En 2015, Nokia rachète Alcatel-Lucent avec la bénédiction de François Hollande et Emmanuel Macron. Lors des pourparlers de rachat, la direction du groupe et Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, annonçaient que c'était la meilleure solution pour garantir la pérennité de l'industrie des télécom en France, et des emplois afférents. Monsieur Macron déclarait : « Cette opération permettra de constituer un champion européen dans le domaine des technologies de communication […] et de se positionner au meilleur niveau de la compétition mondiale. »
Bien qu'écoeurées de voir une entreprise plus que centenaire en arriver là, les organisations syndicales ne se sont pas opposées au rachat. Il devait permettre les investissements nécessaires à la recherche et au développement des produits et technologies futures – 5G, cybersécurité – et un élargissement du portefeuille clients.
Le même discours nous avait été tenu que dix ans plus tôt, lors de la fusion Alcatel-Lucent. Par l'addition des chiffres d'affaires, le nouveau Nokia devait devenir le N°1 mondial des fournisseurs de réseaux télécom. Huawei et Ericsson n'avaient qu'à bien se tenir ! Le rachat débute aussitôt par 1 milliard d'euros de « synergies », qui se traduisent essentiellement par des suppressions d'emplois en Europe de l'ouest.
Des engagements non tenus : le Gouvernement avait donné son aval au rachat d'Alcatel-Lucent par Nokia, avec un accord signé entre le PDG de Nokia et le ministre de l'économie d'alors, Emmanuel Macron. Nokia s'engageait à maintenir le niveau de l'emploi dans les cinq entreprises du futur groupe au niveau de celui de fin 2015, soit 5 500 personnes. En particulier, le niveau de l'emploi des deux principales filiales devait être maintenu à 4 200 salariés pendant au moins deux ans après le rachat, soit jusqu'en janvier 2018, parmi lesquels au moins 2 500 ingénieurs en R&D pendant deux années supplémentaires, à condition que le crédit impôt recherche soit maintenu. Nokia a perçu 65 millions d'euros de crédit impôt recherche en 2016.
Quatre mois après le rachat, en janvier 2016, Nokia annonçait un premier plan social de 400 emplois, justifié par la disparition du siège d'Alcatel-Lucent, mais surtout par la délocalisation des emplois français vers l'Europe de l'est. Pour garantir le niveau de l'emploi, la suppression de ces 400 postes d'ingénieurs et cadres dans les fonctions support – avant-vente, activités commerciales, installation des produits, maintenance, services généraux – devait être compensée par l'augmentation des effectifs dans la recherche et développement. Nokia n'a pas tenu ses engagements : les départs ont bien eu lieu, mais pas les embauches en R&D.
Début septembre 2017, l'intersyndicale CGT – CFDT – CFE-CGC a interpellé le Gouvernement et l'Élysée. D'autant que Nokia annonçait, début septembre, une nouvelle saignée de 600 emplois en France, de nouveau dans les fonctions support, alors que le plan de licenciements précédent n'est même pas terminé.
Pourtant, Nokia a distribué 4,4 milliards d'euros à ses actionnaires sous forme de dividendes et rachats d'actions. Sa trésorerie est très confortable et son résultat opérationnel en 2016 atteint 9 %. Dans ce nouveau PSE, le travail ne disparaît pas, mais les trois quarts des nouveaux emplois hautement qualifiés sont massivement délocalisés vers l'Europe de l'est – Hongrie, Roumanie, Pologne – et au Portugal. Les actions des salariés avec l'intersyndicale, par exemple le blocage de sites, ont à ce jour permis de sauver 44 postes sur les 597 suppressions d'emplois ; les négociations se poursuivent.
Mais outre les drames sociaux, ce PSE est une nouvelle perte de savoir pour notre pays. Ces licenciements délocalisent de l'emploi hautement qualifié. Le Gouvernement continue de suivre les engagements dans la R&D – suivi des embauches dans les filiales Alcatel-Lucent International (ALUI) et Bell Labs –, et en matière de stratégie, mais exclut d'intervenir pour les autres types de métiers dans les fonctions support. Nous attendons également des réponses sur la pérennité des sites de Lannion et Nozay et leurs emplois au-delà de 2020. Nous avons d'ailleurs eu une longue réunion de suivi hier soir avec la secrétaire d'État Delphine Gény-Stephann.
La vigilance et les engagements seuls ne suffisent pas. La preuve est faite que les accords de ce type, mis en avant dans la cession des turbines d'Alstom à General Electric (GE), puis maintenant des activités ferroviaires d'Alstom à Siemens, ne sont jamais respectés par ces groupes multinationaux. Le PSE 2018 de Nokia permet de conclure, a minima, que pour être respectés, les engagements signés par les multinationales doivent être très précisément chiffrés, planifiés et contraignants. Ils doivent être suivis avec la plus grande attention par les pouvoirs publics aidés d'experts et des représentants des salariés.
Les contreparties en cas de non-respect doivent être précisément définies. Mais ce ne restera jamais qu'un pis-aller qui ne peut constituer une politique industrielle ambitieuse pour l'emploi, les savoir-faire, le niveau technologique, pour les Français et leur souveraineté.
En laissant ces fleurons passer sous domination étrangère, la France perd la maîtrise des réseaux télécom, en particulier de leur sécurité. Elle perd aussi les brevets, clé majeure du développement des nouvelles technologies. Nous ne voyons d'ailleurs pas plus de politique cohérente au niveau européen sur la cybersécurité.
Nous avons besoin d'une véritable stratégie industrielle au niveau français et au niveau européen dans les domaines des télécoms, de la cybersécurité, des objets connectés, des réseaux de sécurité publique, afin de garantir la souveraineté de chaque État et le maintien du développement des emplois, en particulier en France.
Les télécommunications sont un sujet stratégique pour la France et l'Europe. Le Gouvernement ne peut rester simple spectateur des décisions du groupe Nokia, qui affecteront inévitablement toute la filière.
Pour garantir la sécurité des réseaux, nous avons également besoin de maîtriser la filière des composants avec des sociétés telles que ST Microelectronics, le hardware et le software. Cela n'est pas assuré par les montages capitalistiques des fusions-acquisitions. L'État doit agir.
Nous souhaitons vous faire part de quelques pistes pour le développement des télécom en France et en Europe. Les projets « Confiance numérique » de la « Nouvelle France Industrielle » et le développement des réseaux à très haut débit nous paraissent avancer trop lentement. En ce qui concerne le très haut débit, l'accès à un débit d'au moins 30 Mbitsseconde est prévu pour tous les Français, par la fibre ou la 4G, pour 2020-2022 ; mais il est d'ores et déjà prévu des dérogations autorisant des débits beaucoup plus faibles. Et la 5G prévoit des débits d'au moins 50 Mbitsseconde et un faible temps de réponse, et donc de nouvelles applications, à partir de 2018-2020. Le plan 2020-2022 nous semble donc déjà en retard d'une génération technologique. Il faut réfléchir avec les opérateurs à l'avancement commercial sur la 5G.
Que penseriez-vous d'un voyage Berlin-Madrid qui s'effectuerait partout en conduite autonome, sauf au beau milieu de la douce France ? Pour avancer, nous proposons un projet de réseau paneuropéen de 200 kilomètres de voies routières connectées, permettant l'autonomie des véhicules en toute sécurité, par exemple dans la région transfrontalière Allemagne-France-Luxembourg-Belgique-Suisse.
Profitons des vitrines « France 2023 » et « Paris 2024 » pour accélérer les applications de l'internet des objets autour de la 5G : nous proposons que soit financée très rapidement une plateforme 5G évolutive ouverte aux applications de toutes les start-up, écoles et universités ayant des idées pour 2024. Plus les idées sont avant-gardistes, plus elles sont recevables. Par ailleurs, des réseaux d'initiative publique sont en partie financés par l'État. Il est dommageable pour l'industrie française des télécom que les matériels choisis par les opérateurs soient entièrement chinois.
Le Cloud permettant l'implémentation des matériels et logiciels dans un lieu « hors contrôle », à la localisation non maîtrisée, la cybersécurité devient une nécessité urgente. L'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) travaille sur une mise à jour de la réglementation R-226, mais la sortie des obligations réglementaires doit être plus rapide.
Les réseaux privés tels que ceux de la police et la gendarmerie ont plus de vingt ans. Nous invitons les parlementaires à engager leur modernisation vers les normes PMR-LTE. Enfin, en cas d'urgence ou de catastrophe naturelle, Nokia propose des solutions portables pour installer des réseaux télécoms. Ces dispositifs sont testés en France.