Intervention de Bruno Clément

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bruno Clément :

La valorisation est également un point très bien traité dans la LPPR. Le domaine de la biologie‑santé présente là aussi une spécificité en termes de temporalité. Elle se traduit, par exemple, par la nécessité de favoriser la mobilité public – privé, avec le dispositif de convention industrielle de mobilité en entreprise de chercheur (CIMEC), qui est un point positif. L'un des problèmes majeurs dans ce domaine est toutefois celui de l'évaluation et de la prise en compte de cette mobilité dans l'évolution des carrières. Depuis la loi dite « Allègre », les mouvements vers l'entreprise ont été favorisés. Or, les systèmes d'évaluation ont quelque peu négligé cette période de la vie des chercheurs, si bien que le fait de s'engager dans la création d'une start-up n'est que très peu analysé et pris en compte par les comités d'évaluation.

L'augmentation des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) est aussi un élément extrêmement positif, car ce dispositif a vraiment fait la preuve de son efficacité en matière d'intégration dans les entreprises.

Signalons par ailleurs l'existence de la voie « Innovation », qui sera proposée dans le cadre de l'Institut universitaire de France (IUF), et permettra de mettre en valeur cette mobilité.

La mise en place des pôles universitaires d'innovation (PUI) nous est tout d'abord apparue comme une initiative très intéressante. Toutefois, à la réflexion, il nous semble qu'il s'agit d'une fausse bonne idée. S'il est important d'identifier des sites majeurs – il est question d'une quinzaine de sites dans le document, le projet est assez flou en termes de missions, de coûts, de moyens, de finalités, mais aussi et surtout quant à l'articulation avec les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) localisées sur les sites et les agences de valorisation, telles que CNRS-Innovation et Inserm-Transfert. La répartition des rôles entre ces différentes structures et l'efficience globale du système nous posent question. Nous craignons que cette décision ne conduise à la création d'une nouvelle couche administrative, à une bureaucratie accrue, ainsi qu'à des moyens et des ressources humaines n'allant pas au cœur du métier, dans les laboratoires.

Concernant la création de start-up, là non plus, les règles standards ne s'appliquent pas à notre domaine. En effet, une start-up en biotechnologie est différente d'une start-up en informatique ou dans le secteur commercial. Il existe des spécificités, un environnement réglementaire extrêmement contraignant, des temps de développement longs et coûteux, ainsi que des retours sur investissements risqués et tardifs. Il est nécessaire de prendre en compte ces particularités.

Suite à la loi « Allègre », une course aux brevets a vu le jour. Inserm-Transfert est par exemple le premier déposant de brevets en Europe dans le domaine de la santé. Il s'agit donc d'un grand succès. Mais lorsqu'on regarde de plus près, on s'aperçoit que ces brevets sont souvent abandonnés par la suite, car leur maintien est très coûteux. Il faut bien évidemment déposer des brevets, mais encore faut-il les choisir avec soin, et développer l'accompagnement. Par exemple, pourquoi ne pas aller vers un système de co-déposition de brevets avec les industriels ? Ceci permettrait de réfléchir plus sereinement à la valorisation de la découverte, et d'envisager de vraies retombées en termes industriels.

En réalité, le problème ne réside pas tant dans la création de start-up – il existe aujourd'hui de nombreux fonds d'amorçage, nationaux et régionaux, que dans leur pérennisation, et dans la difficulté de franchir le fameux cap de la « vallée de la mort ». Ceci requiert du temps et des moyens. Bien souvent, des start-up sont créées, de manière très dynamique, avec au départ des fonds suffisants ; puis un creux se produit en termes de financement, qui conduit à l'abandon de la start-up ou à son rachat par des investisseurs étrangers, qui peuvent être des prédateurs, conduisant à une perte de souveraineté. Pour pallier cette difficulté, nous proposons de créer une possibilité de sous-traitance auprès de laboratoires académiques durant les phases très critiques, pour réaliser les études de toxicologie prédictive et réglementaire, de métabolisme, de pharmacocinétique, la transposition d'échelle, la validation de biomarqueurs, etc.

Bpifrance devrait par ailleurs s'adapter. Prenons l'exemple de la start-up allemande CureVac, qui dispose d'un vaccin très prometteur contre la Covid‑19. Récemment, alors que des investisseurs étrangers du NASDAQ s'apprêtaient à l'absorber, l'Allemagne a très rapidement mis 300 millions d'euros sur la table, considérant que, pour des raisons stratégiques, de projection dans le futur, et de risque de perte de souveraineté dans un domaine extrêmement sensible, le pays ne devait pas laisser racheter cette entreprise par des investisseurs étrangers. Nous proposons de mettre en œuvre dans le secteur de la biologie ce type de démarches, qui existe dans d'autres domaines, comme l'aéronautique et le spatial.

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