Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 24 janvier 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Cette deuxième table ronde sur le sujet du potentiel scientifique et technique de la nation concerne les procédures relatives aux zones à régime restrictif (ZRR). Elle est retransmise sur le site internet de l'Assemblée nationale. Le constat qui s'inscrit en droite ligne de notre première table ronde est celui de la nécessité d'une protection du potentiel scientifique et technique de la nation (PPST). La PPST est claire et nécessaire de manière avérée. Les menaces bien identifiées sont liées à la malveillance, l'espionnage, à des possibilités de dommages collatéraux. Le monde de la science, basé sur le partage sincère d'informations, ne doit pas naïvement oublier que le monde actuel a besoin d'une sécurité considérable.

En revanche, les modalités de mise en œuvre peuvent faire l'objet de discussions, de dialectique, et s'il n'y a pas accord entre les experts qui sont protégés et les agences, les institutions, qui énoncent les règles de protection, on peut craindre des refus, des comportements contre-productifs, et à la fin des failles de sécurité. C'est ce genre de problématiques que nous allons aborder et discuter avec tous les participants. Lorsqu'une personne souhaite accéder à une ZRR pour y travailler, que ce soit un travail contractuel ou relevant de conventions de coopération, il faut formuler une demande d'accès auprès du ministère de rattachement de l'établissement. Vient ensuite une instruction par le ministère du dossier de demande d'accès et un avis fondé sur une analyse technique et de sécurité dans un délai maximum de deux mois.

Les publications, qui sont également soumises à autorisations préalables, posent une question : le délai induit par une éventuelle demande d'autorisation peut-il avoir des conséquences sur la compétitivité de l'entreprise scientifique ? La politique de sécurité des systèmes d'information s'inscrit dans l'ensemble du dispositif de sécurité.

Cela nous fait trois volets : qui a le droit de pénétrer ? Que peut-on publier ? Quels sont les processus de sécurité informatique ? Il y a actuellement en France moins de 1 000 ZRR, avec une augmentation importante de l'ordre de 20 % par an. Le dispositif de ZRR permet de protéger le potentiel scientifique. Un certain nombre de cas qui ont été, soit empêchés, soit détectés du fait du dispositif ZRR, montrent que le dispositif a son utilité. Pour autant, il a fait l'objet d'un certain nombre de critiques que nous devons aborder et examiner.

Certains ont dénoncé le faible niveau de protection qu'il procure, en raison de l'inadaptation des dispositifs aux risques. Je me fais ici l'écho des critiques sans prendre parti moi-même. D'autre part, a été critiquée la gêne que ce dispositif peut occasionner, soit pour la vie quotidienne, soit pour le développement scientifique en s'appuyant sur des chercheurs invités ou de nouveaux doctorants, tant il est vrai que la science est ouverte à l'international.

Certains ont critiqué le fait qu'entre le régime ZRR et non-ZRR, il y a comme une activation binaire de processus, sans tenir compte de la particularité des disciplines et des laboratoires, alors que les risques, les comportements, les chaînes hiérarchiques, peuvent être très différents d'une discipline à l'autre : mathématiques, biologie, physique… De même, dans un milieu de recherche industrielle, on n'est pas organisé de la même façon, au niveau de la gouvernance de la recherche comme des habitudes, que dans la recherche fondamentale. Certains acteurs ont également critiqué une concertation insuffisante entre services de sécurité et directeurs de laboratoire. Lors du classement en ZRR, la question du bien-fondé des critères a pu être parfois mise en cause, ainsi que les questions de mise en œuvre. Une fois un laboratoire déclaré ZRR, sur quels critères et quand évaluer la pertinence d'un refus d'accès, d'un refus d'embauche, ou d'un refus de publication ? Les procédures sont-elles justes et efficaces ?

Au centre des critiques, il y a l'obligation de déclarer plus de 2 mois à l'avance toute visite d'une collaboration de plus de 5 jours au sein d'un laboratoire, et puis d'attendre l'autorisation du fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de tutelle. Les critiques pointent du doigt le handicap significatif des centres de recherche français qui en découlerait, dans un contexte international très concurrentiel, où il convient, pour avoir la meilleure science possible, d'attirer les chercheurs post-doctorants, les stagiaires, les talents du monde entier. Est également parfois pointée du doigt la lourdeur administrative, avec des délais qui peuvent être incompatibles avec le fonctionnement d'un laboratoire, ou simplement le temps que prennent les décharges administratives, ou encore les frais induits. Le dispositif ZRR est‑il bien équilibré entre la protection qu'il apporte et la lourdeur qu'il induit ?

Dans notre contexte de développement scientifique et technologique hautement concurrentiel à l'échelle internationale, la question se pose aussi de la comparaison de nos règles de sécurité avec celles des pays étrangers. Enfin, la lutte contre la fuite des cerveaux (brain drain) est une question majeure. Dans un contexte où l'attractivité française dans certaines disciplines est érodée et où notre système a du mal à attirer certaines catégories de chercheurs dans certaines disciplines, l'application des ZRR ne vient-elle pas constituer un handicap supplémentaire ? Si oui, comment améliorer les procédures ?

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