Chers collègues, nous consacrerons notre réunion à faire un point sur les travaux de notre groupe de travail et à réfléchir à leur orientation pour les semaines à venir. Je précise d'emblée qu'il ne s'agit en aucun cas pour les groupes d'arrêter des positions définitives.
Nous avons déjà eu deux réunions plénières et dix réunions avec les groupes politiques. Aux deux premières séances thématiques – l'expérience des parlements étrangers face à la crise, le 3 juin ; les outils à mobiliser pour assurer le fonctionnement des travaux parlementaires en période de crise, le 15 juin – s'ajoutera une troisième, le 22 juin, dédiée à la gestion de la crise.
Plusieurs documents vous ont été transmis : une synthèse des réunions avec les groupes politiques, une cartographie des risques, une liste des propositions issues des entretiens avec les représentants des groupes politiques, une synthèse des mesures prises par plusieurs parlements, les comparaisons établies par l'Union interparlementaire (UIP), enfin, une modélisation des mesures prises pour assurer le fonctionnement de l'activité parlementaire depuis le début de la crise du covid-19 que je vais vous exposer plus en détail.
Dans les premiers jours de la crise, le bureau a reconnu la compétence du Président pour prendre des mesures d'adaptation, puis il a adopté un plan de reprise progressive de l'activité le 5 mai. La conférence des présidents a défini les règles de déroulement de la séance publique et des réunions de commission en précisant les modalités de présence des députés et du vote. Notons que ce dispositif n'a pu fonctionner que parce qu'il faisait consensus. Il importe de se demander ce qui se serait passé en l'absence d'unanimité.
Du 16 mars au 11 mai, les réunions des commissions permanentes qui se sont déroulées sur place ont été limitées à l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour de la séance, avec une présence restreinte de leurs membres. À partir du 11 mai, leurs activités ont connu une reprise progressive et le nombre de députés autorisés à être présents a augmenté. Les votes se sont faits à main levée, par groupe pendant la période de confinement, puis à partir du 11 mai en prenant en compte tous les présents. Le vote par groupe soulève bien sûr des interrogations sur l'expression individuelle des députés. Toutefois, pour les votes sur l'ensemble, chacun avait la possibilité de faire part d'une position propre, ce qui a permis de respecter le principe constitutionnel du vote personnel. Tout cela a été assez artisanal et même s'il n'y a pas eu de dysfonctionnements graves, les groupes n'ont pas été forcément à l'aise avec cette procédure.
En séance, dans un premier temps, les activités essentielles ont été maintenues : questions au Gouvernement, examen des textes législatifs d'urgence. Puis il y a eu un élargissement à partir du 11 mai.
Du 27 mars au 26 avril, phase de sidération pour nous tous, la présence a été limitée à trois députés par groupe, président de groupe compris. Cela pose bien sûr des questions de représentativité et l'on peut se demander si cette procédure doit être répliquée. Du 26 avril au 11 mai, le nombre de députés présents a été porté à soixante-quinze, puis à cent cinquante, à partir du 11 mai.
Pour les votes sur l'ensemble des textes ou sur les déclarations du Gouvernement, chaque député a pu faire connaître sa position de vote à son groupe ou au service de la séance. Pour le reste, le vote s'est fait à main levée, par groupe avant le 26 avril, puis individuellement. Si un groupe avait été en désaccord avec ces modalités et que l'ensemble de ses membres s'était rendu dans l'hémicycle, bouleversant l'équilibre établi, alors une procédure aurait permis de basculer vers un vote à la main des présidents de groupe afin d'assurer la représentativité. Nous voyons bien la fragilité de cette construction, qui n'a pu tenir que grâce au consensus. Le principe de proportionnalité a été mis en question.
Enfin, un amendement pouvait être défendu par tout membre du groupe auquel appartenait son auteur. Mais les députés dont la position n'est pas largement partagée trouvent-ils forcément des relais parmi leurs collègues ? Il y a des frustrations qui se sont fait sentir à plusieurs reprises.
J'aimerais maintenant vous soumettre quatre questions.
Premièrement, faut-il définir un mode de crise spécifique dans notre règlement ? Autrement dit, doit-on élaborer un règlement bis lié à un état d'urgence parlementaire ? Cette option n'a pas ma faveur. Une autre solution consisterait à aménager le règlement pour lui donner plus de souplesse tout en établissant un cadrage constitutionnel, notamment en matière de représentativité. Aujourd'hui, par exemple, on ne peut pas mettre en œuvre une procédure de vote à distance, le Conseil constitutionnel s'y opposerait certainement, mais il serait intéressant d'ouvrir à la future gouvernance la possibilité d'y recourir en période de crise.
Deuxième question : faut-il se doter d'une gouvernance propre au mode de crise ou s'appuyer sur les organes existants ? Avec une gouvernance ad hoc, se pose un problème de durée : quand décider d'y mettre fin ? Pour la présente crise, les décisions ont été prises par les organes existants et une mission de contrôle a été confiée à une instance spécifique. Pour certaines dérogations au règlement, on pourrait imaginer des décisions conjointes ou des avis conformes du bureau et de la conférence des présidents.
Troisième question : doit-on prévoir un système de vote à distance dans le cadre d'une réforme du règlement ? Il faudrait sécuriser le dispositif en apportant des garanties au sujet du vote personnel, qui est un principe constitutionnel, et il conviendrait de déterminer si le vote à distance complète ou se substitue au vote dans l'hémicycle ou en commission. Il ne faut pas en faire un dogme qui s'imposerait aux groupes et aux députés. Il s'agit avant tout de prévoir la possibilité d'y recourir en période de crise. Il importe de créer un dispositif cohérent comprenant l'outil lui-même, des modalités alternatives de vote et des possibilités de recours. Le vote à distance pourrait ne s'appliquer qu'à l'ensemble d'un texte. En cas de problèmes de connexion, les députés disposeraient de dix minutes supplémentaires. Les positions de vote seraient rendues publiques, ce qui permettrait de rectifier d'éventuelles erreurs.
Quant à la quatrième question, je l'évoque très rapidement : de quels autres moyens faut-il se doter pour être efficaces tout au long de la période de crise ?
Après vingt-cinq heures d'échanges, plusieurs points d'équilibre se dessinent : le refus d'un règlement bis de crise, la volonté d'ouvrir des potentialités, l'importance du cadrage constitutionnel.
L'autre idée qui me semble importante est de doter la gouvernance qui aura à gérer la prochaine crise d'une boîte à outils : à charge pour elle de l'activer, en toute transparence. Le point clé, c'est la préparation en amont. Je ne reviens pas sur le module de vote à distance, qu'il faudrait avoir pensé de façon cohérente. Nous pourrions aussi prévoir qu'en période de crise les députés puissent verser des contributions écrites sur chaque texte, auxquelles le rapporteur ou le ministre répondrait au début du débat. Les questions au Gouvernement, de même, pourraient être en partie écrites et regroupées par thèmes. Il faut par ailleurs accroître le nombre de salles équipées d'un système de visioconférence. Tous ces outils doivent nous permettre de préparer la crise d'après. Pour revenir à la gouvernance, il ne me paraît pas souhaitable d'imaginer une instance qui se substituerait aux prérogatives constitutionnelles de la conférence des présidents et du bureau.