Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du lundi 1er mars 2021 à 14h30
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques :

Mesdames et messieurs les députés – je pourrais même dire chers amis, car il faut beaucoup de persévérance pour mener à bien notre mission commune d'améliorer la concrétisation des lois – c'est un honneur pour moi de vous présenter le baromètre des résultats de l'action publique. Vous connaissez déjà son fonctionnement et c'est donc avant tout de la manière dont nous prévoyons de faire évoluer cet outil que je souhaite vous parler, car notre action n'a d'intérêt que si ses résultats se traduisent dans les textes et dans les pratiques au-delà du quinquennat et de la législature en cours.

C'est la conception même de l'action publique qu'il nous faut repenser en profondeur afin qu'elle gagne en efficacité. En tant que députée, j'avais fait de l'évaluation de la loi et du suivi de son exécution une priorité de mon mandat et je suis donc très heureuse de pouvoir vous aider à remplir votre mission constitutionnelle de contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement et donc des lois qu'il applique après que le Parlement lui en a donné l'autorisation.

Améliorer le service après-vote et s'assurer que les engagements pris sont tenus est une démarche transpartisane : la méthode de travail et l'état d'esprit de votre mission le montrent bien. Le service après-vote a notamment pour objectif de lutter contre le non-recours aux droits, qu'il s'agisse de droits sociaux, entrepreneuriaux, économiques ou civiques. C'est un enjeu majeur de la confiance démocratique. Nous devons investir plus de temps, plus d'énergie et plus de moyens – sous la forme d'outils de dialogue et de suivi – pour que les lois se concrétisent par le suivi et le contrôle de leur application, mais aussi par l'amélioration continue de leur texte, grâce notamment au mécanisme de la clause de revoyure.

Avant de partager avec vous ce qui m'anime et occupe mes journées, je voulais vous féliciter pour la qualité de votre travail et l'originalité de la méthode d'évaluation in itinere permettant de prendre en compte la situation du territoire, qui est le dernier kilomètre de la livraison de la loi. Votre travail participe à la complémentarité des actions de l'exécutif et du législatif, tellement nécessaire à la démocratie, vers la réalisation d'un objectif commun, celui de voir les lois s'appliquer, les paroles devenir des actes et les engagements produire des résultats.

Le Président de la République et le Premier ministre m'ont confié ce nouveau ministère, qui est un ministère de la transformation et qui articule trois briques essentielles à la concrétisation des lois.

La première brique est celle des hommes et des femmes qui font vivre le service public et qui sont les premiers à veiller à ce que la loi s'applique. La réhumanisation de l'application de la politique publique est une priorité.

La deuxième brique est celle du numérique de l'État, qui regroupe les outils de travail du XXIe siècle des agents publics et des usagers et qui favorise le dialogue entre toutes les parties prenantes.

La troisième brique est celle de la stratégie de service aux usagers, portée par l'action de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) dont le délégué, M. Thierry Lambert, se trouve aujourd'hui à mes côtés. Le rôle de la DITP est d'élaborer une stratégie sur le service aux usagers afin d'assurer sa qualité, son efficacité, sa rapidité et son ergonomie.

La mission qui m'a été confiée est d'accélérer la transformation publique en me reposant sur ces trois briques afin d'assurer que les priorités du Gouvernement soient mieux pilotées et mieux suivies. Sous le gouvernement d'Édouard Philippe, une liste de soixante-dix objets de la vie quotidienne a été définie : il s'agit de ce que les Français voient du résultat de notre action dans leur vie quotidienne. Cette liste compte aujourd'hui soixante-dix-huit objets, puisqu'elle a été complétée à l'automne dernier pour y intégrer les enjeux liés à la relance et à la transition écologique, ainsi que les priorités exposées par le Premier ministre Jean Castex dans sa déclaration de politique générale.

Le baromètre des résultats de l'action publique, qui a été publié en janvier sur le site du Gouvernement, permet de suivre vingt-cinq réformes prioritaires menées par le Gouvernement grâce à des données chiffrées au niveau départemental. Ces données concernent non seulement la situation actuelle, mais aussi la situation antérieure, et une cible est fixée pour 2022. Évaluer la situation antérieure a toujours été plus ou moins fait. En revanche, évaluer la situation actuelle est plus compliqué, car l'habitude d'évaluer in itinere, comme vous le proposez, n'est pas encore très répandue. Quant à la définition d'une cible à terme, c'est nouveau, ce qui est paradoxal et inquiétant.

Beaucoup de ministères suivent l'application des lois sans y attacher d'objectif quantitatif clair permettant d'en mesurer le succès. Dans ces conditions, il est très compliqué pour les équipes des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales de comprendre précisément ce qu'on attend d'elles. Dans certains départements, l'objectif sera fixé à 100 alors que d'autres le fixeront à 50 ou 25. Cela crée des disparités territoriales qui apparaîtront clairement dans les données du baromètre.

Ce baromètre n'est pas qu´une photo figée, puisque l'action publique n'est pas une action de résignation. Il sera mis à jour tous les trois mois. Nous prévoyons de faire la première mise à jour dans la deuxième quinzaine du mois d'avril, puis en juillet, en octobre et, en 2022, en janvier et en avril. Le baromètre connaîtra donc cinq mises à jour avant la fin du quinquennat. Elles permettront bien sûr d'actualiser les indicateurs existants, comme celui du nombre d'espaces France Services labellisés, mais aussi de suivre de nouvelles politiques. Nous prévoyons ainsi d'inclure en avril onze nouvelles politiques, notamment dans le domaine de l'agriculture, de la justice ou des outils économiques à destination des PME. L'objectif est, pour le mois de juillet, de pouvoir suivre une quarantaine de réformes, mais pas plus, car cela pourrait compliquer la lecture de l'outil.

Le baromètre est un outil démocratique de transparence. Toutes les données sont ouvertes et chacun peut donc se les approprier. En outre, cet outil favorise le dialogue dans les territoires entre les parlementaires, les services déconcentrés de l'État, les collectivités, les opérateurs publics et la société civile dans son ensemble.

Le baromètre est aussi un outil destiné à renforcer l'efficacité de l'administration. La publication et la mise à jour des résultats amènent les administrations à mieux réfléchir au pilotage de leurs moyens et à accélérer ainsi certaines réformes. Pour coordonner le pilotage du suivi des réformes au niveau local, je me rends chaque semaine, depuis le 13 janvier, dans un département, afin de passer en revue les résultats publiés. Je me suis ainsi rendue dans les Ardennes, dans le Calvados, en Charente, dans les Landes, en Seine-et-Marne et dans le Val-de-Marne. J'étais vendredi dans les Hautes-Pyrénées et je serai vendredi prochain en Essonne, puis dans l'Indre et dans le Nord. Il s'agit pour l'instant de revues départementales mais je compte aussi faire prochainement des revues régionales. À chaque visite, nous réunissons l'ensemble des acteurs du territoire pour faire le point, de façon toujours très précise et concrète, sur l'avancement des réformes dans chaque territoire, à la fois de façon absolue, c'est-à-dire par rapport à la cible, et de façon relative, c'est-à-dire par rapport à d'autres territoires. Ce point permet notamment d'identifier les actions efficaces qui permettent à certains territoires d'avancer plus vite que d'autres.

Lors de ces déplacements, j'ai pu constater dans le domaine de l'apprentissage un défaut de communication entre les recteurs, les centres de formation et les services de l'État. Par ailleurs, les élus, notamment les élus municipaux, ne sont pas vraiment impliqués dans les efforts de mobilisation des jeunes vers l'apprentissage. L'apprentissage touche à des domaines variés, tels que la mobilité, le logement ou l'information des parents. Dans de nombreux territoires, chaque acteur semble n'en maîtriser qu'un petit bout et il n'y a pas de vision vraiment collective.

Un autre exemple concerne le délai de traitement de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Les différences entre départements sont énormes, puisque le délai peut être supérieur à neuf mois dans certains départements, et de deux mois dans d'autres. Dans les départements où les délais sont les plus courts, des innovations mises en place à l'échelle de petits territoires et permettant de classer les demandes par ordre de priorité ont permis de fluidifier les échanges entre les caisses d'allocations familiales (CAF), les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et les centres communaux d'action sociale.

Mon dernier exemple concerne Parcoursup. J'ai pu constater que, dans de nombreux territoires, le problème n'est pas le manque de réussite universitaire, mais plutôt d'ambition scolaire. L'indicateur qui permettra d'avoir des discussions pertinentes n'est donc pas celui du taux de réussite en licence, mais plutôt du taux de jeunes entrant à l´université.

Ces exemples permettent de comprendre que, si les réformes avancent en moyenne, de réelles disparités territoriales existent. L'action publique doit donc fixer des priorités pour chaque territoire et ces priorités ne seront pas les mêmes pour le Val-de-Marne et pour la Haute-Vienne. Le 5 février dernier s'est tenu à Mont-de-Marsan un comité interministériel de la transformation publique qui, tirant les enseignements de ces déplacements, a notamment défini comme priorité le réarmement des services de l'État dans les territoires. Dans ce cadre, la feuille de route du préfet et l'évaluation de son action sont interministérialisées. Des moyens humains et budgétaires différenciés peuvent être alloués au préfet, afin de lui permettre de rattraper le retard pris dans la mise en œuvre de telle ou telle réforme.

Le Premier ministre a par ailleurs annoncé, à l'occasion de ce comité interministériel, que 2 500 fonctionnaires de l'État seront relocalisés depuis les administrations centrales vers les départements. Leur répartition dans les départements ne se fera pas de façon uniforme, mais en fonction des besoins de chaque territoire. Cette logique de différenciation, qui est aussi au cœur de la loi « 4D » – pour « différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification » – est du bon sens, mais l'administration jacobine parisienne préfère, au nom de l'égalité, allouer des moyens homogènes à tous les territoires, même si leur situation est hétérogène. L'exemple de la fibre le montre bien. L'objectif est d'équiper 80 % des foyers en 2022, tant dans les Hautes-Pyrénées qu'en Seine-et-Marne, mais la situation dans ces deux départements n'est pas la même pour ce qui est du nombre d'entreprises, des compétences ou du partenariat entre les opérateurs téléphoniques et les collectivités locales. Dans de telles conditions, il ne faut pas s'étonner des différences de résultat entre les départements.

Je pourrais vous parler de la nécessité de mesures de simplification et d'organisation des compétences – la loi « 4D » en prévoit – pour assurer un suivi efficace des réformes gouvernementales, mais je préfère insister sur le rôle des parlementaires.

Le baromètre n'est pas un outil d'évaluation des personnes, il est un outil quantitatif de comparaison des résultats avec les objectifs. Le travail de terrain des parlementaires, qui les place au cœur du suivi de l'application des réformes, peut donc utilement le compléter en identifiant les blocages parfois très spécifiques que l'on peut rencontrer dans un territoire, mais pas dans un autre. Comme le suggère Jean-Noël Barrot, il nous faut donc réfléchir à la manière dont mon ministère pourrait être le point focal de remontée systématique des observations faites sur le terrain.

Le suivi de l'application des lois est un enjeu important, tant pour le Gouvernement que pour le Parlement. Si le Gouvernement réussit à appliquer les lois que vous avez votées, c'est une bonne nouvelle. Pour les parlementaires, le processus d'amélioration continue de la loi peut permettre de modifier un texte, après l'évaluation de son application sur le terrain, s'il s'avère par exemple que certains amendements qui n'ont pas été votés auraient été pertinents.

Je souhaiterais pour conclure dire un mot sur la simplification. Nous considérons trop souvent dans notre pays qu'il faut écrire les choses pour qu'elles se passent. L'augmentation de notre productivité marginale ou absolue dans la mise en œuvre des politiques publiques ne dépend pas d'enjeux législatifs ou réglementaires, mais plutôt du dialogue et de la création et de l'animation d'un collectif. La loi elle-même peut devenir un carcan qui ralentit la mise en œuvre des politiques publiques, car à trop vouloir normer, centraliser et homogénéiser non seulement les objectifs, mais aussi les moyens, des problèmes ne manqueront pas de se poser dans certains départements. Je sais que Frédéric Descrozaille partage ce point de vue.

Il serait donc souhaitable que les parlementaires définissent clairement dans la loi ses objectifs et ses critères de succès. Cela aiderait grandement à sa bonne application et on pourrait ainsi suivre l'adage qui dit que tout ce qui n'est pas interdit est permis.

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