Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Permettez-moi de tirer quelques éléments de conclusion de ces échanges. Gérard Longuet prolongera mes propos.

Cette audition a clairement mis en évidence, d'une part la nécessité de disposer d'un organisme de recherche à l'échelle européenne, d'autre part le fait que la recherche est un domaine qu'il ne faut pas laisser aux mains des nations. Pendant longtemps, la recherche ne faisait pas partie des compétences de l'Union européenne. Ce n'est qu'à partir du traité de Lisbonne que l'on a pu mettre en œuvre une stratégie européenne en la matière. Je souligne, par parenthèse, que Lisbonne est aussi le nom d'une stratégie datant du début des années 2000, proposée par l'Union européenne, dans laquelle l'objectif d'un budget recherche équivalent à 3 % du PIB a été formulé, sans être atteint globalement à ce jour à l'échelle de l'Union, même s'il existe de bons élèves comme l'Allemagne et quelques pays nordiques.

Pourquoi avons-nous besoin d'une recherche européenne ? Tout d'abord parce que des projets impliquent des synergies entre équipes européennes. L'exemple donné par Jean-Pierre Bourguignon, réunissant des chercheurs britanniques, bulgares et allemands, est particulièrement éclairant. Ces projets permettent de faire apparaître dans la diversité européenne de nouvelles pistes de recherche et des avancées qui n'émergeraient pas dans un cadre de recherche national. Les aspects d'échelle et de mutualisation de risques, que l'on observe notamment dans les questions budgétaires et dans les grands projets technologiques, sont également essentiels au niveau de la recherche. Il est important de savoir qu'il existe un échelon européen qui joue son rôle dans la sélection et l'encouragement de projets de recherche d'envergure, et peut avoir un impact et bénéficier de la capacité à prendre des risques que confère l'échelle européenne. C'est important, non seulement dans un contexte dans lequel la recherche nationale est forte, comme en France, mais plus encore dans les pays où la recherche nationale est moins conséquente. Cet échelon jouera également un rôle majeur dans la question de la fuite des cerveaux, qui certes existe en Europe occidentale, mais est pire en Europe orientale, et qu'il faut aussi gérer au niveau européen. C'est capital pour l'avenir.

Au plan institutionnel, nous avons vu combien il est important d'avoir une organisation indépendante et efficace, prenant ses décisions scientifiques sans pression du politique. Nous avons bien noté le chiffre remarquable de 2,5 % de coûts administratifs de l'agence qui gère l'ERC, ainsi que l'implication du personnel, avec certainement une conscience de l'importance pour l'avenir de la mission accomplie en faveur de la recherche et de l'investissement. On imagine que si celle-ci était fondue dans l'ensemble des missions et compétences de la Commission européenne, l'efficacité serait certainement moindre. Il est donc important de maintenir cette spécificité, cette indépendance de l'organisation et cette liberté offerte à la recherche. Il faut se battre pour préserver cela, tant du point de vue de l'organisation administrative que des moyens.

Nous ne pouvons ainsi pas laisser passer les annonces d'un rabot important du budget consacré à la recherche au niveau européen. Je serais partant pour qu'en s'appuyant sur cette audition, l'Office se fende d'un communiqué dans lequel il indiquera que la situation issue des discussions européennes est gravement dommageable à la construction et à l'avenir européens, à un moment où il est précisément nécessaire d'apporter notre eau au moulin dans le cadre des débats qui vont avoir lieu au Parlement européen, après la réunion du Conseil européen. Il est du devoir de notre organisme national que de bien marquer l'importance que nous accordons aux phénomènes européens. Nous aurions dû être plus proactifs dans nos contacts internationaux sur ce sujet. La crise sanitaire nous a montré à quel point ces contacts étaient clés pour les organisations qui ont bien réagi. Il me semble important pour l'OPECST, dans les années à venir, de développer ses liens à l'international, et d'organiser assez régulièrement des auditions de ce style, avec un regard plus large.

Mon commentaire suivant concerne les questions de culture et de conscience scientifiques. Il est important de rappeler à quel point la recherche est essentielle pour construire l'avenir et combien il est insupportable que les crédits de recherche soient des variables d'ajustement dans les plans de relance, comme ce fut le cas en 2008 pour le plan Juncker et aujourd'hui dans le cadre du plan franco-allemand, dont on doit se féliciter qu'il ait été adopté, dans la mesure où il est historique dans son concept, mais dont on peut déplorer que les crédits alloués à la recherche aient été sabrés à cette occasion. Il est essentiel de pousser auprès de la société, des citoyens, l'idée selon laquelle il est fondamental pour l'avenir de maintenir et développer les crédits attribués à la recherche, notamment en temps de pandémie.

Il faut en outre pourfendre le mythe, hélas assez répandu chez nos concitoyens, selon lequel la France serait une nation médiocre en termes de recherche.

Ma dernière remarque renvoie à la conscience de la France par rapport à l'Europe. La situation semble quelque peu paradoxale, puisque la France est sans doute, de tous les pays européens, celui qui dans l'histoire a le plus contribué à la construction européenne, dans les discours, les faits, la philosophie. Ceci s'est vu encore avant-hier : sans l'insistance française, le plan de relance n'aurait pas été adopté. Pourtant, la France a une très faible conscience institutionnelle de l'Europe. Jean-Pierre Bourguignon et moi-même avons été pendant des années assidus à le déplorer dans le cadre scientifique, et à constater le peu d'intérêt de nos collègues pour ce qui se passait à Bruxelles en matière de recherche.

Il s'est également avéré difficile, depuis Bruxelles, d'avoir des interlocuteurs français. Je puis témoigner de mon expérience au conseil scientifique de la Commission européenne : de toute les nations européennes, la France est certainement celle qu'il était le plus difficile de joindre pour obtenir une réaction, un soutien en cas de difficulté. On se souvient de la fameuse phrase de Kissinger demandant le numéro de téléphone de l'Europe. Depuis Bruxelles, la question est plutôt de savoir quel numéro composer pour contacter la France. En cas d'urgence à traiter au Parlement européen par exemple, on dispose de contacts dans tous les pays, sauf en France.

Ceci est également perceptible au travers des chiffres incroyables qui nous ont été rappelés. Les Pays-Bas ont ainsi quatre fois plus de projets en sciences humaines et sociales financés que la France, pour une population quatre fois inférieure. La France est pourtant très fière de ses écoles de sciences humaines et sociales. Les taux de soumission de projets à l'Europe sont également très bas en France, ce qui est complètement paradoxal de la part d'une nation qui a tellement œuvré pour construire l'échelon européen.

La France est un pays de paradoxe. On peut se réjouir de sa singularité, de son originalité. On peut aussi considérer qu'il est de son devoir de s'impliquer davantage dans les affaires européennes, non seulement dans les grands plans et visions, mais aussi dans le fonctionnement effectif de l'Europe. Il faut arrêter de considérer Bruxelles comme le bout du monde, et l'envisager comme l'un des axes dans lesquels le projet français doit se déployer.

Je pense, en conclusion, que l'Office devra avoir à cœur de s'insérer le plus possible dans cette dimension européenne, mais aussi s'intéresser davantage au contact entre science et citoyens, et au dialogue entre la France et l'Europe.

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