Intervention de Michel Rouzeau

Réunion du mardi 17 décembre 2019 à 19h00
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration :

L'inspection générale de l'administration (IGA) est une inspection générale placée sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, qui a pour autant une double vocation, à la fois ministérielle dans le vaste périmètre qui est celui du ministère de l'Intérieur, mais aussi interministérielle dans la mesure où des lettres de mission peuvent lui être confiées par le Premier ministre ou par d'autres membres du Gouvernement que le ministre de l'Intérieur ; je pense en particulier à la ministre de la Cohésion des territoires, à la disposition de laquelle l'IGA se trouve, et à la ministre des Outre-mer. Nous travaillons également dans le cadre de missions interministérielles, surtout avec les ministères des Affaires sociales, de la Santé, de l'Environnement et d'autres ; les missions sont nombreuses.

Le premier de nos métiers est le contrôle du fonctionnement des services, comme nous l'effectuons notamment à travers des enquêtes administratives lorsque des dysfonctionnements ou des irrégularités surviennent. Le contrôle porte à la fois sur la régularité par rapport aux textes applicables et sur le bon emploi des crédits. Notre deuxième métier, apparu plus tardivement dans l'histoire administrative, est l'audit interne, l'IGA étant l'auditeur interne du ministère de l'Intérieur. Ce métier nous conduit à apprécier les risques et les dispositifs de prévention des risques qui sont mis en œuvre dans les administrations, aussi bien au niveau central que territorial. Notre troisième métier – je ne mets pas d'ordre d'importance – est l'évaluation des politiques publiques qui vise à vérifier l'atteinte des objectifs des politiques publiques, leur efficacité et leur efficience. Enfin, nous assurons un appui aux services, puisqu'il arrive assez fréquemment que l'on nous confie des missions d'appui aux services d'administration centrale ou territoriale dans leur démarche de transformation. Je citerai aussi, puisque je me trouve devant une mission d'information parlementaire, les cas dans lesquels, à la demande du Gouvernement, tel ou tel de mes collègues vient appuyer un parlementaire en mission dans la réalisation de ces travaux. Cela se produit assez fréquemment.

J'en viens à l'application des lois et à leur concrétisation dans les territoires. Ce point essentiel ne constitue que l'un des nombreux sujets examinés par une inspection générale lors de ses missions. Il est évidemment très important. Il est même prioritaire dans l'ordre des préoccupations, mais il est loin d'être exclusif. Il n'est pas présent dans toutes les missions d'inspection. En effet, les questions de qualité du service public rendu aux usagers sur le terrain, notamment dans les territoires, les questions du management des équipes par les chefs de service, du bon emploi des crédits et, plus largement, les bonnes pratiques des administrations et la communication sur les actions mises en œuvre, font partie du quotidien des inspecteurs, qui ne sont pas toujours amenés à travailler directement sur l'application ou la concrétisation d'une disposition législative.

En revanche, certains de nos travaux sont beaucoup plus directement et concrètement reliés à la notion d'application des lois. Il arrive que les inspections générales soient directement chargées par le Gouvernement d'effectuer le bilan de l'application d'une loi. Nous pourrions citer plusieurs exemples plus ou moins récents dans des domaines très différents. Nous avons été amenés à travailler par exemple sur le bilan des dispositions législatives relatives à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations (GEMAPI). Nous avons récemment effectué un bilan de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Nous avons, dans un passé un peu plus ancien, été amenés à examiner le bilan des dispositions législatives qui ont créé de nouvelles mesures de police administrative dans le cadre de l'état d'urgence. Plus ou moins régulièrement, nous effectuons des bilans et une évaluation de textes législatifs.

De manière beaucoup plus générale, un service d'inspection, qu'il s'agisse de l'IGA ou d'autres corps de contrôle ou d'évaluation, vérifie dans le cadre de ses missions que l'ensemble de ce que l'on appelle le « bloc de légalité » a été respecté, non seulement les lois votées ici par l'Assemblée nationale et le Parlement, mais aussi les décrets d'application, les arrêtés ministériels et préfectoraux d'application. Le contrôle porte tout à la fois sur le volet législatif et sur le volet réglementaire, sans que nous ne soyons forcément amenés dans nos rapports à faire cette distinction, même si nous citons les textes, bien évidemment.

De façon très concrète, au-delà de ce corpus juridique, nous nous assurons que les circulaires, directives et instructions émanant du Gouvernement sont mises en œuvre, que ce soit d'ailleurs dans les administrations centrales ou dans les services déconcentrés de l'État.

L'IGA reste un organe du pouvoir exécutif, placé sous son autorité. Pour autant, l'application de la loi en tant qu'expression de la volonté générale appréhende par définition tous les travaux des inspections dans la mesure où toute action administrative procède de la loi.

Au sujet de la concrétisation des lois dans les territoires, le volet territorial des politiques publiques est très présent dans nos travaux. Il est présent à un double titre. L'IGA étant rattaché au ministère de l'Intérieur, nous évaluons l'organisation des préfectures et la mise en œuvre de leurs attributions dans le cadre d'une mission permanente qui nous conduit à élaborer un programme annuel de déplacement dans les services des préfectures. De ce fait, nous avons construit tout un corpus de constats, de recommandations, sur l'organisation territoriale de l'État. Ceci est renforcé par un autre volet de notre activité, qui consiste à coordonner toutes les inspections ministérielles qui interviennent dans les directions départementales interministérielles (DDI) : directions départementales des territoires ou des territoires et de la mer, directions départementales de la cohésion sociale ou encore de la protection des populations. Plusieurs inspections ministérielles sont impliquées dans cette évaluation des DDI dans les départements, et l'IGA les coordonne, anime et pilote le réseau de ces inspections. Nous avons là aussi un programme de travail annuel qui nous conduit à intervenir dans les DDI et à faire au Gouvernement des recommandations sur l'évolution de ces services déconcentrés.

D'autre part, l'IGA est fréquemment saisie au sujet des collectivités locales. Dans le respect de la décentralisation, nous n'inspectons pas les collectivités locales. Nous ne pouvons intervenir dans une collectivité locale ponctuellement qu'à la demande de l'exécutif de cette collectivité, qui peut être amené à demander au Gouvernement de lui prêter le concours de l'inspection générale. En revanche, nous effectuons des missions d'évaluation dans les champs des politiques décentralisées. L'IGA compte d'ailleurs dans ses rangs plusieurs anciens directeurs généraux de services de grandes collectivités locales qui complètent leur parcours professionnel au sein de l'État, et notamment à l'IGA. Cette dernière est désormais bien connue des grandes associations nationales de collectivités locales (maires de France, départements de France, régions, intercommunalités) avec lesquelles elle a même parfois conduit, à la demande du Gouvernement et de leurs présidents, des missions conjointes à quelques occasions. Elle a effectué au cours des dernières années des revues de dépenses prévues et votées dans les lois de finances, sur des sujets relatifs à la gestion publique locale, par exemple, la fonction achat ou les dépenses de voirie des collectivités locales. Elle a même réalisé un audit qui avait été commandé à la fois par le Premier ministre et le président de l'association des maires de France sur la mutualisation des moyens dans le bloc communal (communes et intercommunalités).

Votre mission d'information questionne les disparités territoriales dans l'application des lois. Bien sûr, l'IGA est parfois amenée à faire ce constat, seule ou conjointement avec d'autres inspections générales. Les exemples de disparités sont nombreux. J'écarterai tout de même les cas dans lesquels le législateur a lui-même différencié les règles ou les organisations, ce qui arrive. À l'occasion de ces missions relatives au retour d'expérience des catastrophes climatiques (submersions marines, inondations, etc. ), de plus en plus fréquentes, l'IGA relève que l'application de la règle d'urbanisme, largement décentralisée, est très inégale selon les territoires, et que les inégalités qui la marquent sont au nombre des facteurs d'aggravation des conséquences humaines et matérielles de ces événements.

Dans le champ de la libre administration des collectivités, l'IGA relève fréquemment que des dispositions votées par le législateur, par exemple en matière de structures intercommunales ou de délégation de compétences, ne sont pas utilisées aussi intensément sur toutes les portions du territoire, ce qui est a contrario parfaitement légitime, tant il est vrai que le législateur, loin de ne créer que des obligations, édicte également des facultés.

Autre exemple beaucoup plus régalien : l'attention portée à la prévention de la fraude documentaire (titres d'identité, passeports, cartes d'identité, permis de conduire, certificats d'immatriculation de véhicules, titre de séjour) et à ses conséquences socio-économiques n'est pas la même sur tout le territoire, selon que la pression est plus ou moins forte sur l'impératif de rapidité de la réponse à l'usager par rapport à l'impératif de sécurité. Dans la délivrance des titres, les exemples de disparités pourraient être encore beaucoup plus nombreux.

Votre mission s'est penchée de près sur l'organisation territoriale de l'État. Cette dernière a fait l'objet de recommandations approfondies de l'IGA et des inspections qu'elle coordonne. Nous constatons que les fonctions support des directions départementales interministérielles, c'est-à-dire les finances, les ressources humaines, l'immobilier, sont encore insuffisamment mutualisées, et la gestion des personnels insuffisamment harmonisée au niveau national, ce qui freine les mobilités entre services et donc la motivation et l'efficacité des personnels. Les régimes de rémunération des personnels locaux dépendant des différents corps ou départements ministériels devraient être rapprochés afin de favoriser ces mobilités. Nous notons également que l'articulation entre le niveau régional et le niveau départemental de l'action de l'État mérite d'être repensée. La répartition des effectifs de l'État entre le niveau régional et le niveau départemental mérite d'être réorientée au bénéfice de la proximité, dont le renforcement favorise une meilleure concrétisation des lois, selon ce que nous pouvons constater.

L'IGA est directement à l'origine de la création des secrétariats généraux communs entre les préfectures et les DDI, création qui est de nature à réduire les charges de gestion des DDI, et donc à les recentrer sur leur métier. Les grands opérateurs de l'État tels que l'agence de la rénovation urbaine, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou d'autres agissent encore souvent de manière isolée, sans coordination parfois de leurs actions avec celles des préfets et des services déconcentrés de l'État. Il est à espérer que la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui va commencer à fonctionner au début de 2020, permettra de remédier à cette insuffisante coordination et au déclin, que toutes les inspections générales observent, des ressources d'ingénierie dans les territoires, qui contribue à la moindre mise en œuvre des dispositions législatives ou des crédits mis en place par le législateur.

Le ressenti des usagers du service public est au cœur de vos préoccupations. L'IGA, comme d'autres inspections générales, est consciente de la faible place des indicateurs de satisfaction dans ses travaux. C'est pourquoi elle réfléchit à la modernisation de ses outils d'analyse de manière à faire évoluer ses méthodes, par des panels d'usagers par exemple, ou par l'utilisation des outils que les réseaux sociaux mettent à notre disposition. Néanmoins, l'usager est au cœur de nos travaux, puisque c'est lui qui, in fine, apprécie la concrétisation de l'intention des législateurs à travers les textes. Nous avons contribué à la labellisation des maisons France Services en nous déplaçant dans près de 80 structures mises en place par les collectivités locales et les grands opérateurs. Nous avons également accompagné la démarche de numérisation de la délivrance des grands titres réglementaires (carte nationale d'identité, passeports, permis de conduire, etc.) en recommandant à l'administration de compenser les effets de la fracture numérique par des actions au plus près des publics concernés. Il s'agit là d'objets de la vie quotidienne, puisque ce sigle et cette appellation ont également attiré votre attention. Ils n'en ont pas toujours la dénomination, mais sont au plus près des préoccupations de nos concitoyens, et donc de mes collègues.

Vous évoquez également la simplification des normes applicables aux collectivités locales. Cette simplification a fait l'objet de plusieurs travaux de l'IGA, notamment en appui au sénateur Lambert et à la commission consultative compétente dans cette matière. L'inflation des normes n'est pas toujours antagoniste de la concrétisation des lois, tant il arrive parfois que le législateur national, au gré de l'examen des textes et des amendements qui lui sont apportés, soit lui-même en partie responsable de la norme incriminée par les acteurs locaux des politiques publiques. C'est pourquoi un renforcement de la prise en compte des études d'impact permettant d'améliorer la mesure de l'effet de l'inflation normative sur l'action publique locale et les budgets locaux, est au nombre des préoccupations de l'IGA. C'est également une des préconisations issues des travaux en cours sur l'évaluation des politiques publiques, que ce soit ici même à l'Assemblée nationale, dans le cadre du printemps de l'évaluation qui a fait l'objet d'une table ronde à laquelle j'ai eu l'occasion de participer à l'invitation du président Ferrand, ou encore du cycle de conférences de la section du rapport et des études du Conseil d'État qui se penche sur l'évaluation des politiques publiques.

Quant à la réorganisation des services d'inspection, ce point faisant l'objet de réflexions du Gouvernement dans le cadre du mandat confié à M. Frédéric Thiriez sur la haute fonction publique, votre mission voudra bien m'autoriser dans ce contexte à ne pas m'exprimer plus précisément à ce sujet, mais je suis prêt à répondre à toutes vos questions sur l'organisation des inspections générales et sur les réflexions qu'elle m'inspire.

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