Intervention de Corinne le Quéré

Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Corinne le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat :

. ‑ Je vous remercie de nous entendre aujourd'hui. Le HCC est un organisme indépendant, chargé d'évaluer la stratégie du gouvernement en matière de climat et d'éclairer les débats de manière neutre. Nous sommes un organisme scientifique et technique, qui publie un rapport annuel, auquel le gouvernement doit répondre, dans les six mois, devant le Parlement et le Conseil économique, social, et environnemental (CESE). Nous pouvons également être saisis par les présidents des deux chambres ou nous autosaisir.

Je vous présenterai les résultats de nos rapports sur l'empreinte carbone et sur le plan de relance dans mon propos liminaire, avant de répondre à vos questions.

Dans nos rapports annuels, nous avons noté que les émissions de gaz à effet de serre en France devaient conduire à la neutralité carbone en 2050. Cet objectif est inscrit dans la loi et il est nécessaire pour stabiliser le climat. Les émissions françaises diminuent au rythme de 1 % par an, insuffisant pour atteindre l'objectif de 2050. En effet, elles devraient baisser trois fois plus vite pour que la France reste sur la trajectoire nationale bas carbone. La principale difficulté provient d'un manque de pilotage, d'évaluation et de suivi. Or, un bon pilotage est indispensable pour accroître le niveau des mesures mises en place.

La contribution de la France aux émissions mondiales de gaz à effet de serre ne se limite pas aux émissions intérieures, elle inclut les émissions liées à ses échanges internationaux. Son empreinte inclut les émissions associées aux importations, diminuées des émissions liées aux exportations. Les émissions des transports internationaux sont exclues du périmètre des engagements pris par la France. Son empreinte carbone s'élève à 749 mégatonnes de CO2 (Mt éqCO2), soit 11,5 tonnes par habitant. Elle est 70 % plus élevée que les seules émissions de l'inventaire national couvertes par l'engagement climatique. Pourtant, toutes ces émissions doivent baisser, pour être en ligne avec l'Accord de Paris et pour atteindre la neutralité carbone en 2050. La partie territoriale est clairement de la responsabilité de la France. La partie importée, ainsi que la part française des transports internationaux, sont une responsabilité partagée entre la France et les pays partenaires.

Le rapport que nous avons publié répond à une saisine du gouvernement et vise à clarifier les implications des décisions de la France sur les émissions liées aux échanges internationaux. L'empreinte carbone par habitant diminue légèrement depuis 2005, mais cache une augmentation continue des émissions associées aux importations, alors que les émissions sur le territoire sont en baisse. Les émissions importées ne sont pas soumises aux politiques climatiques. Pour maîtriser cette empreinte, il faut s'attacher à en comprendre les causes.

La hausse des émissions importées est principalement due à l'augmentation de la consommation. Les changements de la structure du commerce, comme le déplacement des usines vers l'Asie, jouent un rôle moins important.

L'empreinte carbone de la France provient pour moitié des émissions directes des ménages, par exemple l'utilisation de la voiture et le chauffage, et des biens et services produits en France. L'autre moitié provient des biens et services produits dans l'Union européenne, pour 10 %, et dans le reste du monde, principalement en Chine et en Asie. Les émissions importées sont liées aux équipements électroniques et électriques, aux travaux de construction des usines produisant les biens importés, à la cokéfaction, au raffinage, et aux produits industriels et agroalimentaires.

Notre rapport constate que trois quarts des émissions de l'empreinte carbone sont liés aux décisions des entreprises et des ménages sur le territoire français, et non 50 %. Les décisions des acteurs français jouent donc un rôle important qui peut permettre de réduire et de maîtriser l'empreinte carbone.

La stratégie de réduction des émissions importées s'appuie sur ce constat. Le premier levier consiste à adapter les stratégies industrielles en France, pour aider les entreprises à mieux tenir compte des émissions importées. C'est le levier le plus important. La loi PACTE prévoit par exemple des stratégies par filière, développant un score carbone pour les produits et créant un effet d'entraînement. Ce score carbone permet aussi de mieux informer les ménages.

Au niveau international et au sein de l'Union européenne, il est nécessaire de mener des travaux pour encadrer les échanges commerciaux et continuer à orienter la coopération internationale vers le renforcement des échanges dans le cadre de l'Accord de Paris.

Dans sa définition actuelle, l'empreinte carbone ne tient pas compte des puits de carbone ni de la déforestation importée, qui font l'objet d'un travail à part.

La loi Énergie-climat prévoit d'intégrer un plafond indicatif pour l'empreinte carbone dès 2022, et nos analyses montrent qu'une trajectoire de 80 % de réduction des émissions d'ici 2050 serait équivalente à l'objectif de neutralité carbone pour les émissions territoriales.

Notre rapport couvre également les avancées méthodologiques nécessaires pour améliorer l'inventaire des émissions de l'empreinte carbone, notamment au niveau des tableaux entrées-sorties européens.

Le Plan de relance mobilise des sommes sans précédent. Il orientera les investissements des prochaines années et structurera l'économie en sortie de crise. Il pourrait permettre de rattraper le retard pris par la France sur ses objectifs climatiques, mais en même temps, il présente le risque de verrouiller la France dans des activités fortement émettrices. Je rappelle que la crise de la Covid s'est traduite en 2020 par une réduction importante des émissions, mais que cette réduction n'est pas structurante. En effet, dès que les mesures de confinement seront levées, les émissions rebondiront.

Le gouvernement a réalisé des premiers travaux d'évaluation du plan de relance au regard du climat. Ils constituent une étape importante pour un meilleur pilotage de la transition vers la neutralité carbone, mais ils ne permettent pas, dans leur forme actuelle, de s'assurer de la cohérence avec l'objectif de neutralité carbone. Une telle évaluation doit prendre pour référentiel la trajectoire bas carbone définie par la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Or, la poursuite de la trajectoire actuelle nous éloigne de la trajectoire bas carbone. C'est un point méthodologique essentiel pour l'appréciation des investissements du plan de relance.

En menant une évaluation ayant pour référence la SNBC, nous avons estimé que 28 milliards d'euros du plan de relance étaient favorables au climat, estimation assez proche de celle du gouvernement qui s'élève à 30 milliards d'euros. La différence de deux milliards dépendra des conditions de leur mise en œuvre. La plus grosse différence entre les deux évaluations concerne les mesures neutres, à cause des risques qu'elles portent sur l'objectif de la trajectoire bas carbone. Nous faisons des recommandations afin que ces mesures appuient le plus possible la trajectoire bas carbone. La moitié des financements jugés favorables à l'atténuation des émissions porte sur la décarbonation des transports et des bâtiments, deux des secteurs les plus émetteurs. En revanche, l'agriculture et les forêts ne sont pas suffisamment prises en compte, au regard des enjeux de décarbonation de ces secteurs, qui ne sont pas aujourd'hui engagés dans la transition bas carbone. L'emploi et la formation destinés à la transition bas carbone ne sont que marginalement soutenus sur les 36 milliards d'euros du volet cohésion. Enfin, les effets régressifs de la distribution des revenus sur certaines mesures, efficaces sur le plan climatique, doivent être compensés pour ne pas accroître les inégalités et les tensions sociales.

Afin d'améliorer l'efficacité de la dépense publique au regard du climat, nous avons recommandé un certain nombre de mesures. Tout d'abord, nous invitons l'État à renforcer la compatibilité de l'ensemble du plan de relance avec l'objectif de neutralité carbone fixé par la loi, en orientant la reprise de l'ensemble des activités vers des modes de production et de consommation bas carbone, par exemple au niveau des conditionnalités, ou de l'emploi et de la formation au sein du volet cohésion.

Par ailleurs, nous proposons de maximiser les bénéfices du plan de relance en réorientant les financements favorables vers les actions les plus efficaces, par exemple en utilisant des politiques non budgétaires, comme le renforcement de l'incitation à structurer l'offre, ou la définition d'un cadre clair, à long terme, pour orienter les investissements du secteur privé. Il s'agit de construire une nouvelle trajectoire pour l'ensemble de la société, de former de nouvelles filières, notamment pour la rénovation du bâtiment et le stockage de l'énergie.

La mise en œuvre du plan de relance doit être suivie et évaluée, et son pilotage doit permettre de l'ajuster en fonction des résultats.

Enfin, nous proposons d'améliorer les méthodes d'évaluation au regard du climat, en prenant comme référentiel la SNBC.

Pour conclure cet exposé, le HCC a mis l'accent sur la nécessité d'évaluer l'impact des politiques et des mesures prises à tout niveau, de manière systématique et continue, au regard du climat et de la SNBC. Il faut faire des évaluations en amont, suivre les mesures, les rectifier si nécessaire, et soutenir les projets qui donnent des résultats car la France souhaite répondre aux enjeux climatiques de manière ambitieuse, avec des objectifs forts, en bénéficiant du moteur des actions européennes et internationales.

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