Intervention de Jean-Pierre Bourguignon

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Pierre Bourguignon, ancien président du Conseil européen de la recherche (ERC) :

Je vous remercie pour votre écoute et la qualité des questions que vous m'avez posées, et espère ne pas avoir été trop technique dans mes réponses.

Comme vous l'avez compris, j'ai une certaine passion pour l'ERC, et n'aurais pas consacré six ans de ma vie à cette institution à ce moment de ma carrière si je n'avais eu l'impression que cela en valait la peine. J'ai apprécié par-dessus tout mes rencontres avec les chercheurs du monde entier, et le fait d'entendre certains me dire que le soutien de l'ERC avait changé leur vie et leur capacité à intervenir, ce qui est d'autant plus marqué lorsque les équipes sont basées dans des pays où la situation est compliquée.

L'une des chercheuses avec lesquelles j'ai développé des relations suivies est croate. Elle habite désormais à Zagreb, après être passée par Harvard, Copenhague et Munich, et a décidé de quitter un poste de leader de groupe dans l'un des instituts Max Planck en Allemagne, pour aller travailler en Croatie, à l'institut Boskovic, moyennant une baisse de salaire conséquente. Elle fait figure d'héroïne locale. Son projet, consacré à la méïose, était superbe, et j'ai été très heureux d'apprendre qu'elle venait d'obtenir, en plus de son contrat initial, un nouveau projet soutenu dans le cadre du programme Synergy, qui constitue une amplification extraordinaire de son projet de base. Ceci prouve d'une part qu'elle avait remarquablement bâti son itinéraire, d'autre part que des chercheurs ne se trouvant pas a priori dans des conditions idéales peuvent, si on les soutient correctement, développer des recherches magnifiques. Lors de son premier contrat, il était par exemple vital pour elle de pouvoir acheter immédiatement un microscope électronique coûtant un million d'euros ; nous avons fait le nécessaire pour que ce soit possible.

Pour prolonger les propos du président Gérard Longuet, l'un des éléments qui me frappent beaucoup est d'observer à quel point la presse française ne couvre pas les affaires européennes. Il existe au niveau de l'ERC une structure de communication d'excellente qualité, qui effectue de façon hebdomadaire un relevé des articles parlant de l'ERC dans le monde, et en Europe en particulier. Sur les 200 à 500 articles recensés en moyenne chaque semaine, la France est systématiquement absente. Alors même que 1 200 projets français ont été soutenus par l'ERC, la couverture médiatique est infime. La France doit en la matière être vingt-cinquième sur vingt-huit. Je suis toujours étonné de cette situation. Peut-être souffrez-vous de la même façon de la manière dont la presse couvre ou ne couvre pas vos activités. Je connais personnellement certains journalistes français, avec lesquels j'entretiens par ailleurs d'excellentes relations. Je n'en fais pas une affaire personnelle, mais déplore cet état de fait. Cette absence de relais médiatique des actions menées par l'ERC traduit la distance, la réserve et le manque d'appétence des institutions françaises, déclinées dans leurs différentes composantes, à l'égard de l'Europe, alors même qu'elles ont joué et jouent toujours un rôle décisif dans son développement, ainsi qu'en témoignent les résultats récents, qui n'auraient pu être obtenus sans un président français conquérant.

Ce domaine est important et la capacité à se connecter avec les citoyens essentielle pour le futur. Ce lien doit se créer dans des conditions adéquates, c'est-à-dire non pas avec une vision sensationnaliste, mais grâce à un travail de fond explicitant la méthodologie scientifique, les résultats obtenus, la nécessité pour les chercheurs d'avoir des perspectives de carrière décentes. L'écosystème a besoin d'être réévalué dans sa globalité.

Je vous remercie une fois encore pour votre invitation et votre patience.

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