Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office :

Je voudrais, en qualité de président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour quelques mois encore, puisque l'alternance va jouer en faveur de l'Assemblée nationale, ce dont je me réjouis, émettre le vœu que nous partions de cette communication de Jean-Pierre Bourguignon, que je remercie vivement pour la clarté et la force de son propos, pour essayer d'éclairer les raisons pour lesquelles nous, Français, n'utilisons pas suffisamment les dispositifs européens, dont les programmes de l'ERC.

Ce qui est formidable dans le dispositif tel qu'il nous a été présenté est qu'il soit très décentralisé et permette le développement d'initiatives scientifiques, gérées par des scientifiques. Il s'agit d'une réelle différence par rapport à la tradition volontariste française. Il faut bien reconnaître qu'en France les laboratoires ont été dominés ces quarante ou cinquante dernières années – en se limitant à la quatrième et à la cinquième républiques – par de grands projets nationaux, qui rejaillissaient forcément vers les outils de recherche, à la fois comme des soutiens et des commandes de la puissance politique sur l'énergie, le spatial, et pour assurer une présence dans d'autres secteurs reconnus comme éléments de souveraineté. Nous obéissons à une tradition de volontarisme et de dirigisme, se traduisant certainement par le fait que nos chercheurs n'ont pas le réflexe spontané d'avoir confiance en leurs capacités de solliciter d'autres scientifiques sur des projets, mais ont plutôt tendance à s'inscrire dans des politiques. J'ai moi-même pêché, comme l'ensemble de la classe politique, par l'affichage de certitudes, selon lesquelles la France devait relocaliser, être indépendante, exemplaire, médaille d'or ou d'argent dans les disciplines modernes, en s'appuyant nécessairement sur un programme d'Etat.

Or, l'ERC nous propose exactement le contraire, puisqu'il s'agit pour des scientifiques de faire confiance à d'autres scientifiques. La mécanique de sélection, telle qu'elle a été présentée, avec la place distincte pragmatiquement reconnue aux juniors, à la maturité et aux chercheurs confirmés, illustre une gestion qui nous est, je le crois, parfaitement étrangère, tout en étant parfaitement pertinente. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais une mise en forme de cette audition visant à remettre la formule proposée par l'ERC en comparaison avec la coutume française en matière de recherche. L'Europe est très différente de la France. Elle est plus pragmatique, et l'origine du divorce entre l'Europe et la France est à trouver dans le fait que nous avons davantage l'habitude, à tort ou à raison, de nous appuyer sur des lignes directrices affichées par les pouvoirs publics. Ce volontarisme n'a pas que de mauvais côtés. Il a été très favorable, par exemple, au secteur aéronautique, où les projets commerciaux n'auraient sans doute pas été possibles sans le volontarisme public qui a permis l'acquisition d'une certaine maîtrise technologique.

Je trouve cette audition de Jean-Pierre Bourguignon absolument passionnante, car elle nous place face à un choix : faut-il faire confiance, comme nous le faisons traditionnellement, à des axes affichés et volontaristes, ou, comme nous le propose l'ERC, s'inscrire dans une communauté, en Europe et au-delà, s'appuyant essentiellement sur l'enthousiasme et la volonté des chercheurs, suivis et évalués par d'autres chercheurs ? Il m'apparaît comme une performance que l'ERC ait échappé à la fois à l'emprise de la Commission et au volontarisme des États, beaucoup plus faible toutefois dans les autres pays européens qu'il ne l'est en France. Par exemple, l'Allemagne et les Pays-Bas n'ont absolument aucune tradition volontariste sur le plan scientifique, mais incitent leurs scientifiques à être extrêmement volontaires pour avancer dans leurs travaux et obtenir des résultats. Je pense que nous devrions avoir entre collègues de l'Office, en présentiel, un débat sur le sujet que nous ouvre Jean-Pierre Bourguignon au travers de son témoignage, qui est, selon moi, vraiment au cœur de ce que doit être une stratégie politique de la science, avec une interrogation sur la part de décentralisation et de volontarisme à mettre en œuvre.

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