Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 20 février 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, président de l'Office :

‑ Je vous présente les conclusions de l'audition publique du 6 février dernier sur les enjeux scientifiques et technologiques de la prévention et de la gestion des risques accidentels.

Cette audition faisait largement écho à deux événements qui nous ont marqués en 2019 : l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril – je rappelle que Cédric Villani était à l'initiative d'une audition passionnante sur l'apport des sciences et techniques à la future restauration de la cathédrale – et l'incendie de l'entreprise Lubrizol à Rouen le 26 septembre.

Dans les deux cas, des mesures sanitaires et environnementales ont été mises en place à la suite de la dispersion de polluants émis par les fumées, le plomb pour Notre-Dame et des produits chimiques, dont des hydrocarbures aromatiques polycycliques pour Lubrizol. La problématique de l'audition était de savoir ce que l'on pouvait faire pour mieux gérer ces crises, et l'audition a permis de mettre en lumière plusieurs points importants.

Le premier point est évident, il s'agit de la communication et du partage d'information dans les zones à risques, que ce soit avec les populations locales, les industriels ou les autorités publiques. Ensuite, vient la nécessité d'impliquer activement les populations dans les mesures de prévention, comme en Normandie ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur, avec le programme des « Nez experts », qui s'entraînent à reconnaître les odeurs caractéristiques de certains polluants afin de repérer rapidement les signaux faibles. En ce qui concerne les moyens de prévention, il est important qu'ils associent des instruments de mesure, fixes ou mobiles, avec des outils de simulation. Le lien entre les deux est très intéressant car les outils de simulation permettent, à partir d'instruments de mesure – à la fois nombreux mais jamais suffisamment nombreux – de mieux connaître et de mieux comprendre la dispersion et le transport des polluants et les trajectoires de panaches qui pourraient être dangereux, ce qui permet d'informer les populations.

Les axes d'amélioration portent, entre autres, sur le traitement des données massives issues des mesures. Cependant, il faut à la fois identifier et quantifier les molécules, ce qui n'est pas facile. L'urgence est d'acquérir, le plus rapidement possible après la crise, le maximum d'informations au plus près du sinistre. En particulier, la possibilité d'envoyer des drones afin d'effectuer des prélèvements a été évoquée, y compris dans des zones dangereuses ou d'accès difficile. Le choix des substances à mesurer doit s'effectuer en fonction des connaissances actuelles sur leur nocivité toxicologique et les spécificités locales, comme dans certains bassins industriels.

Nous avons eu une intervention très intéressante de l'INERIS qui est capable de simuler le comportement d'un panache de fumée sur une dizaine de kilomètres en quelques heures. Ceci nous a montré l'intérêt d'une grande précision des simulations numériques et de la rapidité des calculs, qui supposent une bonne connaissance de la topographie du site et des produits dispersés, ce qui n'est pas toujours facile.

En ce qui concerne les effets sanitaires sur les populations, les premiers exposés sont évidemment les sapeurs-pompiers. En tant que premiers arrivants, ils constituent une population particulière, potentiellement soumise à une exposition aiguë. Ils bénéficient, en général, d'un équipement de protection individuelle assurant une première barrière de sécurité et d'un suivi médical. En revanche, le suivi des populations civiles s'avère beaucoup plus problématique, car l'exposition est plus diffuse dans l'espace et dans le temps. C'est tout le problème du panache et de sa diffusion : pour des raisons de vent et de topographie, les populations peuvent être très inégalement exposées et la distance au lieu du sinistre n'est pas la seule explication. L'exposition est diffuse dans le temps, car dans certains cas elle dépend de la migration de l'air vers le sol puis, parfois, vers les nappes souterraines qui peut prendre plusieurs années. Tous ces phénomènes peuvent d'ailleurs aboutir à ce que la population soit exposée à des facteurs de risque multiples. Nous avions le sentiment, après cette audition, d'avoir encore des marges de progression sur cette question de l'exposition.

Si la crise et les éventuels effets aigus doivent être gérés à court terme, il faut également surveiller le risque chronique sur le long terme, ce qui implique un important travail préalable sur la détermination de valeurs dites « de référence » qui correspondent à l'état du milieu avant la crise. Ces valeurs permettent de mettre en perspective les concentrations mesurées après l'accident et d'attribuer, ou non, les éventuelles pollutions à tel ou tel évènement.

En conclusion, par les recommandations qu'il vous est proposé d'adopter, l'Office préconise de poursuivre la recherche dans l'ensemble des directions mises en avant par les différents intervenants. Il estime également qu'il est important :

- de favoriser la mise en place de moyens plus performants, de coordination et d'échange de données entre les différents acteurs impliqués lors d'accidents comportant des risques sanitaires et environnementaux. Ceci paraît être une question de bon sens, car on se dit toujours, après les accidents, que les gens auraient dû se parler davantage. Je pense que les préfets passent beaucoup de temps à préparer des plans de crise mais manifestement, ce n'est pas complètement satisfaisant ;

- de mettre au point une méthodologie visant à établir des valeurs de référence avant contamination pour évaluer l'exposition à des substances polluantes des populations vivant dans des territoires déterminés, en vue de guider l'action des autorités dans le cadre de la gestion d'une crise, et ensuite d'élaborer un plan national de déploiement des mesures relatives à ces « valeurs de référence » – même si je ne suis pas complètement convaincu par ce dernier point ;

- de favoriser le développement de moyens permettant d'acquérir le plus rapidement possible une connaissance précise des substances émises au cours d'un accident industriel, par exemple l'emploi de drones équipés de capteurs. En effet, il existe une vraie inconnue dans le cas des accidents industriels c'est le fameux « effet cocktail », le mélange imprévisible, ou difficilement prévisible, de produits de nature différente qui se retrouvent sur un même site ou à proximité, l'explosion de l'un entraînant l'incendie de l'autre, dans un processus qui échappe bien souvent aux plans de crise, qui sont en général déterminés entreprise par entreprise ;

- de mettre systématiquement en place, après un accident, un suivi sanitaire et environnemental sur le long terme. Il est, en effet, important de pouvoir revenir sur ce qu'il s'est passé et de rechercher en priorité les contaminants les plus dangereux afin de limiter les expositions à des risques chroniques ;

- enfin, d'impliquer plus fortement et plus activement les citoyens dans les actions de prévention, par exemple en développant les groupes de « nez experts » capables de détecter et de reconnaître rapidement les odeurs caractéristiques de certains polluants. Pour ma part, je connaissais les « nez » dans l'industrie de la parfumerie et si notre excellent collègue Jean-Pierre Leleux, qui a été maire de Grasse, capitale de la parfumerie en France, était là, il pourrait nous en parler plus savamment. Mais il existe aussi des « nez experts » dans l'industrie pour prévenir les accidents industriels.

J'ai essayé de faire une présentation assez courte car, pour être franc, tout cela est compliqué. Sur le terrain, les risques sont quand même très spécifiques aux diverses activités industrielles. Je connais un peu Rouen, dont les activités portuaires font, en permanence, coexister des produits qui, en théorie, sont peu dangereux en tant que tels mais qui, juxtaposés, en fonction du déchargement des bateaux, peuvent aboutir à des mélanges dangereux en cas d'accident. C'est la raison pour laquelle je suis convaincu, comme les participants à l'audition, que tout réside dans la coordination, l'échange et la préparation à d'éventuelles situations de risques. C'est aussi pourquoi nous devons faire attention à ce que nos conclusions ne donnent pas à nos compatriotes la certitude que tout serait prévisible et qu'une sécurité absolue pourrait être toujours garantie.

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