Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Cette notion de lien international humaniste est une leçon de l'épisode de Covid-19. Les pays qui ont pensé s'en tirer seuls ont fait des erreurs. J'apporte toutefois une nuance sur le caractère commun de l'expérience du confinement. Chacun était confiné : les plus fortunés n'ont pas pu prendre leur jet pour aller au bout du monde. Mais le vécu du confinement n'est pas le même dans le confort d'un hôtel particulier ou dans un appartement de quinze mètres carrés. Il y a eu aussi d'importantes inégalités dans le vécu du confinement.

Je renouvelle mes félicitations pour ce travail de grande qualité, sur un sujet peu courant pour l'Office, car relevant des sciences humaines.

Pourtant, on voit bien, sur l'exemple de la lutte contre le réchauffement climatique, que le double constat du renforcement des convictions scientifiques et de l'incapacité de notre espèce humaine à les traduire en actes politiques, conduirait presque à considérer que l'urgence ne serait plus l'enrichissement des connaissances en sciences « dures », mais en sciences sociales et politiques, pour parvenir à traduire les constats scientifiques, ou même les engagements politiques, en actions concrètes.

De même, dans le contexte de l'épidémie, on a pu voir, en quelques semaines ou quelques mois, les interrogations basculer des sciences dures : quelle est l'action de ce virus, comment le traiter, quels sont les modes de contamination, etc. vers les sciences humaines et sociales : comment donner des instructions pour qu'elle soit appliquées ? La communication verticale de nos institutions est apparue dans un premier temps très efficace, mais dans un deuxième temps trop efficace, apportant sa dose de peur et empêchant des points réguliers, porteurs de confiance.

Encore ce matin, la description que faisait Mme Léa Salamé de la parole scientifique, dans son émission extrêmement suivie, témoignait d'un constat ravageur et caricatural par rapport aux scientifiques. Les scientifiques nous disent qu'il faut mettre des masques, puis qu'il ne faut pas en mettre, puis après qu'il le faut. Ils nous parlent d'hydroxychloroquine, puis après n'en parlent plus. Les journaux prestigieux font des rétractations, et finalement l'objet majeur est le processus de décision scientifique et les rapports entre sciences et politique, plus que les questions scientifiques elles-mêmes.

Ce travail de très grande qualité fournit des informations sur les bonnes pratiques et les mauvaises pratiques en termes de rites, de rapports entre religion et politique, des constats inquiétants sur ce que nous avons pu accepter collectivement, sans nous rendre compte à quel point c'était dur et effrayant, et des constats rassurants aussi, comme celui sur la maturité des organisations des cultes par rapport à la parole scientifique et à la responsabilité politique. Il faut en prendre acte, et en tenir compte dans les années à venir.

L'Office ne peut que se réjouir d'avoir su aborder ces thèmes avec le sérieux et la précision d'analyse qui conviennent, d'avoir pu organiser les auditions sans encombre au niveau souhaité, en particulier avec les représentants des cultes, et d'avoir apporté ici une parole complémentaire à tout ce qui a été exprimé dans l'espace public, ainsi que ces messages sur la nécessaire place du funéraire dans la chaîne des soins, et des cultes dans l'organisation de la société en période de crise. Ce sont des choses que nous devons dire haut et fort.

Je terminerai cette exposé en vous parlant des quelques rendez-vous qui vont venir. La semaine prochaine, deux réunions sont prévues. Le 8 juillet à 17 heures, en visioconférence, une audition de la CNE, la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs, s'inscrit dans le grand ensemble des consultations sur le sujet du nucléaire. Le 9 juillet à 9 h 30, dans cette même salle de l'Assemblée nationale, une communication de Pierre Henriet et Pierre Ouzoulias sur leur travail relatif à l'intégrité et les publications scientifiques, nous permettra d'adresser des félicitations au carré à Pierre Ouzoulias pour la masse considérable de travail qu'il accomplit en ce moment pour le bien du Parlement et pour le bien collectif.

La dernière réunion de l'Office aura lieu le jeudi qui suivra au Sénat, pour l'examen du rapport de Jean-Luc Fugit et Roland Courteau sur la production d'énergie dans le secteur agricole. Là aussi, ce sera l'occasion de saluer un engagement très fort de nos collègues sénateurs et députés au service de la collectivité.

Mon dernier mot sera pour regretter que le Parlement ait fait si peu cas de l'Office pendant cette période de pandémie. Nous avons vu que, malgré les revendications de Gérard Longuet et moi-même, nous n'avons été associés que marginalement aux commissions d'enquête sur le sujet. Nos auditions ont la plupart du temps été doublées par d'autres, qui ont attiré plus de collègues, soucieux de faire remarquer leur travail.

Les quelques avancées législatives que nous avons pu obtenir pendant cette période ont été marginalisées, elles aussi. L'exemple, qui n'est en soi pas le sujet majeur, mais qui était remarquable, est que le seul amendement que nous avions obtenu dans l'hémicycle sur le fait que les parlementaires associés à l'instance de contrôle du traçage étaient membres de l'Office, a été rejeté en commission mixte paritaire, gardant aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat la prérogative de sélectionner des collègues. C'est un symbole du fait que nos propres institutions nous font encore bien trop peu confiance.

Il va s'agir d'être proactifs sur ce sujet à la rentrée parlementaire, et de bien faire sentir qu'à un moment où le rapport entre science et politique est plus aigu et important que jamais, il est important que le Parlement se rappelle qu'il a en son sein les organes adéquats. On peut faire l'analogie avec la mise en place par le Gouvernement d'organes nouveaux pour le conseiller sur la crise de la Covid-19, en oubliant complètement les institutions existantes, telles que le Conseil stratégique de la recherche, qui ont été spécialement conçues pour conseiller le Gouvernement en temps de crise.

Une réflexion sera également à reprendre précisément sur ces institutions, par exemple la nécessité d'un scientifique en chef auprès du Gouvernement, voire du président de la République. Certains des pays qui ont le mieux traversé la crise sont dotés d'une culture de dialogue renforcé et constant entre le chef de l'État et des autorités scientifiques déjà en place. La Nouvelle-Zélande représente un exemple très commenté. Bien sûr, on ne peut pas copier tout ce qui se fait, mais il y a un débat à relancer sur l'interaction entre sciences et politique. Il conviendra à notre Office de s'en saisir.

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