Intervention de Frédéric Michel

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 14h30
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Frédéric Michel, sous-directeur Europe au ministère de l'agriculture et de l'alimentation :

Je propose de présenter un point d'étape des discussions européennes. Comme vous le savez, une task force a été mise en œuvre, qui réunit les vingt-sept États membres qui demeureront dans l'Union européenne. Un projet d'accord de retrait a été adopté à l'occasion du Conseil du 20 mars 2018. Ce projet comporte, dans sa partie 4, un accord sur la période de transition. Il importe également de savoir qu'il contient de nombreux éléments déjà agréés entre l'Union européenne et le partenaire britannique. Concernant le futur accord qui organisera la relation entre l'Union européenne et la Grande-Bretagne, des lignes directrices et des orientations ont été adoptées le 23 mars dernier. Nous avons déjà obtenu de nombreuses indications sur la façon dont cet accord commercial sera négocié.

Je commencerai par la partie budgétaire. Il ne vous aura pas échappé que, normalement, la Grande-Bretagne sortira de l'Union européenne alors que la programmation du cadre financier ne sera pas terminée. Or ce pays est un contributeur net au budget de l'Union européenne. En moyenne, entre dix et treize milliards d'euros manqueront. Cela pourrait se traduire pour la PAC, poste budgétaire très important, par une perte évaluée entre quatre cents et six cents millions d'euros pour la France. C'est très significatif. Dans l'accord de retrait tel qu'il a été agréé avec le Royaume-Uni, celui-ci s'engage à payer ce qu'il doit jusqu'à la fin de la période de transition, donc jusqu'à la fin de la période de programmation. C'est une bonne nouvelle. Mais la diminution du cadre financier pluriannuel se produira ensuite. Elle dépendra de l'effort que seront prêts à faire les gouvernements pour compenser le départ du Royaume-Uni. Il faut aussi prendre en compte la montée en puissance des autres politiques. Concernant la future PAC, qui nous intéresse au premier chef, le commissaire au budget Günther Oettinger évoque entre 5 % et 10 % de pertes.

L'autre grand enjeu est la partie commerciale. Le Royaume-Uni est un marché essentiel pour les produits français et européens de façon générale. Je laisserai les autres intervenants l'expliquer en détail. Vous le savez également, la politique commerciale est une compétence exclusive de l'Union européenne. Les sujets commerciaux seront donc traités à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et dans les accords de libre-échange. Le Royaume-Uni sera alors un partenaire pays tiers. Mme Theresa May avait indiqué qu'elle ne souhaitait pas que son pays fasse partie de l'union douanière. Le vote qui s'est tenu avant-hier à la Chambre des Lords laisse cette possibilité ouverte. Dans nos réflexions, nous partons du principe que le Royaume-Uni sera un pays tiers à part entière, qui devra s'inscrire dans le paysage « OMC-accords de libre-échange ». Comment nous partagerons-nous l'existant ? Nous avons négocié des accords de libre-échange à vingt-huit, mais nous les mettrons en œuvre à vingt-sept. Comment ferons-nous ? La question est de taille. Par ailleurs, quelle sera relation directe entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ? Étant entendu que, de notre point de vue, il importe de conserver un level playing field, c'est-à-dire des règles de concurrence loyale entre nous. Certains éléments sont déjà « crantés » dans le mandat qui sera donné à la Commission, laquelle négociera au titre de l'Union européenne. Il conviendra notamment de gérer la distorsion de concurrence. Il ne faudra accepter un accord qu'à condition qu'il soit mutuellement satisfaisant et qu'il donne des garanties robustes sur le level playing field. Nous mentionnons également la question des aides d'État. En effet, il ne faudrait pas que les agriculteurs britanniques ne soient pas davantage aidés qu'aujourd'hui dans le marché unique. Dès à présent, ce problème est bien en vue dans les orientations du futur accord.

Se pose ensuite la question du rôle du Royaume-Uni en tant que hub ou que swap aux portes de l'Union européenne. Il ne faudrait pas qu'il exporte ses produits vers l'Union et compense sur son marché propre par des importations à faible coût. Pas plus qu'il ne faudrait, à travers d'une distorsion de règle d'origine, qu'il importe des produits qui seraient ensuite transformés et réexportés vers l'Union européenne. Sachant que l'objectif vise, bien entendu, à conserver la fluidité de nos échanges avec le Royaume-Uni, compte tenu de l'importance de ce marché pour nous.

Il importe d'avoir en tête un autre aspect : la question de la divergence réglementaire. Cette situation est inédite pour nous. Aujourd'hui, nous appliquons la même réglementation, en matière agricole, des deux côtés de la Manche. Demain, pour passer des accords avec des pays tiers, le Royaume-Uni pourrait être tenté de modifier ces règles, par exemple en retenant des règles moins-disantes. Telle n'est pas son intention affichée, mais cela pourrait arriver, ce qui lui procurerait un avantage comparatif. Aussi convient-il de réfléchir à la façon de limiter cette divergence réglementaire, pour faire en sorte que les conditions qui s'appliqueront aux agriculteurs de part et d'autre de la Manche soient les plus proches possible. C'est d'ores et déjà prévu dans le mandat que nous donnerons à la Commission européenne. Nous ignorons si elle parviendra à tenir cette position tout au long de la négociation, mais nous avons réussi à convaincre tous nos partenaires de l'importance de ce sujet.

Pour finir sur les enjeux commerciaux, il importe de continuer à défendre l'absence d'approche sectorielle. Il ne faut pas que la Grande-Bretagne puisse faire du cherry picking, c'est-à-dire prendre ce qui lui plaît le mieux, et que nous nous retrouvions désavantagés. Nos collègues de la pêche vous en ont certainement parlé. Au contraire, nous avons tout intérêt à porter une vision globale de l'ensemble de l'accord afin de ne pas devoir sacrifier la pêche sur l'autel d'un autre secteur. Cela vaut également pour la recherche et pour l'enseignement. Dans les négociations, nous ne parlerons donc pas uniquement d'échanges commerciaux mais aussi de coopération en matière de recherche et de flux d'étudiants et d'enseignants-chercheurs. Ce sont des éléments que nous entendons préserver dans la future relation.

Nous avons tenté de réunir régulièrement les professionnels, au cours de séminaires qui se sont tenus au ministère de l'agriculture, d'intervenir au sein des conseils spécialisés de FranceAgriMer et d'organiser des consultations pour identifier les problèmes potentiels. Même si nous faisons tout pour qu'il y ait un accord in fine, nous devons nous préparer au pire, en l'occurrence une absence d'accord. C'est indispensable pour prendre toute la mesure de ce qui nous attend.

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