerez que, la plupart du temps, les personnes qui réclament ce type de mesures habitent en centre-ville… Faisons un peu confiance au bon sens paysan ! Il en va de même pour les abattoirs.

Qu'il s'agisse de la condition animale ou des produits phytosanitaires, Monsieur Benoit, le principal « en même temps » auquel nous sommes confrontés se résume ainsi : « citoyen de bon matin, consommateur passé le quart d'heure ». Autrement dit, c'est la cohabitation des contraires. Pour vous citer un exemple, je me bats actuellement avec l'ensemble des acteurs de la filière pour concrétiser cette mesure en faveur de laquelle vous avez tant plaidé : la fin du broyage des poussins. Après un an et demi de recherches, on a trouvé la technique appropriée, l'État a investi pour financer le matériel et on a élaboré les textes nécessaires : au bout du compte, le surcoût se situe entre 0,55 et 0,66 centime d'euro par œuf. Bien entendu, il n'est pas question qu'il soit assumé par l'éleveur : pas besoin de voir le compte de résultats pour savoir que l'exploitation devrait fermer ! Non, c'est au citoyen, qui réclame cette mesure, de le supporter. Quoi qu'il en soit, j'ai dû participer à cinq à dix réunions pour aboutir à un dispositif concret, qui prendra finalement une forme très française : la contribution volontaire obligatoire…

Vous voyez bien la complexité de ce genre de choses. À tous ceux qui disent qu'il suffit de prendre la décision pour qu'une mesure s'applique, parce qu'elle va dans le sens de l'histoire, je réponds : citoyen de bon matin, consommateur passé le quart d'heure ! Il est là, le « en même temps » !

Par ailleurs, n'oublions pas qu'il ne faut jamais mélanger politique économique et politique sociale. J'ai toujours été très impliqué, notamment en tant que ministre de la ville, dans les politiques sociales, mais on ne réglera pas le problème du pouvoir d'achat des Français sur le dos de nos agriculteurs. C'est ainsi qu'a été conçue la loi de modernisation de l'économie, et c'est une folie.

À ce propos, je précise, Monsieur Potier, que la loi EGALIM 2, issue de la proposition de loi de M. Besson-Moreau, fait beaucoup plus que corriger la LME.

Vous m'avez aussi interrogé sur le plan protéines, qui est la manifestation concrète des bénéfices de notre souveraineté alimentaire pour l'environnement et pour notre pays. Il nous faut investir massivement dans ce domaine : nous avons saisi l'opportunité du plan de relance pour le faire, et nous irons encore plus loin avec France 2030. Nous devons reconquérir notre souveraineté protéique et en finir avec notre dépendance envers les États‑Unis dans ce domaine, qui est liée au traité de Rome.

Quant au foncier, l'application du volet consacré aux parts sociétaires nous enseigne que la future loi foncière, que je souhaite, devra être précédée d'une très, très large consultation pour éviter les tensions.

Monsieur Lamirault, je suis un grand défenseur des haies. Elles sont incluses dans les conditionnalités et donneront droit à un bonus dans le cadre de la PAC. Pour schématiser, les dernières politiques agricoles communes ont été perçues comme des PAC de la jachère : on recourait à cette technique pour atteindre les objectifs agroenvironnementaux. Mon objectif est que, dans plusieurs années, on parle de la future PAC comme de celle des protéines et des haies. Je ne sais pas si ce sera le cas, mais mes arbitrages vont dans ce sens, qu'il s'agisse de l'écorégime ou des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Quant à la question des pesticides volatils, elle est très difficile à résoudre, mais je l'ai bien en tête – nous pourrons en reparler.

Madame Pinel, s'agissant de la ressource en eau, nous avons pris une première mesure de simplification avec le décret relatif au débit d'usage de l'eau. Mais nous irons encore plus loin lorsque les conclusions du troisième groupe de travail du Varenne – après ceux consacrés à l'assurance récolte et au plan de prévention – seront connues, dans deux à trois semaines.

La ligne budgétaire concernant les matériels de protection contre les aléas climatiques fait partie de celles que nous continuons à abonder et pour lesquelles nous avons encore de la disponibilité. Nous finançons, je le rappelle, non seulement l'acquisition des matériels mais aussi la recherche et développement dans ce domaine. On a en effet constaté, lors de l'épisode de gel du printemps dernier, que, dans certains territoires, aucun matériel actuellement disponible n'aurait pu fournir une protection suffisante.

Concernant la main-d'œuvre, nous travaillons beaucoup, avec les professionnels, à des plans spécifiques.

Je crois beaucoup en la pertinence de notre plan stratégique national. Quelques points devront faire l'objet d'aménagements ; je pense en particulier à l'inclusion dans le plan de la révision de la haute valeur environnementale, annoncée il y a un an. De manière générale, ma position, au niveau européen, est simple : la priorité absolue, c'est la réciprocité. On ne peut plus travailler en silo, menant des politiques sectorielles visant à toujours plus de transition tout en poursuivant une politique commerciale, au sens large, qui ne protège pas. C'est l'objet de l'article 44 de la loi EGALIM et des clauses miroirs que je défends avec force.

Madame Taurine, je crois qu'à la fin des fins, nous devrons nous armer contre l' influenza aviaire en nous dotant de la vaccination. Force est en effet de constater que, même lorsqu'on investit beaucoup dans les mesures de biosécurité, le virus continue de circuler. Hélas, nous sommes loin du compte car, pour l'heure, aucun vaccin n'est homologué. Nous allons en expérimenter deux dans les prochaines semaines afin d'évaluer leur efficacité, puis j'évoquerai cette solution avec les nombreux États membres concernés – Pays-Bas, Belgique, Italie, Espagne, Allemagne… – afin de créer un consensus scientifique et vétérinaire sur ce sujet.

Votre question portant sur l'IBR, la rhinotrachéite infectieuse bovine, était très précise ; comme je ne voudrais pas que ma réponse soit erronée, je vous propose d'en discuter, à la fin de la réunion, avec le directeur général de l'alimentation, qui est ici présent.

Vous m'avez également interrogé sur les ours et les chiens de protection. À la demande du Président de la République et du Premier ministre, nous nous sommes saisis l'été dernier, pour une conclusion attendue dans le courant de cette année, de la question des chiens de troupeaux – qui soulèvent d'importants problèmes de gestion, d'appui et de statut juridique – et de celle du comptage.

Enfin, cher Monsieur Jumel, ne citez pas Raymond Barre devant moi, je suis perdu ! Plus sérieusement, le volet laitier est la mère des batailles. Vous défendez – nous en avons longuement débattu lors de l'examen de la loi EGALIM 2 – la fixation des prix par la loi. Je n'y crois pas, et pour une bonne raison, parmi d'autres : les crises passées, notamment certaines de celles que vous avez évoquées, ont pu être provoquées par l'administration du stock ou celle des prix. Cela ne marche donc pas. Avec la loi EGALIM 2, nous sommes vraiment allés aussi loin que possible : toutes les mesures susceptibles de protéger le revenu, pourvu qu'elles soient constitutionnelles, ont été prises.

Désormais, l'enjeu, c'est l'application de la loi. À cet égard, lorsque Lactalis conteste devant la Cour de justice de l'Union européenne l'obligation d'indiquer par étiquetage l'origine géographique du lait, les bras m'en tombent ! Non seulement ce n'est pas le sens de l'histoire, mais où est le patriotisme, la fierté française, dans une telle démarche ? Par ailleurs, la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) m'a interpellé au début de la semaine au sujet d'un groupe qui aurait proposé une baisse de 3,5 % des prix du lait. À moins que quelque chose ne m'échappe, et nous sommes en train d'approfondir la question, proposer une telle déflation n'est pas conforme à la loi, puisque, dans ce secteur, tout a augmenté ! J'ajoute une précision : il est certain que cette proposition n'est pas légale en aval. En amont, la liberté contractuelle complique les choses.

Quoi qu'il en soit, je ne laisserai rien passer. Il ne se passe pas une semaine sans que j'écrive personnellement à des responsables des grandes enseignes ou à des industriels pour leur indiquer les manquements constatés. Il peut s'agir, par exemple, d'un emballage de tranches de jambon qui a une étiquette « origine : France » alors qu'il est indiqué à un autre endroit que l'origine est étrangère… Non seulement je leur écris, mais je les appelle régulièrement, et nous avons créé un dispositif, signalement@agriculture.gouv.fr, qui permet d'adresser directement les constats à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, dont le nombre des enquêtes a ainsi été multiplié par quatre. Nous ne lâcherons rien !

Si les chefs de ces grandes entreprises ne veulent pas jouer le jeu de la rémunération, qu'ils disent clairement que la délocalisation de notre agriculture n'est pas leur problème. L'histoire s'en souviendra.

Nous agissons avec méthode. Dans le cas de la baisse du prix du lait de 3,5 % que j'évoquais, nous avons saisi le médiateur, à la demande de la FNPL, afin de déterminer si la proposition est légale ou non. J'attends sa réponse mais, le cas échéant, ma main ne tremblera pas : je serai d'une sévérité totale. Car, encore une fois, c'est la mère des batailles. N'oublions pas cependant que la loi EGALIM 2 n'est pas une baguette magique : elle nous donne des outils, des armes, pour que nous puissions intervenir dans la guerre des prix, qui est mortifère pour notre souveraineté. Nous allons donc nous battre.

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