Je suis aujourd'hui, comme je l'étais au seuil de mon premier mandat, honoré de la confiance que me témoigne l'État. Le CEA est une grande et belle maison. La diriger est une responsabilité, parfois lourde, écrasante même, mais dont j'ai la pleine conscience et la fierté, si je devais la poursuivre.
Je commencerai par dresser le bilan de mon mandat. Il importe, me semble-t-il, de rendre des comptes sur ce qui s'est passé au cours des quatre dernières années. Je traiterai successivement les trois points du cahier des charges de mon mandat : placer le CEA en situation de définir des priorités et de répondre aux grands enjeux contemporains en matière de transition énergétique, de numérique et de santé ; mener à bien plusieurs chantiers potentiellement en souffrance ou en retard, en raison notamment de difficultés de financement ; favoriser une ouverture, en interne et en externe, de l'organisme.
L'acquis principal du mandat est d'avoir défini un cadre stratégique, mené une revue d'ensemble des activités et fixé les grandes tendances que sont la transition numérique, la transition énergétique et la santé, le tout adossé à un socle de recherche fondamentale d'excellence. Cela nous a permis de définir nos priorités, lesquelles figurent dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) qui régit les relations entre l'État et le CEA pour les années 2021 à 2025.
Sur la question de l'énergie, nous avons fait le nécessaire pour rendre concret le changement de nom du Commissariat. Nous avions des équipes qui s'occupaient de nucléaire et d'autres qui s'occupaient de nouvelles technologies de l'énergie, mais elles ne travaillaient pas nécessairement ensemble. Nous avons donc essayé de construire une vision intégrée de l'énergie, dans le cadre d'une direction des énergies, chargée d'identifier les complémentarités possibles entre les diverses formes d'énergie. Comme le montre le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de Réseau de transport d'électricité (RTE), nous n'avons pas le choix : nous devons utiliser toutes les formes d'énergie dans des modes de complémentarité.
Ce travail de transformation n'a pas été simple. Il a fallu faire travailler ensemble des gens qui y étaient parfois réticents. Nous y sommes parvenus dans les domaines de la chimie nucléaire et du recyclage des batteries, ainsi que dans le domaine de la modélisation, en appliquant l'acquis du nucléaire aux nouvelles technologies de l'énergie. Cette importante transformation du Commissariat commence à porter ses fruits.
Nous avons essayé de mener le même travail sur le numérique, pour montrer la valeur ajoutée du CEA dans ce domaine, de la puce et du semi-conducteur au logiciel et à l'intelligence artificielle. Rappelons que le CEA est un organisme régalien. Je ne peux aborder, dans le cadre de cette audition publique, les sujets militaires ni les questions de dissuasion nucléaire ; c'est pourquoi je me contente de rappeler notre rôle stratégique en matière électronique. La pénurie de semi-conducteurs montre à quel point il est important de construire le socle d'une industrie électronique européenne – c'est ce que le CEA est en train de faire.
Dans le domaine de la santé, l'objectif n'est pas de se substituer aux uns et aux autres, qui font leur travail excellemment, mais de les faire bénéficier de l'originalité du CEA, qui est à la croisée de la compréhension de phénomènes biologiques fondamentaux, des technologies et de la maîtrise de la donnée, pour produire, par exemple, des dispositifs médicaux.
Cette structuration a porté ses fruits dans le domaine de l'énergie, comme le montre la création de Genvia, coentreprise consacrée à l'hydrogène, dans le domaine de l'électronique, comme le montre le succès de la start-up Soitec, issue du CEA, qui vaut des milliards d'euros en Bourse, et dans le domaine de la santé, avec la start-up Diabeloop.
J'en viens aux chantiers en souffrance et au traitement des difficultés, en commençant par la question financière. En 2017, la comparaison entre les besoins du CEA et ses ressources financières faisait apparaître un écart de près de 2 milliards d'euros. Nous sommes aujourd'hui sortis de cette impasse. L'État a alloué aux équipes du CEA des moyens complémentaires, notamment dans le cadre de la loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030. Par ailleurs, la dette du CEA vis-à-vis de l'entreprise Orano, qui datait de quinze ans et s'élevait à près de 800 millions d'euros, a été complètement apurée. La situation financière du Commissariat est donc saine.
J'évoquerai brièvement trois sujets de préoccupation.
Le projet de réacteur Jules Horowitz a connu, comme d'autres projets nucléaires, des difficultés en termes de calendrier et de coûts. À mon arrivée, j'ai souhaité qu'il soit audité par des experts indépendants, dans le cadre d'une commission pilotée par M. Yannick d'Escatha. Elle a formulé plusieurs préconisations, dont la mise en œuvre a permis de mettre sur les rails l'indispensable réacteur d'essais dont a besoin la filière nucléaire, comme l'a d'ailleurs montré un nouvel audit externe. La mise en ordre du projet par les équipes du CEA est à mes yeux assez impressionnante et doit être saluée. Elle participe de la rationalisation des activités.
La mise en ordre de l'assainissement et du démantèlement des installations nucléaires vise à gérer les héritages de nos activités depuis 1945 et à ne pas laisser un passif à la société. Mon prédécesseur, M. Daniel Verwaerde, a engagé un énorme travail qui porte ses fruits. Les projets sont désormais beaucoup plus structurés et cohérents qu'ils ne l'étaient ; ils s'inscrivent dans le cadre d'une feuille de route partagée avec les deux autorités de sûreté nucléaire, civile et de défense, qui se sont dites satisfaites du travail accompli par le CEA dans ce domaine.
Avec mon adjointe, Mme Laurence Piketty, nous avons accentué nos efforts sur les questions fondamentales de sûreté et de sécurité, ce qui suppose un renouvellement permanent. Là encore, les autorités de sûreté reconnaissent que notre politique commence à porter ses fruits.
J'en viens à la politique d'ouverture internationale du Commissariat. Dans ses déclarations relatives au futur European Chips Act sur les semi-conducteurs, le commissaire européen Thierry Breton a insisté sur la force du « tripode » de recherche constitué par l'Institut Fraunhofer allemand, l'Institut de microélectronique et composants (IMEC) belge et notre CEA. Il a ainsi salué les collaborations que nous avons su développer entre ces trois grands de la recherche en électronique qui, parfois considérés comme des concurrents, sont aujourd'hui devenus, dans la dynamique européenne, des partenaires.
Je veux également souligner une insertion accrue dans nos politiques de sites – Paris‑Saclay et Grenoble, principalement –, où nous développons nos partenariats historiques, en coopération avec les universités.
Nous travaillons étroitement avec les organismes de recherche. J'en veux pour preuve le programme prioritaire de recherche sur l'hydrogène, qui mobilise à la fois le CNRS et le CEA dans un esprit mutuel de collaboration, comme en atteste le renouvellement de la convention de collaboration d'ensemble que j'ai signé avec M. Antoine Petit, le président-directeur général du CNRS.
S'agissant de la vie interne du Commissariat, j'ai souhaité favoriser un plus grand partage sur les orientations. Ainsi, le rapprochement des équipes travaillant sur les questions d'énergie a été organisé à partir de nombreux séminaires réunissant plusieurs milliers de personnes – une pratique dont nous n'étions pas coutumiers.
Nous essayons également d'écouter régulièrement ce que disent les salariés. En 2020 et en 2021, nous avons organisé avec l'institut Ipsos deux enquêtes internes. En 2021, sur les quelque 8 100 personnes qui ont répondu, 80 % ont déclaré qu'elles recommanderaient sans hésitation le CEA comme employeur, 90 % que notre attitude a été « socialement responsable » pendant la crise sanitaire, 70 % que les conditions de travail sont satisfaisantes, 80 % qu'elles ont trouvé un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le niveau de stress, quant à lui, est passé de 6,5 % en 2017 à 5,7 % en 2021. Les salariés se plaignent, avec raison, de la complexité administrative et bureaucratique de notre fonctionnement, ainsi que de l'accumulation et du mauvais partage de la charge de travail. Il y a là deux chantiers sur lesquels nous devons impérativement travailler.
Effectivement, un mouvement social est en cours. J'entends dire parfois que les salaires n'auraient pas augmenté depuis treize ans. C'est inexact : ils ont augmenté, en moyenne, de 2 % à 2,5 % par an. Il est vrai, en revanche, que cette augmentation n'est pas passée par une augmentation du point ; les mesures ont été individuelles, tout en permettant une augmentation de tous, en moyenne, une année sur deux.
Les établissements publics sont cadrés par la puissance publique : l'État souhaite, à juste titre, pouvoir disposer d'une vision harmonisée entre chaque établissement placé sous sa tutelle. En 2021, le CEA a obtenu le meilleur cadrage budgétaire, avec une augmentation de 2 % quand celle-ci a été, pour d'autres établissements, de 1,2 % ou 1,3 %. Je me suis battu pour que la LPR ne comprenne pas seulement des mesures à destination des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), dont les personnels sont généralement des fonctionnaires – au CEA, les salariés sont sous statut privé –, mais aussi à destination des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). Je remercie Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation d'avoir accédé à notre demande. Ainsi, nous avons obtenu 3,7 millions d'euros supplémentaires en 2021 et il en sera de même en 2022.
En 2021, nous avons également pris des mesures supplémentaires en matière salariale en direction des jeunes et des bas salaires. Nos 1 300 thésards ont été augmentés. Plus de 1 000 personnes ont bénéficié d'un rattrapage salarial, lequel n'a pas été général. C'est cela même qui, aujourd'hui, est contesté. La hausse de l'inflation change évidemment la donne, mais je me dois d'agir en concertation avec l'État. Depuis la fin de l'année dernière, nous travaillons donc tous ensemble, dans un souci d'apaisement, avec les partenaires sociaux afin d'obtenir des moyens supplémentaires. J'espère ardemment que nous parviendrons à trouver une solution rapidement.
J'aimerais maintenant dire quelques mots du futur. La crise sanitaire a conforté notre action. Les notions d'autonomie, d'indépendance et de souveraineté, au cœur de nos missions, semblaient naguère un peu démodées ; elles sont aujourd'hui devenues cruciales, du fait des ruptures des chaînes d'approvisionnement et de toutes les difficultés que nous avons rencontrées. Tout le monde a pu prendre conscience de l'importance de ce que nous faisons, avec le modèle qui est le nôtre – et celui des autres Research and Technology Organisations (RTO) européens, tel l'Institut Fraunhofer en Allemagne – capable d'associer la recherche la plus avancée, l'industrie, les usages, les marchés, les applications économiques et les réponses aux enjeux sociétaux. Il a fait preuve de son efficacité, en France, en Europe et dans le monde.
Dans le cadre de mon second mandat, je souhaiterais conforter ce modèle de RTO en l'orientant vers les priorités énergétiques de demain : le nucléaire, les innovations, l'hydrogène. De ce point de vue, notre travail en interne et avec Genvia vise à ce qu'à la fin de la décennie, nous parvenions à un coût de production du kilo d'hydrogène de 2 euros sans pour autant répéter les erreurs du passé, qui ont consisté à nous doter d'une énergie sans avoir les moyens permettant de la produire – l'exemple de l'importation des panneaux photovoltaïques est éloquent. En l'occurrence, les électrolyseurs doivent être fabriqués en France, avec la technologie que nous essayons de développer avec Schlumberger. La question de la microélectronique est tout aussi fondamentale ; dans ce domaine, j'appelle de mes vœux un grand projet, autour du plan France 2030 et de ce qui est défendu par le commissaire Thierry Breton. Enfin, des chantiers d'avenir se présentent devant nous, comme le quantique ou la santé personnalisée.
Cela suppose de conforter le modèle économique en disposant des ressources nécessaires. Tous les besoins du CEA ne sont pas couverts au premier jour de l'année ; nous devons rechercher des partenariats avec l'industrie, ce qui est normal, mais encore faut-il que le contexte soit favorable. La suppression, dans le cadre du CIR, du doublement de l'assiette des dépenses relatives aux opérations de recherche n'a pas été une bonne nouvelle pour nos partenaires industriels, ni pour nous. Dans le monde de la recherche, la concurrence est réelle. Sans envisager des délocalisations lointaines, il est toujours possible de trouver en Europe des centres de recherche dont les conditions d'accès sont meilleures. Nous verrons ce qu'il en est du nouveau CICO mais, s'il est insuffisant, nous devrons nous tourner vers l'État afin qu'il nous donne des moyens supplémentaires.
Mon troisième objectif est de poursuivre le travail d'ouverture, de partage, de dialogue et de digitalisation.
Le quatrième consiste au renforcement de l'innovation au sein du Commissariat.
Tout cela ne sera possible que si nous maintenons nos partenariats, la transversalité – nos directions doivent travailler ensemble –, et si nous parvenons à faire mieux connaître notre action. Le CEA est en effet associé au seul domaine nucléaire, mais il faut bien comprendre qu'il est fondamental et stratégique dans des secteurs aussi variés que la défense, l'énergie, l'électronique et la santé.