Je suis président de France Hydrogène, qui est le nouveau nom de l'association d'abord dénommée AFH2, puis APHYPAC. Récemment, nous avons pris ce nom, pour bien signifier que nous voulons développer une filière française compétitive de l'hydrogène. L'association connaît une forte dynamique : nous étions 120 en janvier 2019 et nous approchons le cap des 240 membres, que nous atteindrons probablement en début 2021. Elle est composée d'une quarantaine de grands groupes, d'une centaine de PME-PMI, de l'ensemble des centres de recherche français sur l'hydrogène au CEA et au CNRS et, ce qui fait probablement notre spécificité, de 70 associations, collectivités territoriales, syndicats d'énergie ou de transport et pôles de compétitivité. L'ensemble des régions françaises sont membres de l'association. Le rôle d'une association telle que France Hydrogène est de promouvoir l'hydrogène et de développer une filière française compétitive. Au plan européen, nous sommes membres d'Hydrogène Europe, association regroupant l'ensemble des industriels européens engagés dans l'hydrogène, l'ensemble des laboratoires européens qui travaillent sur l'hydrogène et les associations nationales telles que la nôtre qui ont bien voulu adhérer à cette association européenne. Nous déployons actuellement des démarches pour être actifs dans la Clean Hydrogen Alliance, l'Alliance pour l'hydrogène. Il y aura six tables rondes, nous sommes candidats pour au moins l'une d'entre elles – la production ou éventuellement l'industrie. Il y a d'autres tables rondes sur le transport et la distribution de l'hydrogène, mais également sur l'hydrogène – énergie, l'hydrogène pour les bâtiments et l'hydrogène pour la mobilité.
Le dynamisme que l'on observe actuellement est le résultat d'une montée en puissance. Je situe le fait générateur – je ne dis pas cela parce que nous sommes aujourd'hui devant l'OPECST – au rapport de l'Office « L'hydrogène : vecteur de la transition énergétique » de janvier 2014, qui donnait au Gouvernement des recommandations pour développer l'hydrogène en France. Un appel à projets a ensuite été lancé sous l'égide d'Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'Économie, et Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, qui a connu un grand succès. La plupart des régions de France ont proposé des projets dans ce cadre. Le 1er juin 2018, le plan Hulot a donné une impulsion majeure au développement de l'hydrogène, mais il faut bien reconnaître qu'il manquait d'une vraie visibilité financière. Le ministre avait dit à l'époque : « nous allons mettre 100 millions d'euros dès 2019 ». Nous avons vu ces 100 millions, mais il n'y avait pas de visibilité plus lointaine. Cependant, les objectifs du plan Hulot ont été repris dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), et un objectif majeur de ce plan, atteindre 20 à 40 % d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030, a été repris dans la loi Énergie et Climat. Nous nous en félicitons, bien évidemment.
Nous en arrivons donc à la stratégie nationale, présentée le 8 septembre 2020 par les deux ministres concernés. Ce qui fait la différence avec le plan Hulot, c'est qu'il y a, cette fois, un lien très étroit entre l'écologie et l'économie, chacune s'appuyant sur l'autre pour présenter une vision qui correspond en tout point à celle que l'association avait développée dans le manifeste Pour un plan national hydrogène ambitieux et cohérent, que nous avons publié en juillet de cette année.
Je vais dire quelques mots sur l'articulation entre la stratégie européenne et la stratégie française. Les deux mettent l'accent sur l'hydrogène renouvelable mais aussi sur l'hydrogène bas carbone, au moins pour une période de transition, s'agissant de l'Europe. La voie privilégiée est l'électrolyse de l'eau, c'est-à-dire la décomposition de l'eau par un courant électrique, avec pour la France un objectif de 6,5 gigawatts d'électrolyseurs à l'horizon 2030 et, au niveau européen, une initiative portant sur 40 gigawatts sur le sol européen et 40 gigawatts dans les pays limitrophes. L'Ukraine est citée, les pays d'Afrique du Nord le sont aussi.
La stratégie française et la stratégie européenne partagent également les mêmes cibles, à savoir l'industrie et le transport lourd, c'est-à-dire les bus, les bennes à ordures, les camions, le train, le bateau et, dans un avenir plus lointain, l'avion. Les objectifs côté français sont fixés par l'article premier de la loi Énergie et Climat à 20 à 40 % d'hydrogène décarboné. Pour donner un ordre de grandeur – qui ne figure pas dans le dossier de presse du Gouvernement –, nous avons évalué la production nécessaire à environ 700 000 tonnes d'hydrogène, à comparer à environ 900 000 tonnes de production actuelle. Au niveau européen, les objectifs sont d'un million de tonnes à l'horizon 2024 et 10 millions à l'horizon 2030.
Le dossier de presse gouvernemental ne fait pas le distinguo, il parle d'hydrogène vert ou renouvelable, ce qui peut vouloir dire renouvelable ou bas carbone. Pour développer ces tonnages d'hydrogène renouvelable ou bas carbone, nous disposons en France d'une électricité décarbonée issue du parc nucléaire, mais également du parc hydraulique, qui permet de produire de l'hydrogène en émettant beaucoup moins de gaz carbonique que la production traditionnelle par vaporeformage.
La directive européenne Énergies renouvelables, que nous appelons RED II puisqu'elle vient d'être révisée, propose un levier puissant qui va permettre d'utiliser de l'hydrogène renouvelable dans les raffineries. Je pense qu'on y reviendra dans la suite de l'audition.
Dans ces deux stratégies, européenne et française, les enjeux de compétitivité sont bien cernés. Il s'agit de réduire d'un facteur trois ou quatre le coût de l'hydrogène, qui est encore trop élevé, pour arriver dans certains cas à une parité avec le gaz naturel, c'est-à-dire à peu près à 1,5 euro par kilogramme. Il s'agit donc de changer d'échelle, et dans la situation actuelle la nécessité d'un soutien public est avérée, qu'il soit européen, national, voire régional, puisque quasiment toutes les régions ont maintenant des feuilles de route et des stratégies hydrogène.
En termes de soutien, les choses se précisent en France au travers de l'ordonnance prise au titre de l'article 52 de la loi Énergie-Climat, qui est déjà passée devant le Conseil supérieur de l'énergie et la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et qui doit repasser au Conseil d'État avant d'être notifiée à Bruxelles. On pense donc à une mise en œuvre au deuxième semestre 2021. Les modalités précises ne sont pas encore bien définies. La Commission européenne penche pour un Carbone contract for difference, consistant à compenser l'écart entre le coût de la tonne de carbone évitée par le projet promu et le coût du carbone dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (en anglais Emission Trading Scheme ). Notre souhait est de nous placer dans le cadre d'un IPCEI ( Important Project of Common European Interest ou « projet important d'intérêt européen commun »), de façon à pouvoir faire émerger des champions nationaux et développer une véritable industrie de l'hydrogène en France.
Des moyens de financement sont également identifiés. Pour la France, nous les avons évalués à 24 milliards d'euros. C'est le montant des investissements que les acteurs économiques doivent réaliser pour atteindre l'objectif de 20 à 40 % d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030.
Au niveau européen, les estimations sont de l'ordre de 100 à 120 milliards d'euros. Nous avons le sentiment que les investissements des collectivités ne sont pas inclus dans ce montant, alors que dans notre estimation ils le sont. Ils consistent notamment dans le renouvellement des flottes de bus, de camions ou de bennes à ordures, ou le renouvellement ou l'achat de véhicules utilitaires légers.
Au niveau français, le soutien est de 7,2 milliards d'euros sur la décennie qui vient. Au niveau allemand, il est de 9 milliards d'euros, se décomposant en 7 milliards pour développer une activité, une économie, une industrie de l'hydrogène sur le territoire allemand, et 2 milliards pour développer des coopérations, permettre la production et l'acheminement d'hydrogène dans des pays adjacents, notamment en Afrique du nord. L'Espagne met 8,9 milliards, l'Italie 4 milliards, l'Autriche 2 milliards et le Portugal 1 milliard.
Je termine mon propos liminaire par quatre points de vigilance.
Le premier m'apparaît le plus important, car il concerne la neutralité technologique. Actuellement, au niveau européen, une préférence, pour ne pas dire une exclusivité, est donnée à l'hydrogène d'origine renouvelable – nous identifions un certain nombre de signaux en ce sens. C'est un point sur lequel il faut être particulièrement vigilant, dans la mesure où il risque d'écarter, ou du moins de ne pas favoriser, le recours à l'électricité nucléaire tel qu'il existe dans le mix énergétique français, qui permettrait d'obtenir de l'hydrogène rapidement et dans de bonnes conditions. Il faut savoir quelle est la priorité : décarboner l'économie ou favoriser les énergies renouvelables. Évidemment, notre préférence va à la décarbonation de l'économie.
La stratégie européenne envisage et admet, dans une période transitoire, le vaporeformage, processus qui casse la molécule de méthane et donne de l'hydrogène et du gaz carbonique, dès lors qu'il serait couplé à ce que l'on appelle le CCS (carbone capture and storage) ou le CCU (carbon capture and utilization). Il s'agit de capter le gaz carbonique, soit pour l'utiliser, comme le fait Air Liquide dans la raffinerie de Port-Jérôme en Normandie, soit pour le transporter sur des bateaux, puis l'enterrer dans des gisements en mer du Nord, comme cela se pratique de plus en plus. Cette solution est admise de manière transitoire au plan européen mais ignorée en France. Les autorités françaises doivent être vigilantes, car il ne faudrait pas que cela se développe ailleurs et que la France soit également en retard sur ce point. France Hydrogène a pris contact avec plusieurs parlementaires européens, dont certains sont « autour de la table » et nous avons sensibilisé les services de la Commission européenne, notamment la DG Énergie. Je crois que les choses vont se nouer au moment où nous allons travailler sur l'amendement à la directive RED II, au deuxième trimestre 2021.
Parallèlement, en partenariat avec RTE, ou en prolongement de l'étude approfondie qu'il mène actuellement, et dans le cadre d'une concertation avec tous les acteurs, nous allons regarder comment se présente l'équilibre des différentes énergies en France, sachant qu'il y a des interactions très fortes entre elles, pour déterminer s'il y aura assez d'énergies renouvelables pour alimenter le marché jusqu'en 2050. Nous regarderons aussi certaines variantes, par exemple si l'efficacité énergétique n'est pas au rendez-vous, si le l'éolien offshore ne décolle pas assez vite, ou si l'éolien onshore est bloqué…
Le deuxième point de vigilance porte sur la nécessité de faire baisser les coûts. Le seul moyen est de continuer à innover et à faire de la recherche et du développement. Mais il faut aussi appliquer les mêmes méthodes que pour d'autres technologies émergentes : il faut changer d'échelle, à la fois dans la production d'hydrogène et dans la production de technologies pour produire l'hydrogène, le distribuer et l'utiliser. Le corollaire est que la production de ces technologies soit faite en France ou au minimum en Europe, pour contribuer à la réindustrialisation.
Pour ce faire, nous comptons sur la mise en place de l'IPCEI, que j'ai déjà mentionné. Nous avons bien conscience que cela n'apporte pas de financement européen, mais il s'agit d'appliquer à l'hydrogène ce qui a été fait sur les batteries. Dès à présent, l'hydrogène est reconnu comme une chaîne de valeur stratégique. L'étape suivante est de faire reconnaître que celle-ci doit faire partie d'un projet important d'intérêt européen commun. Ceci permettra de faire émerger des champions nationaux qui construiront notamment des gigafactories, ces grandes usines qui permettront de mettre en œuvre les technologies à moindre coût.
Nous sommes relativement confiants sur ce plan. Il suffit de lire le communiqué de presse publié par l'Élysée le 13 octobre 2020, à la suite de la rencontre entre le président de la République et la chancelière allemande : il dit clairement que les deux pays souhaitent qu'il soit décidé d'un IPCEI avant la fin de cette année. Il faudra évidemment, au-delà de la France et de l'Allemagne, rallier un maximum de pays européens.
Là encore, cela va demander une révision des textes, notamment des lignes directrices sur les aides d'État pour l'énergie et l'environnement, pour que celles-ci soient étendues à l'hydrogène. Cela devrait être fait en 2021.