Tout d'abord, je dois vous avouer, madame la ministre, que l'ordre du jour qui nous est proposé nous a laissés pour le moins perplexes. Je comprends qu'entre le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social et les projets de loi organique et ordinaire rétablissant la confiance dans l'action publique, deux dossiers phare de ce début de législature, il fallait – pardonnez-moi l'expression – remplir l'ordre du jour.
Si vous aviez proposé la seule ratification de la première ordonnance, celle qui vise au toilettage du code de la santé publique, faisant suite à l'adoption de la loi dite de modernisation de notre système de santé, cela n'aurait posé aucun problème. Il est vrai que ce projet de loi n'est pas sans nous rappeler quelques mauvais souvenirs, puisqu'il réadapte notamment notre système législatif à la réintroduction de la notion de « service public hospitalier », dont Mme Touraine avait voulu une définition stricte, excluant de fait les établissements privés, alors même que le système antérieur de la loi HPST, plus souple et plus efficient, leur permettait d'exercer ce que l'on appelait des « missions de service public ».
Nous avions dit, à l'époque, tout le mal que nous pensions de cette réforme injuste pour tous les établissements qui s'en sont trouvés exclus. Je rappelle que la condition qui avait été rendue obligatoire pour obtenir le label « service public hospitalier » et qui, de fait, excluait la quasi-totalité des établissements privés, était l'interdiction de tout dépassement d'honoraires.
Quelle hypocrisie, quand on voit que cette ordonnance se doit de rétablir, uniquement pour les établissements publics, la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires pour les praticiens à plein temps. Il me semble d'ailleurs qu'il existe à ce sujet un vrai problème de droit dans votre ordonnance. J'imagine que, s'il s'est avéré nécessaire de réintroduire dans l'article qui permet l'exercice libéral des praticiens hospitaliers une disposition qui déroge clairement à l'obligation faite de ne pas pratiquer de dépassements d'honoraires au sein des établissements labellisés « secteur public », c'est soit que la loi Touraine n'avait pas été assez claire, soit que la décision du Conseil constitutionnel, qui ne validait les obligations du service public hospitalier sur la question de l'interdiction des dépassements d'honoraires que dans la mesure où cette obligation s'appliquait à tous les établissements de santé, publics comme privés, et à tous les professionnels qui y exercent, fragilise l'exercice libéral en établissement public, lequel à ma connaissance n'a pas été interrompu par la dernière loi de santé.
L'article 1er de l'ordonnance réintroduit à mon sens une inégalité entre les établissements qui pourront être labellisés « secteur public », malgré la possibilité d'avoir recours aux dépassements d'honoraires pour leurs praticiens, et ceux qui ne le pourront pas. Ce point, madame la ministre, mérite des éclaircissements. Pour le reste, même si nous continuons à le déplorer, la loi Touraine a été adoptée en bonne et due forme ; elle nous oblige tous, tant qu'elle ne sera pas modifiée.
Tel n'est pas le cas des autres ordonnances. Commençons par celle qui réforme le fonctionnement des ordres – je veux parler de celle que nous allons ratifier aujourd'hui, puisque la réforme du fonctionnement des ordres professionnels a fait l'objet de deux ordonnances prises, l'une en février, l'autre en avril et que, pour une raison obscure, vous nous proposez de n'en ratifier qu'une seule, la seconde. Je rappelle que cela n'est pas sans conséquences puisque, de toutes ces dispositions – qui sont liées, certaines en corrigeant d'autres – , un certain nombre auront force de loi quand les autres resteront de l'ordre du décret et pourront donc être contestées devant le Conseil d'État.
Comme cela vient d'être rappelé, ces ordonnances ont été rédigées sans aucune concertation avec les intéressés et, selon ces derniers, elles sont pleines d'incohérences, source de problèmes pratiques multiples qui empoisonnent leur quotidien – raison pour laquelle elles ont été attaquées au Conseil d'État.
C'était la méthode de Mme Touraine et, comme vous avez pris le soin de le rappeler mercredi dernier en commission, vous avez hérité d'un dossier miné que vous n'aviez pas traité et devez désormais reprendre. Mais alors, pourquoi avoir inscrit la ratification de ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée, en urgence, alors que nous sommes à peine élus ? Qui plus est, nous faisons du très mauvais travail puisque, comme je viens de le dire, vous n'allez pas au bout de la logique : nous ne ratifions que la seconde ordonnance. Il suffisait d'ajouter un petit article dans le projet de loi, quelques lignes. Même dans l'urgence, ce n'était pas très compliqué.
Il n'y a aucune obligation légale à ratifier ces ordonnances maintenant. Permettez-moi un avis, madame la ministre : vous auriez très bien pu reprendre tranquillement le dossier en mettant en oeuvre la concertation qui n'avait pas eu lieu et proposer un projet de loi consensuel réadaptant ces ordonnances de manière logique.
Nous aurions été ravis de soutenir un tel texte : le fonctionnement des ordres de santé méritait d'être modernisé – personne ne le conteste et personne n'a oublié le rapport de la Cour des comptes sur les dysfonctionnements de l'ordre des chirurgiens-dentistes – , mais pas dans ces conditions. Au lieu de cela, vous avez mis notre rapporteur dans une situation bien inconfortable, l'obligeant à pallier très rapidement, par le biais de quelques amendements, les difficultés les plus énormes.
Nous allons donc adopter un texte mal écrit – même s'il aura été légèrement corrigé – , et qui sera d'application difficile. Nous ne saurions le soutenir, ni sur la forme ni sur le fond. Encore une fois, la réforme du fonctionnement des ordres était nécessaire, mais elle n'aurait pas dû se faire de cette manière, et il est précipité de tout figer en ratifiant cette ordonnance. Le texte n'est d'ailleurs pas inscrit au Sénat ; pourquoi envoyer un aussi mauvais message aux professions de santé en ce début de quinquennat ?