Environ 100 000 litiges par an nous sont soumis par les consommateurs, que ce soit au travers de notre maillage territorial, par courrier, par mail ou par téléphone. Dès la publication des textes, nous avons l'expérience nécessaire pour les traduire pour les rendre compréhensibles des citoyens, des consommateurs ou encore des assurés. L'une des étapes, de plus en plus essentielle, de la concrétisation de la loi est le « faire savoir ». Dans un second temps, il s'agit pour les parlementaires de se faire comprendre : quelle était la volonté initiale du législateur lorsque l'effet, sur le terrain, n'est pas tout à fait celui qui semblait ressortir des débats ?
Le « faire savoir » permet aux citoyens, au consommateur, à l'assuré ou au locataire de percevoir les textes de façon très concrète. D'un point de vue juridique, on parle de clarté et de compréhension de la loi, mais ce n'est pas le sens de mon propos. La question concerne plutôt les remontées du terrain et comment il s'agit de les « faire savoir ». Il est certain que les citoyens ne vont pas aller chercher le texte brut. Le site Legifrance.gouv.fr n'est consulté que par les spécialistes du droit. Partant de ce constat, ce ne sont pas tellement les textes qui comptent pour le citoyen, mais plutôt les effets qu'ils produisent sur lui. Nous sommes dans une logique de rapidité et d'accessibilité de l'information. Le consommateur que nous rencontrons se concentre sur la question suivante : « concrètement, que se passe-t-il avec ce nouveau texte ? ».
Il y a une tendance actuelle à rendre de plus en plus accessibles les textes de loi, notamment par la création de sites internet gérés par des ministères, par exemple Faire.fr, une mine d'informations sur la rénovation énergétique. Il est certain que la consultation du Journal officiel (JO) ou de Légifrance au sujet de la rénovation énergétique est difficilement accessible sans intermédiaire, mais il y a parallèlement un important travail de traduction et d'explication, par exemple sur le site Service-public.fr. Il faudrait s'assurer que ces sites, extrêmement précieux sur le terrain, ressortent des moteurs de recherche. Il y a par exemple une instruction en cours sur un cas où 120 sites internet administratifs frauduleux avaient été développés. Or, nous savons que l'utilisateur final tend dans la réalité à cliquer sur les premiers résultats indexés. Il serait à la fois simple, utile et important de distinguer le site officiel dès le départ, par exemple grâce à une icône. L'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) indique que 46 % des Français ont des difficultés pour faire une recherche sur internet concernant une démarche administrative simple. Les sites qui existent offrent déjà une solution. Service-public.fr est un site très précieux qui gagnerait à être mieux référencé, sans avoir, accessoirement, à payer les moteurs de recherche.
Nous sommes régulièrement confrontés à cet enjeu du « faire savoir ». Dans votre questionnaire, vous mentionnez nos publications. Nous produisons des guides et des kits pratiques « clé en main », afin de traduire et de diffuser les textes qui sont adoptés. Nous avons parfois des difficultés, notamment lorsqu'un texte est extrêmement technique. Un exemple, qui ne résulte pas d'une initiative française, est le texte communautaire sur la vente hors établissement, ou « démarchage ». Un règlement communautaire a défini le démarchage : c'était à n'y plus rien comprendre. L'appellation « ventes hors établissement » correspond certes à un sens juridique, mais le grand public parle au quotidien de démarchage. La traduction en langage courant, pour que chacun puisse identifier les situations couvertes par le texte, est donc difficile. Nous sommes arrivés à produire une traduction de ce texte par des exemples concrets. Du point de vue de juristes, c'est un problème difficile à appréhender et la technicité et les définitions ont parfois un caractère indépassable. Une solution consisterait éventuellement à créer une porte unique. Service-public.fr a cette ambition, mais il y a en parallèle une multiplication des sites ayant un objectif similaire, peut‑être trop nombreux. Certains sont par exemple mis en place par les autorités administratives indépendantes. Il y a beaucoup d'informations disponibles qu'il faut peut-être mieux organiser.
Dans un second temps, il s'agit pour les parlementaires de se faire comprendre. La volonté exprimée par le législateur lors de l'adoption d'une loi peut être éludée dans la traduction pratique. Les rapports sont extrêmement intéressants, mais s'adressent à un public averti. Ainsi, dans le cadre d'une instance judiciaire, nous avons soumis aux magistrats les débats parlementaires qui enrichissaient un article de loi, afin de leur exposer l'intention du législateur. Ces éléments ont été écartés et il a été fait application de la lettre de la loi, peut-être mal interprétée. Les études d'impact et l'ensemble des travaux effectués en amont du vote de la loi sont extrêmement riches, mais demeurent des documents techniques, difficilement accessibles pour les citoyens qui manquent de temps ou d'intérêt pour en prendre connaissance.
Lorsque nous avons un doute, ou que nous souhaitons comprendre en profondeur les conséquences concrètes d'une mesure issue d'un texte très technique, comme un règlement ou une directive, voire une loi, nous nous reportons aux considérants liminaires qui en offrent une autre perspective. Quand je dis que les parlementaires doivent se faire comprendre, c'est notamment par ce biais, en rendant explicite la profondeur du texte et son caractère opératoire, mais aussi en assurant une cohérence d'ensemble qui ne peut exister que quand tous les acteurs concernés en ont la même lecture.
Une autre difficulté pour le législateur est de se faire comprendre lorsque l'on en vient à l'application précise du texte. Certains textes ont pour objectifs de régir des situations dans toute leur complexité et jusque dans le détail. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », les lois du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur et du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dites « lois Chatel », ou encore la réforme du droit des obligations appartiennent à cette catégorie. Ces textes, qui touchent tout le monde dans des situations du quotidien, ne se sont pas heurtés à des problèmes de concrétisation dans leur mise en œuvre pratique.
L'inverse se produit lorsque le législateur ne s'est prononcé que sur des principes généraux en laissant les détails au pouvoir réglementaire, lorsque le texte est sujet à interprétation ou lorsqu'il ne prévoit pas de sanction. Nous partons du principe que la sanction participe aussi de la force obligatoire de la loi et favorise son application.
Il ressort des précédentes auditions menées par votre mission d'information que les décrets d'application sont adoptés dans les six mois suivant la publication des lois. Nous avons des exemples concrets qui montrent que ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, concernant le plafonnement de l'état daté en matière de copropriété, une promesse avait été donnée et inscrite à l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Or, nous attendons le décret d'application de cette mesure depuis des années. Cela est d'autant plus problématique qu'il s'agit d'un acte auquel tout le monde est confronté : dans le cadre d'une vente immobilière, cet état daté, obligatoire, est facturé entre 280 et 500 euros, voire 700 euros dans quelques localités.
Un autre exemple concerne les pièces détachées pour l'électroménager. L'ambition du législateur était d'avoir une information utile sur leur disponibilité dès l'achat de l'appareil. Mais alors que le consommateur pense qu'il aura une information lorsque des pièces sont indisponibles, les textes réglementaires prévoient au contraire une information dans le seul cas où des pièces sont disponibles. Cela peut le conduire à se sentir floué. Il faut donc progresser par des petits pas, dont l'un consisterait à renverser la logique de cette mesure réglementaire. Nous avons d'ailleurs introduit un recours devant le Conseil d'État dans ce but. Les remontées du terrain ne conduisent pas nécessairement à des révolutions, mais, dans ce cas, elles ont permis d'attirer notre attention sur ce problème, né d'une latitude laissée par la loi au pouvoir réglementaire.
Par ailleurs, il y a une garantie qui couvre tout acheteur d'un bien électroménager. Mais en cas de difficulté, si l'appareil est échangé ou remplacé, beaucoup de consommateurs nous demandent si le bien échangé est lui-même couvert par la garantie. Nous n'avons pas de réponse, alors qu'il s'agit d'un achat du quotidien. Cela participe aussi d'une certaine défiance des consommateurs. Nous sommes là pour apaiser leur ressenti.
Pour revenir à l'exemple du démarchage, le code de la consommation prévoit qu'un professionnel peut démarcher dès lors qu'il y a des relations contractuelles préexistantes. C'est une belle formule d'un point de vue juridique, mais dont le sens n'est pas évident. L'interprétation en sera laissée au professionnel, qui l'appréciera peut-être de manière extensive. La bonne concrétisation des lois dépend donc à la fois des attentes des consommateurs qui découlent de leur compréhension du texte et des latitudes qui sont laissées aux acteurs à travers les formules utilisées.
Concernant l'absence de sanctions, un exemple concerne la possibilité de changer d'assurance emprunteur dans le cadre d'un crédit immobilier. La banque adverse a dix jours pour indiquer à son client si la nouvelle proposition convient. Mais, si elle ne le fait pas, il n'y a pas de sanction. Le public accueille favorablement ce genre de mesure, mais est ensuite déçu parce que le texte n'est pas complet.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne peut pas tout sanctionner, elle n'en a ni les moyens ni les effectifs. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) est un modèle en ce qu'il a un effet dissuasif, parce qu'il porte une menace de sanction à hauteur de 4 % du chiffre d'affaires mondial. Il est donc très suivi. Les professionnels peuvent réserver un bon accueil aux réformes, notamment législatives, lorsqu'ils comprennent qu'elles portent une logique « gagnant‑gagnant ». Quant au consommateur que nous défendons, il sera d'autant plus prompt à revenir vers un professionnel que la prestation s'inscrit dans un cadre clair.