Intervention de Stéphanie Pauzat

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 18h00
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Stéphanie Pauzat, secrétaire confédérale de la CPME :

Je suis secrétaire confédérale de la CPME, tout en étant moi-même cheffe d'entreprise. De ce fait, je n'ai pas un langage de juriste car ce n'est pas ma formation de base. En revanche, je souhaite vous apporter des exemples concrets de difficultés rencontrées dans la vie quotidienne d'un dirigeant.

J'ai racheté mon entreprise il y a dix ans, alors qu'elle comptait trente-huit salariés ; nous en avons quatre cent soixante-dix aujourd'hui. Cela ne nous a pas empêché de grandir, mais il existe un gap très difficile dès lors qu'est franchi le seuil des cinquante salariés, en raison de la lourdeur administrative et du nombre très élevé de dispositions législatives à appliquer. C'est une réelle préoccupation au sein de la CPME, d'autant que nos adhérents sont plutôt des petites et moyennes entreprises (PME). À ce titre, elles disposent rarement d'un service juridique et de moyens consacrés directement à la veille réglementaire. Bien évidemment, nos adhérents s'appuient sur la CPME et sur les organisations interprofessionnelles de façon plus générale, de même que sur leur branche. Encore faut-il que ces branches et ces organisations possèdent une structure suffisante. Pour les adhérents, un tel soutien est important car s'ils ne respectent pas la loi, les sanctions peuvent être lourdes, y compris pénalement. D'ailleurs, la CPME lutte contre une tendance à la pénalisation du chef d'entreprise ou de la personne morale.

Pour mémoire, la catégorie des PME compte cent cinquante mille chefs d'entreprises ; nous représentons ainsi trois millions de salariés. Oui, les textes sont nombreux. Je pense que vous connaissez les chiffres, mais j'en rappellerai quelques-uns. Je remercie à cet égard Monsieur Vignaud de me les avoir fournis. J'ai été terrifiée par ces chiffres. En moyenne au cours des dix dernières années, ont été publiés par an : 51 lois, 1 585 nouveaux articles, 47 ordonnances, 674 décrets d'application, 1 622 textes réglementaires. En 2018, 71 521 pages de Journal Officiel ont été publiées. Le nombre d'articles législatifs en vigueur dépasse les 84 000, tandis que le total des articles réglementaires avoisine 233 000. Autant vous dire qu'un chef d'entreprise de très petite entreprise (TPE) ou de PME navigue à vue au milieu de cet ensemble, avec l'impossibilité de respecter les règles en intégralité. Nous avons donc toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Sur le plan de la mise en œuvre et du contrôle, il faut rappeler que les entreprises sont souvent contrôlées par des organismes divers (Inspection du travail, fisc, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes , etc.). Lors de ces contrôles, nos adhérents se plaignent souvent d'un manque de pédagogie et d'écoute. Ils ont le sentiment que les contrôleurs viennent davantage pour les sanctionner, avec un objectif de fonds à recouvrer, plutôt qu'avec un objectif de pédagogie. Je mettrai néanmoins un bémol à cette généralité, car j'ai moi-même vécu il y a quelques mois un contrôle de l'URSSAF, à l'occasion duquel j'ai constaté un changement par rapport à l'an dernier, lorsque j'avais subi un autre contrôle sur une autre structure. On commence à voir un changement de mentalité des contrôleurs, devenus beaucoup plus pédagogues et fournissant des explications. Par exemple, alors que nous n'avions pas payé une somme relativement conséquente due par l'une de nos structures, nous avons sollicité la possibilité d'un étalement de cette somme. Nous étions en effet confrontés à une problématique d'arrivée à échéance du marché nous liant à l'un de nos importants clients donneur d'ordre. Dans ce cadre, nous étions tenus de fournir l'attestation de vigilance nécessaire pour tous les marchés publics. Le contrôleur m'a bien expliqué toute la procédure pour faire valider mon plan d'étalement et obtenir mon attestation de vigilance. Cet exemple illustre l'amélioration que nous ressentons.

Les difficultés de concrétisation sont réelles. Nous en avons identifié différentes causes. Les décrets d'application ne sont pas nécessairement publiés, ou le sont tardivement. Pour la loi PACTE, l'effet d'annonce a été considérable. Pourtant, certains décrets ne sont pas encore parus. De ce fait, les chefs d'entreprises ne sont plus en mesure de savoir lesquels ont été promulgués, et lesquels ne l'ont pas encore été. Nous dépensons donc beaucoup d'énergie dans la recherche de l'information.

En outre, il existe un problème de lisibilité de la loi et des difficultés de compréhension des textes. Un chef d'entreprise de petite structure – et moi la première ! – n'a pas toujours la faculté de lire les textes et de les interpréter facilement. J'en donnerai un exemple concret. Notre entreprise étant certifiée ISO 14001, je suis tenue de pratiquer une veille réglementaire environnementale. À cette occasion, j'ai été confrontée à la nécessité d'étudier 473 points, ce qui me paraissait une mission quasi impossible.

Le chef d'entreprise qui ne dispose pas des structures juridiques et de conseil adéquates fait face à un problème de disponibilité car son temps est compté. De même, il se heurte à une difficulté d'accessibilité des normes puisque l'Association française de normalisation (AFNOR) exige, outre le paiement de la certification, un paiement pour obtenir la norme écrite ISO 9001 et ISO 14 001.

Les préconisations de la CPME visent à la sécurité juridique et fiscale et à la non‑rétroactivité des lois. Ainsi, conformément à la loi relative au traitement des déchets, nous signons des marchés de trois ou cinq ans dans le domaine de la propreté (qui est celui de mon entreprise). À ce titre, nous sommes tenus de récupérer des déchets sur certains sites. Dans un cas précis récemment rencontré, ne s'agissant pas des déchets produits par mon entreprise, les spécialistes ont mis six mois à me répondre pour m'indiquer s'il m'appartenait ou non d'en assurer la traçabilité. Finalement, il m'a été indiqué que mon entreprise était contrainte d'assurer la traçabilité de ces déchets, ce qui implique pour moi de demander un bordereau de suivi dans un centre agréé. Le coût est de trente euros par bordereau de suivi : or je ne l'ai pas comptabilisé dans mes offres auprès de mes clients et de mes donneurs d'ordre. Comme on le voit, les surcoûts peuvent devenir importants.

Un autre point concerne la faisabilité pratique des mesures. Il y a quelques années, il nous a été demandé de travailler sur des fiches individuelles d'exposition aux risques pour les salariés. À l'époque, j'employais un peu moins d'une centaine de salariés. J'ai passé beaucoup de temps à faire une fiche pour chacun. Il m'avait été dit qu'il m'appartenait d'envoyer ces fiches à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) après leur validation par le médecin du travail. J'ai adressé le tout au médecin du travail, qui m'a appelée pour m'informer que, n'ayant jamais eu connaissance de l'existence de telles fiches, il n'était pas question pour lui de les valider. En conclusion, j'ai passé des journées entières à travailler sur des documents qui se trouvent toujours entreposés dans un bas d'armoire, parce que je me suis dit que je ne pouvais pas envoyer des fiches non validées à la DIRECCTE. Comme vous le voyez, il existe une réelle problématique de communication entre les services sur ce qui doit être fait.

Les difficultés d'application des lois portent également sur le droit d'information préalable des salariés en cas de vente de l'entreprise. Dans les grosses structures, les difficultés sont sans doute moins importantes. En ce qui nous concerne, nous avons réalisé trois acquisitions en deux ans. Il n'est pas facile pour le vendeur de faire signer tous ses salariés, surtout lorsqu'ils ne se trouvent pas sur site, comme c'est le cas dans le secteur de la propreté.

Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) paraît une bonne mesure pour éviter la vente et la communication des fichiers de façon large. Pourtant, dans les TPE et PME, il suscite encore des interrogations. La CPME avait travaillé avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour produire des documents co-estampillés « CNIL-CPME ». Malgré cela, comment remplir ces documents ? Personnellement, je me suis fait accompagner, ce qui représente encore des coûts supplémentaires. C'est aussi beaucoup de travail pour peu d'utilité. En réalité, le seul avantage que j'en ai retiré est d'avoir fait un point sur le système informatique de mon entreprise afin de vérifier s'il était bien sécurisé. En l'occurrence, la réponse a été positive. Il est évident qu'une telle vérification était utile dans le contexte actuel de cybercriminalité. En revanche, le reste des démarches a représenté une quantité excessive de papiers à remplir, sans grande utilité.

Concernant les moyens dont disposent les entreprises pour sensibiliser sur leurs difficultés, il y a effectivement les administrations locales compétentes. Cela étant, les dirigeants ont souvent la crainte qu'une remontée de difficultés vers les administrations locales ne déclenche un contrôle. Je ne suis donc pas certaine que tous les dirigeants soient très enclins à poser des questions concrètes aux administrations concernées. Bien entendu, nous pouvons toujours solliciter nos conseils, mais ceci entraîne des coûts. De plus, ces professionnels sont débordés, de sorte qu'il est de plus en plus difficile d'obtenir des réponses dans un délai relativement court. Les contrôleurs représentent aussi une voie pour obtenir une aide. Pour leur part, les organisations professionnelles et interprofessionnelles sont de vrais appuis. Je pense à ma branche, qui est structurée et offre un réel appui. La CPME nous apporte aussi beaucoup. Néanmoins, il est difficile de rester en alerte sur tous les sujets. Nous pensons qu'il pourrait être utile de mettre en place un contact téléphonique direct par sujet, mais peut-être en recommandant aux personnes répondantes de ne pas organiser de contrôle dans les quinze jours suivant la question qui leur a été posée. Nous leur posons précisément cette question parce que nous avons un doute, et que nous ne sommes peut-être pas complètement au fait des règles applicables.

Concernant la loi PACTE, nous saluons son mode d'élaboration. Nous avons été beaucoup consultés en amont. Nous avons estimé, en particulier, que la réunion organisée entre les parlementaires et les chefs d'entreprises pour un point d'étape constituait une très bonne pratique, même si le délai – quatre mois après la mise en œuvre – était très court. Il serait peut-être judicieux de réitérer ce type de réunion à différentes étapes, avec des durées plus longues.

En tout état de cause, si le travail en amont est intéressant, celui mené en aval l'est également. La CNIL organise actuellement des petits déjeuners avec les chefs d'entreprises afin de connaître les difficultés rencontrées à l'occasion de la mise en œuvre du RGPD. Les premiers petits-déjeuners ont eu lieu la semaine dernière. Nous trouvons qu'il s'agit d'une très bonne pratique, permettant de faire remonter de façon concrète les difficultés.

De même, les campagnes de communication organisées par le Gouvernement – la CPME en mène également – sont un bon outil pédagogique pour les dirigeants. Nous préconisons de les développer. En effet, un texte juridique peut paraître obscur alors qu'une campagne bien ciblée peut produire ses effets. Par exemple, le prélèvement à la source avait été très bien expliqué, tant aux particuliers qu'aux entreprises. Cette campagne avait été intensive, avec des documents courts, concrets et bien conçus. De ce fait, les entreprises ne se sont posé que peu de questions concernant le prélèvement à la source. Il y a toujours des appréhensions avant, mais je dois avouer que finalement, dans ce cas précis, tout s'est bien passé. Il en a d'ailleurs été de même lors de l'entrée en application de la déclaration sociale nominative (DSN) qui avait été bien préparée en amont. À la CPME, une personne avait été spécifiquement dédiée au sujet. Nous constatons aujourd'hui que cet outil apporte une simplification pour les entreprises.

En présence d'une loi, il est important pour le chef d'entreprise de comprendre les évolutions concrètes qu'il devra mettre en œuvre dans son entreprise, les opportunités créées aussi bien que les risques. Il y a là peut-être, à l'heure actuelle, un axe de communication manquant pour accompagner les lois qui sont publiées. Un dispositif avait été mis en place pour faire en sorte que les textes réglementaires soient publiés de façon assez concentrée (deux fois dans l'année) mais il ne semble plus d'actualité.

Enfin, les études d'impact sont intéressantes en ce qu'elles permettent de prendre la mesure de l'utilité concrète des lois. En revanche, il faut en simplifier les résultats, notamment du point de vue de la communication envers les dirigeants de TPE et PME. De plus, dans les études d'impact, nous éprouvons des difficultés à inclure tous les coûts induits, directs et indirects, pour les entreprises. En particulier, il est complexe d'évaluer les coûts liés au recours à un conseil, de même que le temps passé par les collaborateurs. Ce point relatif aux coûts nous paraît important.

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