Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office :

J'aimerais vous faire part de mon expérience dans le domaine des armées, et en tant que président de région. Vous avez évoqué la loi de programmation militaire, préparée par un Livre blanc. Il existe entre les deux textes une différence fondamentale, qui restitue toute la complexité de la LPPR. En effet, les militaires ont un avantage immense, puisqu'à travers le Livre blanc, ils choisissent eux-mêmes leur adversaire. Pendant très longtemps, cet adversaire était déterminé par notre environnement immédiat, les frontières. Aujourd'hui, la situation est un peu plus compliquée, parce que notre environnement immédiat est en théorie sûr et qu'il faut identifier, sans les nommer nécessairement, les adversaires potentiels. Cette programmation n'est ainsi pas ouverte sur des risques innombrables, mais exclusivement sur ceux que l'on choisit de combattre. En matière de recherche, notamment dans le domaine de la biologie‑santé, la situation est complètement différente, puisqu'il y a certes des actes de recherche, mais aussi des défis, comme nous le rappelle l'actualité, qui apparaissent à tout moment, et ne sont pas nécessairement prévisibles. Il y aura toujours chez les scientifiques une forme de frustration, dans la mesure où ce qu'ils font n'est pas forcément reconnu au moment où ils le font par le cadre général de la loi, qui ne peut tout prévoir, et rencontre des difficultés à sélectionner.

Le deuxième volet de mon intervention s'appuie sur mon expérience en tant que président de région. Vous avez soulevé un problème diabolique : la recherche universitaire et hospitalière commande la qualité des universités et des centres hospitalo-universitaires. Par conséquent, la valeur territoriale de la recherche est un atout fondamental pour un président de région. Bien que le nombre des régions ait été réduit à treize, on observe une dispersion naturelle des moyens, chaque région souhaitant être présente. Permettez-moi une comparaison qui ne concerne pas la recherche en biologie‑santé, mais l'industrie. Voici une vingtaine d'années, un gouvernement a eu l'idée, en apparence raisonnable, de créer des pôles de compétitivité sur des sujets industriels. Il n'a pas fallu trois ans pour que la dizaine de pôles initialement prévus passe à cinquante, afin que chaque région puisse disposer de deux ou trois pôles, parfois plus, et n'ait pas le sentiment d'être écartée d'un pôle prometteur. Il existe donc une dimension politique de la recherche, dans la mesure où elle entraîne une image de qualité, donc d'attractivité, sur le plan des ressources humaines, à la fois des universités, des centres hospitalo-universitaires et plus globalement de l'ensemble des réseaux sur lesquels elle rejaillit : enseignement secondaire, réseau de santé d'un territoire, etc. Les régions, que je connais bien pour avoir présidé l'Assemblée des régions de France, sont toujours prêtes à contourner, par des aides et des subventions directes, des politiques rationnelles décidées au plan national. Ce comportement induit une course permanente à la recherche de subventions, ayant en général pour effet de satisfaire des demandes locales, mais de désorganiser plus ou moins les efforts nationaux visant à rationaliser les moyens.

Vous avez indiqué que les trois secteurs prioritaires étaient le numérique, l'environnement et la santé. On se demande ce qui échappe à ces trois domaines, qui englobent quasiment tous les autres. L'immense avantage de cette audition est qu'elle va permettre à l'Office d'attirer l'attention de nos collègues parlementaires sur la nécessité de s'impliquer, à travers différentes commissions, pour appréhender la complexité de cette loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui ne saurait être traitée de façon aussi expéditive que l'a été la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, pour laquelle on n'a fait que survoler, avec des considérations politiques bienveillantes mais superficielles, la profondeur du sujet. Je considère donc votre audition comme un signal d'alarme.

Je ne suis, en outre, en demande d'éclaircissements. Il faudrait reprendre un certain nombre de points très sensibles. Par exemple, vous préconisez que la mise en œuvre de la politique de recherche s'effectue sous la responsabilité de l'université ayant contracté avec le centre hospitalier régional. Il faudra entrer dans le détail, car en tant que politiques votant des budgets, remerciés ou critiqués pour les sommes allouées et les impôts prélevés, nous avons du mal à accepter l'idée que les décisions nous soient complètement extérieures, en particulier lorsqu'interviennent des financements locaux. Ce sujet s'annonce donc extrêmement délicat.

De la même façon, le HCÉRES est une structure utile, mais il faut bien comprendre que le politique est toujours, vis-à-vis d'une autorité indépendante, dans une situation de malaise, car il se fait en général prendre à partie à propos des décisions de celle-ci, alors qu'il n'y est strictement pour rien. C'est l'un des problèmes de la démocratie : de nombreux secteurs, comme la concurrence ou les télécoms, sont fortement impactés par des décisions d'autorités indépendantes qui ne rendent de comptes qu'à elles-mêmes.

Ces deux exemples tendent à montrer qu'une loi de programmation est un acte politique. Le secteur auquel vous avez consacré votre vie et votre carrière, est extraordinairement difficile, car à la fois lié au quotidien de nos compatriotes, comme nous l'avons vu avec la pandémie, et au très long terme. Il est toujours très délicat de placer le curseur entre la durée des contrats, qui correspond à la durée des recherches, et la mobilité géographique, qui peut conduire à ne pas pouvoir poursuivre un travail.

Il faut vraiment continuer à travailler sur les points politiques sensibles, depuis l'échelon national jusqu'aux arcanes de la vie locale. Nous devons nous retrouver pour que les parlementaires ne ratent aucun des rendez-vous fixés dans le cadre du débat sur la LPPR. Ce sera tout à votre honneur que de nous avoir enrichis et obligés à davantage de sérieux.

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