Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 8h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, président de l'Office :

. – Les disparités entre pays ont des origines très diverses. La différence entre la France et Allemagne a été très commentée. Le principal facteur pendant la première vague est simplement que l'Allemagne a été moins touchée : en effet, la France a été contaminée plus tôt et a eu une exposition internationale plus importante. Après sont intervenues des questions de disponibilité, d'équipement sanitaire, de comportement, etc. mais en fait la France a agi alors qu'elle était déjà à un stade plus avancé de l'épidémie. C'est d'ailleurs peut-être ce qui explique en partie que l'Afrique n'a pas été si gravement touchée. On n'a toujours pas expliqué pourquoi l'Europe de l'Est – et pas seulement l'Allemagne – a été peu touchée par la première vague. Le paysage qui se dessine maintenant est très différent : on voit désormais à l'Est des pays très touchés, comme la République tchèque.

Certains pays, pour des raisons structurelles, se comportent beaucoup mieux, en particulier en Asie. On voit le succès remarquable de la Corée du sud et de Taïwan ; le Japon s'en tire bien ; la Chine est un cas assez particulier. Plusieurs facteurs expliquent ces succès. D'une part, une très grande discipline face aux épidémies : ces pays ont déjà connu cette situation, ils ont vu à quel point cela pouvait être meurtrier et il y a une très grande conscience de la population. D'autre part, le recours à des méthodes et techniques bien plus coercitives qu'en Occident.

Il faut sur ce point faire attention : ce n'est pas forcément une question de différence entre dictature et démocratie. La Corée du Sud reste l'un des pays qui tient le mieux face à l'épidémie, et c'est un pays incontestablement démocratique. J'évoquais tout à l'heure le cas de la Nouvelle-Zélande, qui est assurément une démocratie très saine, avec un très haut niveau de confiance de la population dans les institutions. Ce pays a appliqué pendant son deuxième confinement des mesures très fortes : les commerçants avaient obligation d'utiliser des QR codes pour chaque client, avec renseignement d'applications numériques, ce qui était impensable en France lorsqu'on a débattu de la première version de notre application de traçage. Pour autant, les outils numériques n'ont été efficaces que dans des pays où ils ont été mis en œuvre de façon coercitive et non laissés au libre arbitre de chacun. Ceci veut peut-être dire que les choix que nous avons faits en tant que démocratie – mettre au point Stop-Covid avec les garde-fous de la CNIL, le respect de la vie privée, le fait que ce soit optionnel, etc. – sont incompatibles avec l'efficacité. On verra ce que donne le prochain débat et si, collectivement, notre démocratie décide de passer à une forme plus coercitive. Il existe en Corée du Sud des mécanismes constitutionnels qui font qu'en cas d'épidémie, l'organisme qui est l'équivalent de Santé publique France dispose temporairement de pouvoirs sur la police et sur l'administration qui prennent le pas sur les circuits habituels des pouvoirs et contre-pouvoirs ; cela fait qu'il s'y établit comme un régime d'exception.

En matière d'intelligence artificielle et de systèmes d'information, l'un des problèmes majeurs de toute stratégie de traçage numérique est qu'en fonction du contexte dans lequel on se trouve, la probabilité de transmission du virus est très différente : sans masque et rapproché dans un espace confiné, on aura une très grande probabilité de contamination ; dans la même configuration mais à ciel ouvert, la probabilité sera beaucoup plus faible. Cette difficulté actuelle à bien différencier les situations a un impact sur les règles applicables, qui nous a été signalé pendant les auditions. Par exemple, comment traiter le problème des matchs en plein air, où l'on voit des stades vides ou avec une place occupée sur cent installées, alors qu'il n'y a aucune preuve de contamination en plein air ? Cela fait partie du débat scientifique, mais il ne fait pas de doute qu'il y a une très grande disparité dans les possibilités de contamination en fonction des lieux et des circonstances.

Sonia de La Provoté a remarqué par écrit qu'il va falloir analyser a posteriori aussi précisément que possible la sortie du premier confinement pour gérer aussi bien que possible la sortie du second. J'en suis tout à fait d'accord.

Nous en avons terminé avec les questions et les échanges et je vous remercie, mes chers collègues, pour cette séance si efficace.

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