Intervention de Marc Drillon

Réunion du jeudi 24 janvier 2019 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Marc Drillon, docteur ès sciences physiques, ancien directeur de l'Institut de physique et de chimie des matériaux de Strasbourg (IPCMS), directeur de recherche émérite au CNRS :

Je vais vous faire part de mon expérience de terrain. Pendant dix ans j'ai dirigé une unité de 250 personnes dans les domaines des nanosciences et des nanotechnologies, dans un institut regroupant des physiciens et des chimistes des matériaux. Mon laboratoire est classé ZRR, parce que l'un des départements utilise des lasers femtoseconde. J'ai ensuite assuré durant six ans la fonction de délégué scientifique à l'AERES, puis au HCERES, et c'est en visitant un grand nombre de laboratoires en physique, entre 8 et 10 par an, que j'ai pu constater l'effet des ZRR en physique. Je distingue deux périodes dans le domaine de la sécurité qui a été renforcée dans les laboratoires. Avant 2012, avant la mise en place de la ZRR, quand j'étais directeur de laboratoire, je rencontrais régulièrement, deux à trois fois par an, un officier de la direction de la surveillance du territoire (DST), pour qu'il me sensibilise à l'action de surveillance qui était menée sur les ressortissants étrangers dans mon laboratoire, en particulier quand il s'agissait de pays dits sensibles. Cette interaction a eu un impact important sur mon laboratoire, très positif, dans le sens où l'accès au laboratoire a été complètement modifié, avec un accès unique, un code électronique d'entrée, et une procédure d'enregistrement des visiteurs du laboratoire qui a été mise en place à l'accueil pour le suivi des entrées et sorties dans le laboratoire. Auparavant, comme dans beaucoup de laboratoires universitaires, c'était quasiment en open access, la libre circulation des personnes prévalait. La modification des accès au laboratoire a un coût.

Depuis 2012, avec la mise en place de la ZRR, on a observé un durcissement du dispositif de PPST qui s'applique à toute personne, quelle que soit sa nationalité, souhaitant effectuer un séjour au laboratoire ou être recrutée au laboratoire en CDD ou sur un poste permanent. Les conséquences de la ZRR me paraissent importantes à divers titres. D'abord, lorsque votre ZRR ne concerne que certaines zones du laboratoire, il y a un morcellement du laboratoire, avec accès à certaines zones par carte électronique. Il n'y a pas de libre circulation du personnel dans tout le laboratoire. Lorsqu'on a modifié la ZRR dans notre laboratoire, j'ai considéré qu'il valait beaucoup mieux que tout le laboratoire soit ZRR, cela posait moins de problèmes. Un laboratoire de nanosciences et de nanotechnologies est pluridisciplinaire, avec des physiciens et des chimistes. Les gens utilisent beaucoup d'équipements pour étudier leurs matériaux, les caractériser, donc ils sont obligés d'aller dans différentes zones du laboratoire.

Ensuite, pour le recrutement des chercheurs, tous les laboratoires sont en compétition aux plans national et international pour recruter les meilleurs chercheurs à des postes de permanents. C'est un peu comme dans les équipes de football : on essaie de recruter les meilleurs, la compétition est sévère. Les demandes d'autorisation prennent deux mois au minimum. Moi, je suis à plus de deux mois pour des étrangers, auxquels s'ajoute le système de visa dès qu'il s'agit de non-Européens. Au final, plusieurs mois sont nécessaires pour un recrutement. On observe que les meilleurs, qui candidatent dans d'autres laboratoires au plan international, vont ailleurs, chez nos concurrents en Europe ou aux États-Unis, où cette procédure ne s'applique pas. Les non-Européens doivent faire une demande d'autorisation, suivie d'une demande de visa, et au total vous êtes à quatre ou cinq mois. Évidemment, recruter des post-doctorants ou de bons doctorants est un problème également de durée de la procédure, puisque les meilleurs vont ailleurs. Le constat est le même pour les permanents, les post-doctorants ou les doctorants. La ZRR a une conséquence sur l'image de la recherche en France. Pour les non-Européens, les délais sont très importants. Au bout de quatre à cinq mois, on peut annoncer à quelqu'un que, finalement, il n'est pas accepté, et en plus, sans lui donner la raison. J'ai des cas de figure. L'un des plus savoureux concerne un étudiant souhaitant préparer un doctorat au laboratoire. Il obtient une bourse de l'ambassade de France pour venir au laboratoire. On demande au fonctionnaire de défense et de sécurité la demande d'autorisation, celui-ci l'accepte, ensuite je contacte le candidat pour qu'il demande un visa. Au bout de deux mois, le candidat s'est vu refuser le visa, alors que c'était une bourse de l'ambassade de France ! Ce type de dysfonctionnement ne donne pas une bonne image de la France.

C'est aussi une entrave forte au démarrage des contrats. Lorsque vous recrutez un CDD pour un post-doctorant ou une thèse sur un contrat de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou européen, l'autorisation est rarement négative, on l'a vu, c'est moins de 2 % d'avis négatifs. Mais la procédure handicape fortement le management du contrat, c'est-à-dire qu'il faut parfois attendre trois à quatre mois avant de démarrer le contrat, parce que vous ne pouvez pas avoir le candidat immédiatement. C'est une difficulté pour manager un certain nombre de contrats. Des contrats sur un an peuvent être impactés par cela. Nous avons évoqué la convention de coopération. Je ne sais pas si elle est systématique ou pas. Soit le dossier était incomplet, soit il avait des aspects négatifs, et donc une convention de coopération nous a été demandée.

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