Intervention de Bruno Hot

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 14h30
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Bruno Hot, président du Syndicat national des fabricants de sucre (SNFS) :

Je préside le syndicat du sucre et celui des alcools. J'évoquerai donc ces deux secteurs, concernés par la même problématique. La nécessité de maintenir des échanges importants et relativement fluides avec les Britanniques est essentielle. Pour citer cet exemple, les exportations de sucre représentent environ 6 % de la production française et plus de 14 % de la production d'éthanol, qui va soit dans les carburants, soit dans les alcools traditionnels. Notre objectif vise donc à ne pas perdre ces marchés. Dans ces deux secteurs, il existe des échanges croisés entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Mais c'est nous qui fournissons à plus de 50 % l'approvisionnement des Britanniques, tandis que les exportations britanniques vont très peu chez nous. Notre bénéfice net d'exportation par rapport aux importations britanniques est très élevé. Nous sommes donc très enclins à maintenir cette fluidité. Cela étant, je me réjouis que le terme swap ait été employé dans les questions que vous nous avez envoyées. Je me suis évertué à défendre ce point de vue dans les différentes commissions de suivi dirigées par les secrétaires d'État successifs. C'était une notion nouvelle, et je me réjouis que l'Assemblée nationale la reprenne. C'est là qu'existe sans doute un risque important.

Dans le secteur du sucre, nous avons une réglementation spécifique. Nous avons fait l'objet d'une importante restructuration. Les quotas ont été supprimés au 1er octobre 2017, mais nous avons toujours un droit résiduel de 98 euros vis-à-vis du Brésil, premier exportateur au monde de sucre, avec des coûts de production extrêmement bas et des aides qui ne nous placent pas sur un pied d'égalité de concurrence loyale. Nous tenons beaucoup au maintien de ce droit. Demain, si les Britanniques sortent du dispositif européen, ce qui est annoncé, et du régime douanier commun, ce qui est assez probable, ils reprendront évidemment leur liberté de déterminer le niveau des droits des produits qui entreront chez eux. Le potentiel de capacité de production est constitué pour moitié du sucre de betterave britannique et pour moitié de sucre brut importé du Brésil, à travers la société Tate and Lyle qui peut alimenter l'autre moitié. Grâce à ce niveau de droits, l'importation de ces sucres bruts de canne qui doivent être raffinés pour être blancs dépasse difficilement 600 000 tonnes. Si cette protection tombe, nous subirons une première peine en perdant le marché que nous avons au Royaume-Uni, puisque celui-ci préférera s'alimenter sur le marché mondial sans acquitter quatre-vingt-dix-huit euros de droit. Deuxième peine : si nous avons mis en place un dispositif de libre-accès réciproque entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, les exportations qui arriveront sur le marché britannique y resteront et ce sont les produits britanniques qui viendront sur le marché européen. Les règles strictes d'origine ne suffiront donc pas. Il faut aller au-delà. C'est ce mécanisme que l'on appelle le swap. Le risque de double peine est fort quand on sait que le négociateur en chef britannique, David Davis, a fait une partie de sa carrière dans l'entreprise Tate and Lyle. Il connaît donc parfaitement le sujet. Nous devons attirer l'attention de notre négociateur européen sur ce point. Il a en face de lui un spécialiste des questions sucrières, ce qui nous inquiète un peu, il faut le reconnaître, même si nous avons toute confiance, bien entendu, en Michel Barnier pour défendre nos intérêts. Concernant l'éthanol, la problématique est la même. Les Américains pourraient exporter leur éthanol sur le marché britannique avec un droit nul, tandis que nous avons un droit résiduel. De la même façon, cet éthanol se substituerait aux productions d'alcool britannique, lequel viendrait sur le marché européen. Là encore, je pense qu'il faut aller au-delà des règles strictes d'origine.

Nous pourrions mettre en place des clauses, notamment celles dites d'exportateur net. Il faut que nous ayons en face de nous un producteur qui produise pour exporter, et qui ne fasse pas de la substitution d'exportation par de l'importation sur son marché. Nous serons peut-être également obligés de mettre en place des systèmes de contingent tarifaire. En l'occurrence, nous sommes plus inquiets des orientations prises fin mars par les chefs d'État et de gouvernement pour le futur accord. Celles-ci vont dans le sens de l'absence de quota, de droit et de contingent, mais il est également indiqué qu'il ne faut pas de distorsion de concurrence ou de distorsion réglementaire. Or c'en serait une, puisque nous conserverions un droit de 98 euros tandis que les Britanniques partiraient avec un droit zéro. Nous espérons que nous pourrons revenir à la nécessité de mettre en place des contingents tarifaires, avec des niveaux arrêtés en fonction des volumes actuellement échangés. Cela permettrait au moins de garantir la fluidité, dans le cadre de ces contingents, avec un droit zéro et des volumes plafonnés. Au-delà, nous serions protégés contre les effets de swap – qui ne pourraient pas être maîtrisés autrement.

Dès la négociation de l'accord commercial bilatéral qu'il conviendra de trouver entre le Royaume-Uni et l'Union à vingt-sept, il faudra affirmer, si nous partons sur la ligne « pas de droit, pas de contingent », que nous pourrons revenir dessus s'il apparaît que la divergence réglementaire est suffisamment forte pour créer des distorsions de concurrence. C'est indispensable. J'ai connu ces négociations dans mon passé, pendant plus de trente ans. Lorsque vous négociez à l'international, si vous faites une concession, vous ne revenez jamais dessus. Si vous ne prévenez pas d'entrée de jeu que telle concession est éventuellement sous conditions futures, vous n'obtiendrez jamais satisfaction.

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