La technologie n'a pas nui à la confiance, car elle est peu déployée. Là où les machines à voter sont utilisées, j'ai rencontré plusieurs élus qui expliquent que le premier vote a été laborieux, puis que les électeurs, de même que les personnes responsables du bureau de vote, s'habituent à ces nouvelles modalités. L'utilisation des machines à voter ne représente ni un frein ni un encouragement à la participation électorale. À l'échelle d'un scrutin national, les machines à voter reproduisent le bureau de vote classique. Si nous mettons en œuvre les recommandations qui vous seront transmises et notamment prenons la précaution de déconnecter les machines afin qu'elles ne soient pas en réseau, ces dernières ne permettront pas de faire mieux qu'aujourd'hui. Pour une utilisation plus performante, avec de nouvelles fonctionnalités, une mise en réseau, dangereuse à ce stade, serait nécessaire. En réalité, la question de l'utilisation des machines à voter revient à poser la question du coût que représenterait un dépouillement rapide.
À propos du vote électronique, c'est-à-dire du vote à distance, les choses sont différentes. En effet, les écueils du vote à distance sont bien connus. Ainsi, l'absence d'isoloir, par exemple, ne permet pas de protéger le votant qui peut être placé sous contrainte. Nous pourrions trouver des artifices pour essayer de compenser ce point. Toutefois, en termes de confiance, l'interrogation demeurera quant à la nature du votant. Autrement dit, ce votant sera-t-il l'ordinateur, le smartphone ou le citoyen ? Si tout se passe bien, l'outil électronique votera conformément à la volonté de l'électeur. Cependant, il reste compliqué d'obtenir une telle garantie. Qui plus est, ces objets ne sont pas maîtrisés par l'État. Il apparaît donc compliqué d'avoir confiance dans des machines qu'on ne contrôle pas, qui sont probablement infectées par des virus ou peuvent devenir les cibles de piratages massifs par des attaquants qui en auraient les moyens. Nous voyons bien les limites du vote électronique.
Le vote électronique à distance demeure envisageable lors d'élections sans enjeu national, tel que c'est l'usage pour les élections locales des Français de l'étranger ou encore pour des élections professionnelles. Dans ce dernier cas précis, les modalités de vote électronique sont finalement plus sécurisées que les votes selon les modalités classiques, puisque ces scrutins ne bénéficient pas des mêmes garanties que les scrutins politiques. Pour des élections telles que la présidentielle, cet usage paraît compliqué. S'agissant de l'utilisation du vote électronique à distance pour des élections nationales à plus ou moins long terme, la réponse réside dans une question simple : quand les défenseurs disposeront-ils de davantage de moyens que les attaquants ? Quand nous constatons ce que ces attaquants ont pu réaliser dans d'autres domaines, nous ne pouvons qu'imaginer les dégâts qu'ils causeraient lors d'élections importantes. L'avantage aujourd'hui revient aux attaquants, qui bénéficient de moyens illimités. Je suis désolé pour ces réponses pessimistes. Je ne vois pas quand la tendance s'inversera.
Concernant la corrélation entre le vote électronique et l'abstention, j'ai un avis en tant que citoyen, mais cela sort de mes attributions en tant que directeur général de l'ANSSI.