Intervention de Marc Fesneau

Réunion du jeudi 23 janvier 2020 à 9h35
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement :

Je voudrais d'abord vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous sur un sujet essentiel : la capacité de la loi à répondre aux besoins de nos concitoyens. La concrétisation des lois n'est pas une question technique, mais bien politique. C'est un paramètre important de l'action gouvernementale : une loi qui n'est pas appliquée ne produit pas tous les effets annoncés et attendus, elle s'arrête au stade des intentions, voire des incantations.

La première question qui se pose est celle de l'application des lois, c'est-à-dire l'adoption des actes réglementaires. J'y reviendrai dans la première partie de mon intervention, non seulement parce que nous avons fait énormément de progrès en la matière, mais aussi parce que si cette étape venait à être négligée, comme cela a pu être le cas par le passé, la seconde dimension de la concrétisation des lois n'aurait plus lieu d'être. L'application réglementaire de la loi est une première étape fondamentale.

Vient en second lieu la concrétisation des lois, qui désigne leur bonne application au quotidien. Ce second aspect est plus qualitatif que le premier, et donc plus difficile à quantifier, car plus complexe. Il faut que la loi soit claire, intelligible, comprise et acceptée par l'ensemble des acteurs concernés. Le succès de la concrétisation des lois dépend certes des actions que le Gouvernement peut mener, mais pas uniquement.

Je le dis d'emblée : la concrétisation des lois, dans les deux composantes que je viens de distinguer mais qui sont complémentaires, constitue une priorité. Le Gouvernement a la ferme intention de maintenir le taux d'application des lois à un niveau très élevé, et il entend mener à bien l'acte II du quinquennat, qui consiste notamment, comme l'a indiqué le Président de la République, à s'assurer que les réformes votées sont bien exécutées et qu'elles atteignent les objectifs pour lesquels elles ont été proposées.

Je vais d'abord présenter le rôle que joue dans ce domaine le ministère chargé des relations avec le Parlement, puis j'aborderai la question des moyens permettant de parvenir ensemble à la meilleure mise en œuvre possible des lois, dans le quotidien de nos compatriotes.

D'autres l'ont dit avant moi : la loi est restée trop longtemps inappliquée faute d'actes réglementaires. Le secrétaire général du Gouvernement l'a rappelé lors de son audition : lorsque le principe de la remise d'un rapport sur l'application de la loi, six mois après sa promulgation, a été consacré en 2004, on envisageait qu'un nouveau rapport soit présenté un an plus tard si un tiers des dispositions prévues n'avait pas fait l'objet d'un décret d'application. Cette époque est, je crois, révolue : au 31 décembre dernier, le taux d'application des lois datant de plus de six mois était de 95 %. C'est un niveau que l'on n'avait jamais enregistré depuis que cet indicateur existe.

Entre le début de la législature actuelle et le 31 décembre dernier, le nombre de lois promulguées depuis plus de six mois s'est élevé à soixante-quatorze ; trente étaient d'application directe et quarante-quatre appelaient 991 mesures réglementaires pour entrer pleinement en vigueur, dont 941 avaient été prises par le Gouvernement au 31 décembre. Preuve que les efforts significatifs entrepris depuis la fin des années 2000 pour garantir un niveau élevé d'application des lois ont produit leur effet, ce dont nous pouvons tous nous réjouir.

Les circulaires du 29 février 2008 et du 7 juillet 2011 ont précisé les conditions dans lesquelles le Gouvernement assure le suivi de l'application des lois. Le Gouvernement s'est fixé comme objectif de prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de la loi. Dès la promulgation d'un texte, un échéancier d'application est arrêté lors d'une réunion interministérielle réunissant tous les ministères intéressés. Des réunions régulières permettent de garantir le respect des échéances prévues, d'identifier les éventuelles difficultés et d'organiser le calendrier des consultations obligatoires. Mon cabinet est associé à chaque étape. Ces réunions revêtent un intérêt particulier compte tenu de l'importance des modifications apportées au cours de la navette parlementaire au projet de loi présenté par le Gouvernement. L'administration lance souvent les travaux relatifs aux textes réglementaires en parallèle de la rédaction des dispositions figurant dans le projet de loi initial, mais ce n'est pas possible, par définition, pour les dispositions adoptées par voie d'amendement : le travail ne peut pas être anticipé. Il faut donc veiller par la suite à ce qu'il ait lieu.

J'organise aussi, avec le secrétaire général du Gouvernement, des comités interministériels de l'application des lois qui rassemblent les directeurs de cabinet des membres du Gouvernement et les directeurs des affaires juridiques de chaque ministère pour rappeler la nécessité de prendre telle ou telle mesure et pour échanger sur d'éventuels points de blocage. Enfin, je présente deux fois par an une communication sur l'application des lois en conseil des ministres. J'ai eu l'occasion de le faire récemment, lors du conseil des ministres du 15 janvier dernier.

Je tiens à ajouter que le niveau élevé d'application des lois que nous avons atteint doit beaucoup aux échanges féconds entre le Gouvernement et le Parlement. Comme la présidente Valérie Létard vous l'a dit, je rends compte chaque année au Sénat de l'application de la loi au cours d'une longue audition qui permet à chaque commission de faire le point sur les textes dont elle a été saisie. Le Sénat publie à cette occasion un rapport très détaillé, de plusieurs centaines de pages. Ce rendez-vous est un aiguillon efficace, puisque l'on note généralement une accélération de l'adoption des décrets et de la publication des rapports en amont de l'audition…

Pour conclure cette première partie de mon intervention, je voudrais souligner que l'application des lois est aujourd'hui très satisfaisante, alors que cela n'était pas toujours le cas auparavant. Nous devons nous réjouir collectivement de parvenir en peu de temps à rendre pleinement applicable ce que la représentation nationale a voulu. Sans un bilan positif sur ce premier plan, aucune mise en œuvre concrète de la loi ne serait possible.

S'interroger sur la bonne exécution des lois conduit aussi à se poser la question de la manière dont elles sont adoptées. Je ne crois pas que je serai démenti si je dis que la loi a été envisagée pendant de nombreuses années, dans ce pays à forte tradition légicentriste et centralisatrice, comme une règle incontestable ayant automatiquement vocation à ordonner l'ensemble des comportements. Tel n'est plus le cas, ce n'est pas un mystère. J'y vois deux raisons : d'abord, la loi est devenue complexe et par moments difficilement accessible pour les non-juristes ; par ailleurs, l'autorité de l'État et du législateur est parfois contestée. La bonne mise en œuvre d'une loi implique un fort investissement en matière de pédagogie et de dialogue avec le citoyen, les collectivités et les secteurs concernés.

De ce constat, je tire plusieurs enseignements en ce qui concerne la concrétisation des lois.

Premièrement, la loi doit être plus claire et plus intelligible si on veut qu'elle constitue une réalité concrète pour nos concitoyens. Il me semble à cet égard que nous pouvons tous faire des efforts pour limiter l'ampleur des lois adoptées, en distinguant mieux ce qui relève de la loi et du règlement, mais aussi en veillant à nous concentrer sur l'objet initial du projet ou de la proposition de loi, dans le respect du droit d'amendement. L'Assemblée nationale essaie d'avancer sur cette voie, comme le Sénat l'a déjà fait, mais je sais que c'est un chemin parfois difficile.

En second lieu, la concrétisation des lois nécessite un important travail de pédagogie et de négociation qu'on a parfois négligé au nom de la force de la loi. Nous devons expliquer aux acteurs concernés pourquoi nous avons fait le choix de voter telle ou telle mesure, expliciter le sens des dispositions adoptées et éclairer les difficultés qu'elles ont vocation à résoudre. Pour ce qui est des lois dont l'application relève de l'État ou dont il est chargé de contrôler la bonne application, il y a un enjeu de management des administrations chargées d'appliquer la loi et d'être les interlocuteurs des usagers. Je sais qu'il en a été question lors des auditions que vous avez menées. S'agissant des lois dont l'application relève des collectivités locales ou qui s'adressent directement aux citoyens, il faut faire de la communication et de la pédagogie. L'État peut s'en charger, mais il me semble aussi que les parlementaires sont souvent très bien placés pour effectuer ce travail de conviction dans les territoires où ils ont été élus, d'autant qu'ils ont une bonne connaissance des débats ayant précédé l'adoption de la loi.

Je ne dis pas que tout va bien et que la concrétisation des lois n'est pas une question de discipline collective ou de communication politique ; je crois, au contraire, que des solutions concrètes peuvent être trouvées, notamment en matière d'évaluation, pour garantir la bonne exécution des lois. Plusieurs mesures ont d'ores et déjà été prises à cet égard par le Gouvernement.

La première d'entre elles concerne les études d'impact et la manière de faire la loi. La circulaire du Premier ministre du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail enrichit les études d'impact des projets de loi en y ajoutant des objectifs mesurables, tournés vers les Français, en partie qualitatifs et plus aisément compréhensibles. Cela permettra de mesurer ex post l'impact concret des dispositions que vous avez votées et de les corriger si nécessaire.

Je sais que le directeur interministériel de la transformation publique vous a longuement parlé des plans de transformation ministériels et des objets de la vie quotidienne (OVQ), dont j'évoquerai brièvement la dimension territoriale : la circulaire du Premier ministre du 3 octobre dernier demande à chaque préfet de région de rendre compte de manière annuelle, lors d'une réunion consacrée à l'action de l'État dans la région et présidée par le directeur de cabinet du Premier ministre, des résultats obtenus dans le cadre des politiques publiques prioritaires, qui concernent directement le quotidien des Français. Dans la même perspective, les préfets de région sont désormais tenus de faire remonter une fois par semestre un bilan du déploiement des OVQ dans leur territoire.

Le Parlement a évidemment toute sa place dans cette culture de l'évaluation. Il s'est d'ailleurs doté, ces dernières années, d'outils efficaces pour exercer pleinement les missions qu'il tient de l'article 24 de la Constitution. Outre la semaine dont l'ordre du jour est consacré, une fois par mois, à l'évaluation et au contrôle, l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale permet à deux députés, dont un issu de l'opposition, de contrôler l'application réglementaire des lois six mois après leur entrée en vigueur. Depuis la dernière réforme de votre Règlement, en juin 2019, ces députés sont désignés dès le début de l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi. Le processus qui peut se mettre en place – vote de la loi, évaluation dans le cadre d'un rapport d'information ou d'une commission d'enquête, préconisations d'évolution, puis proposition de loi – a un caractère itératif intéressant. C'est un cercle qui me paraît vertueux.

Beaucoup d'organismes interviennent dans l'évaluation de la loi, mais je pense que la multiplication des points de vue est utile. Les façons de travailler ne sont pas nécessairement les mêmes, l'appréciation portée sur telle ou telle situation peut être différente. Le Parlement a des moyens de contrôle dont il peut se saisir et dont il ne doit pas négliger la portée. L'impact sur le Gouvernement du débat relatif au bilan de l'application des lois au Sénat est un bon exemple.

Le fait de disposer d'une expertise indépendante constitue un atout. Je sais que vous avez réfléchi à l'idée de recourir aux ressources des inspections générales : je rappelle qu'elles sont placées sous l'autorité hiérarchique de l'exécutif – nous aurons peut-être l'occasion de revenir plus tard sur ce point. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il existe une fonction publique parlementaire, distincte de la fonction publique d'État. C'est un corollaire de la séparation des pouvoirs, me semble-t-il.

Voilà les éléments, peut-être un peu longs, dont je voulais vous faire part à titre liminaire. Je suis naturellement disposé à répondre à toutes vos questions.

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