Intervention de Jean-Paul Laumond

Réunion du jeudi 10 septembre 2020 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Paul Laumond :

. – Il faut trouver un juste milieu entre ce sensationnalisme et une forme de réductionnisme. Cela passe, à mon sens, par la linguistique – en amont de l'éthique. Comment le langage opère‑t‑il lorsque nous parlons à nos contemporains ? Une thèse croisant linguistique et robotique vient d'être consacrée à ce sujet.

En voici une illustration : j'étais le commissaire scientifique de l'exposition Robots à la Cité des sciences et de l'industrie. Nous y avons mis en place des ateliers d'argumentation confrontant une dizaine de journalistes avec une dizaine de chercheurs dans des exercices imposés. Cela a permis de mieux comprendre comment le langage opère dans l'imaginaire qui se greffe sur ces technologies. Ce passage par la linguistique évite, à mon avis, de se poser de faux problèmes philosophiques comme le choix à faire, en cas d'accident d'un véhicule autonome, entre un enfant et une personne âgée… Ce sujet de la transmission scientifique comme objet de recherche mériterait d'être exploré. Il ne suffit pas de faire appel à des communicants pour résoudre le problème.

La France est bien placée en recherche robotique, puisqu'elle est classée dans les cinq premières puissances en matière de production scientifique. Il y a de très bonnes sociétés dans des niches, comme la robotique agricole ou médicale, mais nous sommes absents dans la robotique industrielle.

Je voudrais essayer d'analyser avec vous les causes de cette situation.

La recherche en robotique, c'est principalement, dans le domaine du logiciel, d'essayer de maîtriser les lois de la physique pour pouvoir commander des machines qui sont soumises à la gravité. Les machines doivent obéir aux logiciels. On va un peu au‑delà de l'intelligence artificielle, qui est du pur traitement de l'information. On peut observer que les progrès réalisés en intelligence artificielle sont exponentiels. Il y a tous les jours de nouvelles applications sur les téléphones portables, mais j'ai coutume de dire que l'on a l'habitude d'utiliser des logiciels qui ne fonctionnent pas. Siri marche très bien pour obtenir une information simple, mais dès que cela devient compliqué… On utilise un logiciel dont on n'a pas précisément défini les conditions d'utilisation, c'est‑à‑dire que l'on n'a pas qualifié son champ de compétences. C'est pareil pour les GPS, qui peuvent nous mettre dans des situations absurdes. Si vous mettez ces logiciels sur une machine, elle tombe, donc on ne peut pas se satisfaire de cela. Le problème fondamental, c'est la certification des logiciels.

Selon moi, la structure de la recherche dans ce domaine n'est pas adaptée. On a d'excellentes compétences en recherche fondamentale, mais elles sont trop essaimées dans différentes structures, du type CNRS, CEA, etc. Comment traiter numériquement les lois de la physique ? Nous faisons de très belles publications sur le sujet, mais on ne parvient pas à percer sur le marché. Les logiciels que nous développons nous sont enviés à l'extérieur, notamment aux États-Unis, mais on ne parvient pas à aller plus loin pour des questions de certification.

On ne fait pas de la robotique uniquement avec des ordinateurs. On travaille avec des robots qui coûtent cher – autour d'un million d'euros pour un robot acheté au Japon ou en Espagne –, mais on n'a pas les personnels qui vont avec. On a les chercheurs et les doctorants, mais il manque les techniciens et les ingénieurs. C'est pourquoi nous avons lancé une réflexion avec l'Académie des sciences, en coopération avec les Allemands, pour créer un institut dédié à la robotique, mobilisant chercheurs, ingénieurs, techniciens autour de projets pour irriguer le tissu industriel de la filière.

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