Intervention de François Jacq

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 9h05
Commission des affaires économiques

François Jacq, administrateur général du Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

Monsieur Cellier, je comprends les revendications qui s'expriment en interne, qui plus est dans un contexte d'inflation. En 2021, nous avons essayé de traiter une partie de la question, à savoir la revalorisation de la grille d'embauche et des plus bas salaires. La politique salariale doit, par principe, concerner l'ensemble de l'organisme, et la contribution des femmes et des hommes du CEA à l'excellence de l'institution doit être reconnue. La direction du CEA s'y est employée au cours des quatre dernières années. Non seulement nous nous sommes battus pour obtenir des moyens additionnels dans la LPR, mais nous avons été en chercher d'autres, par exemple en termes de primes. Il y a eu un engagement considérable, même si on peut toujours le juger insuffisant. Le contexte est aujourd'hui profondément renouvelé du fait de la résurgence de l'inflation. L'indice des prix moyenné s'élève à 1,6 % tandis qu'en point à point, on atteint 2,8 % sur l'année 2021. J'ai explicitement demandé à l'État des marges de manœuvre, en termes de cadrage, pour répondre aux attentes des salariés. J'en ai informé ces derniers fin 2021 et lors de mes vœux pour 2022. J'espère fortement que l'État nous accompagnera.

J'en viens à la politique énergétique et au volet « nucléaire et innovation ». Ce dernier consiste, à côté de la construction des EPR, à ouvrir de nouvelles voies, principalement dans le domaine des petits réacteurs, autrement dit des small modular reactors (SMR). Il y a quatre ans, je vous avais déjà dit que c'était une des priorités sur lesquelles nous devions travailler. À l'époque, cela prêtait peut-être à sourire, mais aujourd'hui, chacun a pris conscience de l'importance du sujet.

La première voie mentionnée par le Président de la République est le projet Nuward, dont le chef de file est EDF mais dans lequel le CEA est impliqué, avec ses ingénieurs et ses chercheurs, notamment sur les questions de neutronique et de cœur. Une équipe intégrée est en train de se constituer entre EDF, Framatome, TechnicAtome, Naval Group et le CEA. Un petit réacteur de ce type pourrait également être couplé avec une production d'hydrogène dans des conditions intéressantes.

La deuxième voie évoquée par le Président concerne des réacteurs que je qualifierai de plus innovants, dans la mesure où ils comportent des cycles du combustible différents ou des caractéristiques distinctes. À titre d'exemple, on parle toujours des réacteurs en termes de production d'électricité, mais ils pourraient être aussi d'excellents producteurs de chaleur et répondre ainsi à des besoins qui ne sont pas couverts par l'électricité. Le CEA sera partie prenante de ces projets, par ses innovations, ses idées et ses chercheurs, qui ont envie de développer des projets dans ce domaine – j'ai récemment constaté, à Cadarache, une réelle dynamique au sein des équipes. Nous appuierons, par nos laboratoires et nos plateformes, des entreprises et des start-up, à l'instar de ce que font, aux États-Unis, le Department of Energy, avec ses National Labs, et la NASA, lesquels collaborent avec des industriels. Le CEA doit avoir, à mon sens, un rôle de cheville ouvrière. Nous enverrons, ce faisant, un message d'innovation et de transformation, y compris à destination des jeunes et des territoires, où seront certainement installés des démonstrateurs.

Avant de parler des start-up, je voudrais insister sur le rôle de nos plateformes régionales de transfert technologique (PRTT) – au nombre de six ou sept, selon la définition retenue –, qui sont des outils d'ancrage du CEA dans le territoire. Leur vocation est d'aller vers les PME, pas forcément celles qui sont familières du monde de la recherche, pour les aider à s'acculturer aux nouvelles technologies et à en tirer profit. Nous avons également déployé en interne un nouveau dispositif, dénommé « Magellan », de prématuration et de maturation pour favoriser le développement d'entreprises. Sans vouloir nécessairement faire du chiffre, nous visons le développement qualitatif et quantitatif de start-up au-delà des domaines comme l'électronique où elles prospèrent traditionnellement – il en existe aussi, à présent, dans le secteur de l'énergie. Par ailleurs, nous essayons de développer des centres d'innovation ouverte. Nous en avons déjà créé un, à Grenoble, dénommé « Y.SPOT », et nous réfléchissons à d'autres implantations, parmi lesquelles Toulouse, afin d'encourager la dynamique régionale.

Monsieur Corceiro, s'agissant de la stratégie et des grandes priorités en matière de politique énergétique, il faut partir des constats dressés par RTE dans plusieurs de ses rapports. Certes, on savait que le monde de demain serait plus électrifié, car l'électrification des usages est un des moyens de décarboner. Or, pour produire cette électricité décarbonée, on ne peut se payer le luxe d'exclure certaines solutions. Lorsque nous étions complètement à l'arrêt, pendant le confinement, et que plus personne ne voyageait, nos émissions de CO2 ont baissé de 15 à 20 %. Cette situation nous a semblé très difficile. Or il nous faut potentiellement, à terme, baisser les émissions de 80 % ! Nous devons donc travailler dans toutes les directions. Il ne faut pas opposer les formes d'énergie entre elles mais considérer qu'elles sont complémentaires.

RTE l'a bien montré : compte tenu de la structure du parc français de production d'électricité, vouloir se passer du nucléaire exige des niveaux de production d'énergies renouvelables et d'économies d'énergie que nous n'avons jamais été capables d'atteindre par le passé – pas plus, d'ailleurs, que nos voisins. Nous avons donc absolument besoin de la composante nucléaire. Il est possible de parvenir à un fonctionnement harmonieux en intégrant les différentes formes d'énergie.

Le CEA joue évidemment un rôle actif dans la recherche en matière nucléaire. Lorsqu'on cherche à comprendre l'origine des difficultés auxquelles on est confronté dans ce domaine, qu'elles concernent le parc actuel ou les EPR, on se tourne vers le CEA, qui détient la compétence de base en physique, en chimie et en neutronique. C'est ce que fait EDF quand il rencontre un problème un peu plus poussé, qu'il ne comprend pas. Le CEA joue donc un rôle clé de support à la filière. Il en va de même pour l'aval du cycle, où nous intervenons essentiellement en appui à Orano.

Notre recherche présente donc une double dimension : le support au parc, d'une part ; l'innovation, l'ouverture et la prise en compte du cycle, d'autre part.

Je voudrais mentionner deux autres domaines essentiels, qui constituent le troisième axe de notre action en matière énergétique. Le premier est l'hydrogène, sujet qui nous est cher, et sur lequel les efforts que nous réalisons depuis une quinzaine d'années commencent à porter leurs fruits. Le second est le photovoltaïque : grâce à nos compétences dans les technologies de la microélectronique – les couches minces –, nous sommes allés vers le solaire.

Le quatrième axe de notre politique énergétique concerne les réseaux intelligents, ou smart grids. Il s'agit de combiner les formes d'énergie et de concevoir les réseaux électriques de demain.

La feuille de route technologique et scientifique du CEA est en adéquation avec les constats dressés par RTE.

Madame Hennion, nous ne sommes pas l'acteur majoritaire du cybercampus, mais nous y sommes présents car cela nous semble fondamental.

Nous accordons une place importante à la cybersécurité. Historiquement, elle relevait plutôt de la direction des applications militaires, mais nos collègues en charge de l'énergie nucléaire et de l'électronique s'y sont rapidement intéressés. Un programme prioritaire de recherche consacré à la cybersécurité est copiloté par le CNRS, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) et le CEA – c'est un bon exemple de fédération et d'agrégation des forces entre organismes.

Le CEA utilise ses compétences en microélectronique pour mener une réflexion sur la cybersécurité. Il s'efforce de concevoir des composants qui confèrent une plus grande sûreté et réduisent les possibilités de piratage. Nos travaux portent sur la fabrication de puces ou l'élaboration de mécanismes algorithmiques résistants aux attaques. Par exemple, des équipes travaillent à Saclay pour contrer d'éventuelles attaques de pirates qui entendraient prendre le contrôle d'un véhicule autonome.

S'agissant du quantique, nous menons un travail de fond pour disposer d'un qubit, c'est‑à-dire du premier élément de base d'un ordinateur. Par ailleurs, nous réfléchissons aux contre-mesures que l'on pourrait appliquer si les perspectives ouvertes par le quantique se matérialisaient et si cette technologie offrait les capacités attendues, par exemple pour casser les codes. C'est un fil rouge qui associe les différentes directions du CEA.

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