, a souligné que le contexte actuel était très mouvant : chaque jour qui passe voit des nuances apportées aux certitudes de la veille. Dans les vingt-quatre dernières heures, ont été connues la démission du comité de surveillance d'un essai clinique conduit à l'AP-HP relatif à un candidat médicament contre le SARS-CoV-2, l'existence d'une faille dans le protocole dit « décentralisé » DP3T qui pourrait servir de fondement à certaines applications de traçage, et une rumeur selon laquelle le gouvernement britannique serait sur le point d'abandonner le protocole centralisé au profit d'un protocole décentralisé, ce qui ferait de la France le seul pays continuant à promouvoir une architecture centralisée. On peut même craindre que certains passages du projet de note qui est examiné aujourd'hui nécessitent déjà des ajustements, par exemple sur les enfants face à l'épidémie, au vu des entretiens qui ont eu lieu hier.
Ce projet de note apporte des compléments aux notes qui ont été précédemment rendues publiques. Une remarque liminaire s'impose : la recherche contre le Covid-19 se développe avec une ampleur et une rapidité inédites. À la date du 4 mai, 8 000 articles revus par les pairs ont été publiés, dont 1 400 sur les symptômes de la maladie et 600 sur le sujet de l'immunité.
Une première partie est consacrée aux symptômes et aux groupes à risques. Elle insiste sur la diversité des tableaux cliniques : on doit désormais décrire l'infection par des conséquences non seulement pulmonaires, mais aussi vasculaires, avec des risques thrombotiques apparaissant au niveau des poumons, du cœur ou des reins. L'interaction possible avec les comorbidités accroît encore la variété des symptômes. Quelques compléments sont également apportés sur la question de l'immunité face au virus.
Une deuxième partie concerne les enfants. Elle devrait faire l'objet, ultérieurement, d'une note spécifique car le sujet le mérite. Un point rapide s'imposait cependant, en raison de la prochaine reprise des cours pour une partie des élèves. Les enfants sont susceptibles d'être infectés et présentent en général des symptômes légers, les formes graves n'étant cependant pas exclues. Il y a de nombreuses incertitudes sur le degré de transmission du virus par les enfants. En revanche, il est très probable que le syndrome de Kawasaki qui a touché plusieurs enfants – en France ou à l'étranger – soit une manifestation parmi d'autres des nombreux syndromes post-infectieux sévères qui peuvent affecter les enfants, similaire à celle intervenue en 2009 du fait de l'épidémie de grippe H1N1 – mais pas identifiée comme telle à l'époque.
La troisième partie porte sur la contagiosité du virus. La transmission par aérosols est de plus en plus plausible et la transmission par les personnes asymptomatiques est désormais certaine, pendant une durée de 2 ou 3 jours avant l'apparition des symptômes. Un pourcentage très significatif des contaminations est le fait des personnes asymptomatiques. C'est pourquoi la recherche des cas contacts doit être menée scrupuleusement et rapidement.
Les questions touchant à l'immunité montrent un tableau assez satisfaisant : les anticorps semblent être réellement protecteurs dans la grande majorité des cas, même s'ils sont développés avec retard et dans des quantités parfois limitées, et l'on voit s'éloigner le spectre d'anticorps qui seraient « facilitants », donc favoriseraient une rechute. La note fait enfin le point sur les différentes variétés de tests, le paysage étant ici aussi très dynamique.
Les auditions ont permis d'entendre Bruno Sportisse, président-directeur général d'Inria, et Edouard Bugnion, vice-président Systèmes d'information de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Le premier coordonne l'élaboration du protocole Robert, qui doit être le socle de l'application de traçage numérique des cas contacts envisagée par la France. Son message principal est que la vraie question est « GAFA ou pas GAFA ? », en l'occurrence Apple et Google : doit-on remettre les clefs de la souveraineté numérique en santé aux géants américains du numérique ? Ailleurs qu'en France, les projets d'application de traçage sont marqués par l'importance donnée aux solutions techniques proposées par les GAFA. Sous couvert de sécurité accrue des données et de « décentralisation » du traçage, le risque est que ces entreprises reçoivent un chèque en blanc, sur fond de manque de transparence. De son côté, Edouard Bugnion explique pourquoi Apple et Google sont incontournables, pourquoi il est important de disposer d'une solution unique pour le monde entier et pourquoi l'image de gardien de la vie privée que cultivent ces entreprises conduira à ce que jamais elles ne donneront leurs clefs à un gouvernement.
Des échanges individuels ont eu lieu la semaine passée, à deux reprises avec Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, ainsi qu'avec Nicolas Demassieux, directeur d'Orange Labs Recherche et responsable de l'aspect « gestion des données » dans le projet français piloté par l'Inria. Il apparaît de plus en plus clairement que personne n'a complètement tort ou complètement raison, mais qu'il y a une opposition de principe entre l'État, qui met en avant l'exigence de souveraineté, et les géants du numérique, qui cherchent à conforter leur emprise et à préserver leur réputation en mettant en avant un principe de neutralité par rapport aux gouvernements. L'Europe s'est montrée incapable d'assurer son unité pour peser dans ce débat.
Le représentant de Taïwan en France, l'ambassadeur François Wu, a évoqué les mesures prises par son pays : elles sont facilitées par son insularité mais remarquées par leur ampleur. La stratégie de Taïwan a essentiellement consisté à imposer une quarantaine extrêmement stricte de deux semaines à toute personne susceptible d'avoir été contaminée ou arrivant de l'étranger, même lorsque les tests s'avèrent négatifs. Violer la quarantaine peut valoir jusqu'à 30 000 euros d'amende. Les personnes positives sont envoyées à l'hôpital et n'en sortent qu'une fois guéries. S'ajoute à ces mesures une quantité disponible de masques pour le moins spectaculaire : la production de masques par habitant serait près de cinquante fois supérieure à celle de la France ! Ces différentes mesures permettent à Taïwan de ne connaître, à ce jour, qu'une épidémie très limitée – moins de 440 cas – et pratiquement aucun décès, si bien que la question des tests massifs ne se pose même pas. Un nombre de cas aussi faible est remarquable pour un territoire voisin de la Chine et dont les liens avec le continent sont si étroits. Deux facteurs semblent pouvoir l'expliquer. D'une part, Taïwan a subi de plein fouet, voici une quinzaine d'années, l'épidémie de SARS, avec des taux de mortalité très importants, ce qui a profondément marqué la population et les autorités. D'autre part, l'absence d'information, à l'époque, de la part de la Chine et l'ostracisme de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) expliquent leur défiance, au début de l'épidémie actuelle, vis-à-vis des communications de la Chine ou des représentants internationaux.
Deux auditions se sont tenues avec des représentants de la médecine pédiatrique : le Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) de la Société française de pédiatrie était représenté par le professeur Robert Cohen, accompagné du docteur Corinne Levy, directrice médicale, et Stéphane Béchet, responsable Biométrie de l'Association Clinique et Thérapeutique Infantile du Val de Marne (Activ) ; le professeur Régis Hankard représentait le réseau PedStart (réseau national de recherche clinique pédiatrique) en compagnie du docteur Florence Flamein, pédiatre au CHU de Lille, et du professeur Christèle Gras Le Guen, pédiatre au CHU de Nantes et vice-présidente de la Société française de pédiatrie. Le tableau général qui ressort de ces auditions est contrasté : d'une part, au regard des études médicales, les charges virales des enfants sont aussi élevées que celles des adultes et les possibilités de transmission entre enfants sont nombreuses ; d'autre part, au regard des informations remontant du « terrain », les enfants sont très peu contaminés, l'essentiel des contaminations provenant des adultes du cercle familial. Les services de pédiatrie étant vides de malades du Covid-19, les pédiatres auditionnés ne se montrent pas inquiets. Ils ignorent pourquoi les enfants, jusqu'aux alentours de douze ans, réagissent aussi bien sur le plan immunitaire ; quelques hypothèses circulent : la configuration des récepteurs présents à la surface des cellules, un système immunitaire plus actif, ou l'absence de symptômes.
Un nombre limité de cas présente un syndrome rappelant la maladie de Kawasaki. Il faut signaler que ceci reproduit une accumulation de cas similaire intervenue en 2009 du fait de l'épidémie de grippe H1N1 (accumulation découverte aujourd'hui seulement à l'occasion d'investigations rétrospectives). Ce syndrome est en soi inquiétant, mais on sait le prendre en charge et les enfants répondent toujours bien au traitement – il n'y a d'ailleurs aucune victime à ce jour.
Les pédiatres sont en revanche très inquiets des effets psychologiques et immunitaires potentiels des règles prophylactiques nécessaires contre l'épidémie. Sur le plan psychologique, les enfants vivent désormais dans un monde où ils ne peuvent plus interagir avec leurs camarades ou avec les adultes sans mouvement de rejet, ce qui peut être traumatisant. Sur le plan immunitaire, des règles d'hygiène rigoureuses et prolongées peuvent empêcher le système immunitaire des enfants de se construire correctement : il a en effet besoin d'être régulièrement confronté à des germes ou des virus pour s'aguerrir.