Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du mardi 9 novembre 2021 à 17h30
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, chargée de la citoyenneté :

Il était fondamental que l'Assemblée nationale se saisisse du sujet de l'abstention et je salue l'initiative du président Richard Ferrand. Le ministère de l'Intérieur sera attentif à vos propositions tout comme à celles du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Les élections départementales et régionales de juin 2021 ont été marquées par une abstention sans précédent, notamment chez les jeunes et les habitants des quartiers populaires. La crise sanitaire ne suffit pas à expliquer cette situation. Depuis plusieurs décennies, le taux de participation ne cesse de baisser, les dernières élections européennes faisant figure d'exception. Ne négligeons pas ce signal d'alerte. L'abstention porte atteinte à la légitimité des élus et à la confiance qu'ils inspirent. Il n'y a pas de démocratie sans électeurs et électrices. Nous devons comprendre les raisons de ce comportement.

La première est sans doute la méconnaissance des institutions dont il s'agit d'élire les représentants. C'est particulièrement vrai pour les élections régionales et départementales. Je me suis rendue dans l'Orne et en Sarthe cette semaine. Selon les élus, le calendrier commun des départementales et des régionales aurait été source de confusion pour les électeurs.

Par ailleurs, les responsables politiques ont tendance à penser que tout le monde a en tête les dates des élections mais c'est loin d'être le cas. Lorsque l'on demande à des acteurs pourtant engagés dans la société, au sein d'associations en lien avec les ministères ou les responsables politiques, pourquoi ils n'ont pas voté, beaucoup répondent qu'ils ignoraient la tenue de ces élections, soit parce que l'information ne leur était pas parvenue, soit parce qu'elle n'avait pas retenu leur attention. Ainsi, les compétences des conseillers départementaux et des conseillers régionaux restent floues. Malgré les campagnes d'éducation à la citoyenneté, beaucoup de Français ne sauraient distinguer ce qui dépend du département, de la région ou de l'État.

Surtout, ne minimisons pas l'ampleur de la défiance que nos concitoyens nourrissent à l'encontre des responsables politiques, accusés d'être déconnectés des réalités et incapables de résoudre les problèmes. Ce n'est pas nouveau.

Les Français s'engagent de plus en plus dans différentes causes, qu'il s'agisse du combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les violences faites aux femmes, de la préservation du climat, ou de l'accueil des réfugiés. Les jeunes ne se désintéressent pas des débats de société, bien au contraire. L'engagement existe mais il se manifeste autrement qu'en glissant un bulletin dans une urne.

Le ministère de l'Intérieur se mobilise pour répondre à cette désaffection. L'abstention n'est pas un phénomène irréversible à condition que nous nous donnions les moyens politiques, juridiques et techniques d'inverser la tendance. Dans ce dessein, nous modernisons l'organisation du vote pour lever les obstacles matériels à la participation. Pour avoir été candidate aux dernières régionales, je sais que certains ont beau marquer de l'intérêt pour ces élections, ils préfèrent aller pêcher ou partir en bord de mer, ce qui pose la question de la place que l'on accorde à ce droit de vote, que l'on pourrait assimiler à un devoir. Par ailleurs, nous devons améliorer l'information et la communication autour des scrutins afin de faire renaître chez nos concitoyens un engouement pour les élections.

Concernant l'organisation du vote, le ministère a pris des mesures. Certaines seront appliquées dès les élections de 2022, d'autres prendront plus de temps, du fait de leur complexité ou des questions qu'elles soulèvent.

Ainsi, nous avons fait des progrès importants ces dernières années pour faciliter l'inscription sur les listes électorales. Elle est désormais possible jusqu'au sixième vendredi qui précède le premier tour d'une élection au lieu d'être clôturée le 31 décembre en prévision des scrutins de l'année suivante. Les futurs électeurs à la présidentielle pourront donc s'inscrire jusqu'au vendredi 4 mars 2022. En 2017, elles avaient été clôturées le 31 décembre 2016. L'inscription, simple et rapide, peut être totalement dématérialisée. Nous devons faire connaître cette amélioration à nos concitoyens, qui leur sera notamment utile en cas de changement de domicile. Au-delà, nous devrons réfléchir à l'inscription automatique sur les listes électorales de la nouvelle commune de résidence, notamment lorsqu'un déménagement est déclaré à l'administration. Le répertoire électoral unique rendrait possible un tel progrès, tout en fiabilisant les listes électorales communales et en automatisant les échanges entre les communes, ce qui permettrait d'éviter les doubles inscriptions.

Nous souhaitons également moderniser le vote par procuration. Nos concitoyens jugent le système contraignant en ce qu'il implique de trouver un électeur sur la liste électorale de sa commune et de se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie. La plateforme en ligne maprocuration.gouv.fr, ouverte en 2021, est une première étape. Elle a permis de dématérialiser une partie de la procédure d'établissement de la procuration. En 2021, 42 % des procurations pour les élections régionales et départementales ont été établies par cet intermédiaire. En prévision des élections de 2022, ce téléservice entrera dans sa deuxième phase. Il sera désormais possible de donner procuration à une personne inscrite sur la liste électorale d'une autre commune que la sienne. De surcroît, des mesures seront prises pour faciliter les opérations électorales au sein de chaque mairie. À moyen terme, le ministère de l'Intérieur voudrait dématérialiser complètement la procédure d'établissement de la procuration en supprimant le passage physique devant un officier de police judiciaire. C'est un vaste chantier juridique et technique mais il pourrait grandement améliorer le dispositif. En revanche, le Gouvernement n'a pas reconduit le système de la double procuration, autorisé pour répondre aux contraintes particulières de la crise sanitaire.

D'autres mesures sont à l'étude, à commencer par le vote à distance. Qu'il prenne la forme du vote par correspondance ou du vote électronique, il présente des intérêts indéniables mais nous ne pouvons ignorer les difficultés symboliques et juridiques qu'il pose, en particulier pour garantir la sincérité du scrutin.

Certains craignent que le vote électronique ne fasse perdre à l'élection son caractère solennel. L'électeur qui se rend dans un espace public prend conscience de son appartenance à la collectivité et se place d'emblée dans un environnement propice à faire un choix tourné vers la défense de l'intérêt général. Au-delà, le vote à distance présente des fragilités techniques, ce que le ministère ne saurait ignorer, quand bien même ce système serait plébiscité. Comment, par exemple, stocker les votes par correspondance exprimés par anticipation ?

L'installation de machines à voter dans l'espace public est une autre piste. Le Gouvernement remettra au Parlement un rapport à ce sujet, en présentant divers scénarios pour lever le moratoire. Quelle que soit la décision, elle ne s'appliquera qu'après les élections de 2022.

J'en viens au deuxième thème de mon intervention : comment recréer un engouement pour le vote ?

Il est de notre responsabilité collective de réussir à bien informer les citoyens sur les élections et sur l'importance du vote. Les partis politiques contribuaient jadis à ce travail de propagande, au sens premier du terme. Cette information doit être adaptée à l'évolution des outils de communication et utiliser les bons arguments. Je préside un groupe de travail sur cette question, dont l'objectif est de mettre en place des actions concrètes en 2022 pour inciter à s'inscrire sur les listes électorales et à voter.

J'insiste sur le caractère essentiel de ce premier niveau d'information : les modalités d'inscription sur ces listes, celles d'établissement des procurations, mais aussi les dates des élections sont encore trop souvent méconnues d'un grand nombre de nos concitoyens. Pour les atteindre, il faut une diffusion plus large de l'information, ce qui suppose de s'appuyer sur de nouveaux supports – notamment des sites internet –, de créer des partenariats et de trouver des solutions innovantes.

Deuxième étape : inciter à voter. Nous élaborons une grande campagne d'information sur l'engagement et la participation électorale. Elle pourrait mettre en valeur la pluralité des engagements des Français et présenter le vote comme leur concrétisation. De multiples supports pourraient être employés. Je remercie d'ailleurs les députés de cette mission d'information pour les propositions qu'ils ont déjà faites.

Je travaille aussi avec les acteurs du numérique, afin qu'ils prennent toute leur part dans cette démarche. Nous avons mis en place une task force avec eux, en étroite coordination avec mon collègue Cédric O. Les plateformes sont disposées à diffuser des messages d'information générale dans les jours précédant les élections et à mener des campagnes d'incitation plus innovantes pour lutter contre l'abstention.

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