Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Réunion du jeudi 10 septembre 2020 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Valérie Masson-Delmotte :

. – Ce nouveau virus, en mettant en évidence les balbutiements de la recherche, donne d'autant plus de poids au travail de ma communauté scientifique, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). En effet, sur la base d'une analyse critique des éléments disponibles, nous apportons un cadre de compréhension des controverses. Nous communiquons les connaissances disponibles, avec leurs incertitudes, pour qu'elles soient utilisées en appui à la prise de décision sur le climat.

Je co-préside l'un des groupes de travail du GIEC. Au cours des deux dernières années, nous avons rendu trois rapports spéciaux, sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5°C, sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, et sur le changement climatique et les terres émergées. Pour ce dernier rapport, nous avons abordé pour la première fois des sujets couvrant les trois grandes conventions internationales sur la biodiversité, le climat et la désertification.

Nous avons également approché les systèmes alimentaires dans leur ensemble, avec les implications environnementales des pratiques de production, ainsi que la question de la pression sur les terres, qui joue sur les habitats, et de la disponibilité de ces terres pour produire de l'énergie et stocker du carbone. Sur cette thématique, il faudrait dégager plus clairement des priorités en matière de prévention pour la santé et de politiques alimentaires et agricoles. Les deux sujets sont liés : un article publié hier dans la revue Science souligne que le surpoids et l'obésité, qui touchent deux milliards de personnes, sont des facteurs majeurs de vulnérabilité dans la pandémie. Ils sont également liés à la pauvreté chronique. Cela montre l'importance de politiques publiques de prévention maximisant les bénéfices en matière de climat, d'environnement et de santé.

En juillet 2021, nous devrions rendre notre prochain rapport consacré aux bases physiques du changement climatique, qui doit délivrer une information à la fois globale et régionale, en appui de la prise de décision. Nous y explorons aussi les scénarios à fort impact mais faible probabilité d'occurrence, très importants pour la gestion du risque. La présentation de ce rapport sera l'occasion d'un point sur les enjeux du climat pour la France et les stratégies d'adaptation.

Nous avons connu plusieurs années successives avec des vagues de chaleur et des tensions sur l'approvisionnement en eau. La question de la gestion intégrée de l'eau sur le long terme et de son partage entre les milieux naturels, les habitats, les activités agricoles et les usages industriels est appelée à monter en puissance. Sujet annexe, le dépérissement grave de certaines forêts, qui ne suscite pas de réaction suffisante de la puissance publique.

Vous avez abordé la question de la relation entre science et société. Le parent pauvre de la réforme du lycée est l'éducation en sciences de la vie et de la Terre. Or elle est fondamentale pour que les futurs citoyens puissent se positionner et comprendre la démarche scientifique sur des sujets complexes comme la santé humaine, le climat ou la biodiversité. La formation par l'expérimentation, en particulier, est très importante. Nous avons besoin de l'aide de l'OPECST et du Parlement pour renforcer l'éducation sur ces thématiques.

Troisième point : valoriser la reconnaissance du temps passé par les scientifiques dans les milieux scolaires, auprès du grand public et des élus. Cela doit être reconnu comme une mission à part entière des enseignants-chercheurs et du personnel technique des laboratoires. La LPPR doit être l'occasion d'avancer en ce sens. Il faut décloisonner, renforcer la confiance de la société envers les scientifiques et faire en sorte que la recherche réponde aux questions sociétales.

J'ai fait partie d'un groupe de travail inter-académique créé dans le cadre de la crise sanitaire et associant les académies des technologies, des sciences, de médecine, de pharmacie et d'agriculture. Nous avons formulé des recommandations relatives à la prise en compte des objectifs du développement durable dans la gestion de crise et la reconstruction. Plus généralement, nous avons travaillé sur les méthodologies d'étude d'impact en appui à la prise de décision. Quels sont les outils disponibles pour évaluer l'impact d'un projet de loi, par exemple sur la qualité de l'air, de l'eau, des sols, l'exposition aux conséquences du changement climatique, la biodiversité, la santé ou la pauvreté ? À travers ces questions, nous cherchons à construire une prospérité résiliente intégrant l'économique, le social et l'environnemental.

Cela nécessite une mobilisation des compétences de la communauté académique et des besoins de ceux qui prennent les décisions. Des groupes internationaux essaient de mettre en place des méthodes innovantes d'analyse d'impact ; en France, le Haut conseil pour le climat, dont je fais partie, a souligné le manque d'outils pour la mise en cohérence de textes comme la loi agriculture et alimentation (Egalim) ou la loi d'orientation des mobilités (LOM) avec la stratégie nationale bas carbone.

Plus largement, l'éthique de l'expression des scientifiques dans le domaine public doit faire l'objet d'une réflexion. Dans le domaine du climat, des personnalités à la frontière entre science et politique se sont comportées en marchands de doute. Dans la pandémie actuelle, le constat est similaire : des prises de parole individuelles ne représentant pas l'état des connaissances ont pu semer le doute dans le public sans susciter de réaction de grande ampleur. C'est une question importante, difficile et délicate.

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