. – Lorsque l'on considère des souches reconstituées avec les mutations correspondant à ce variant, et que l'on compare la capacité des sérums de sujets vaccinés à neutraliser la souche ancestrale ou la souche sud-africaine, on s'aperçoit que ces sérums neutralisent la souche sud-africaine, mais avec une diminution d'environ 40 % en termes de titre.
La souche brésilienne est présente essentiellement dans le nord et les forêts du Brésil, autour de Manaus. Comme le variant sud-africain, celui-ci est mal neutralisé par les anticorps neutralisants et les anticorps de sujets ayant déjà été atteints par la Covid-19. Nous disposons de très peu de données sur sa sensibilité aux vaccins.
Je reviendrai ultérieurement sur les questionnements que ceci soulève relativement à la situation française dans les semaines à venir.
Si l'on réfléchit aux déterminants de la relation entre l'hôte et le virus, la question est de savoir pourquoi ces variants apparaissent un an après le début de l'épidémie. Serions-nous passés à côté de variants apparus précédemment ? La réponse est négative : il existe en effet des systèmes de surveillance au niveau mondial, dans des laboratoires de virologie, notamment sous l'égide de l'OMS, qui séquencent très régulièrement le virus et surveillent la survenue d'éventuelles variations. Il faut savoir que ce virus mute en permanence. Plusieurs centaines de mutations légères ont ainsi été observées, mais aucune n'avait entraîné de modifications phénotypiques, c'est-à-dire se traduisant soit par une transmission accrue, soit par une pathogénicité plus importante.
L'autre point d'intérêt tient au fait que le variant brésilien est apparu dans la ville de Manaus, considérée par les épidémiologistes comme ayant atteint une immunité d'environ 70 % en population générale. Cette ville, globalement jeune, avait été très touchée par les vagues épidémiques successives, dans des conditions sanitaires très difficiles. De nombreux décès avaient été constatés parmi les sujets les plus âgés, mais l'immense majorité des cas étaient survenus chez des personnes jeunes, qui avaient ainsi développé des anticorps. Je rappelle que l'objectif des vaccins est de parvenir à une immunité en population de l'ordre de 70 %, taux qui a été obtenu naturellement à Manaus, du fait des contaminations massives. Dans ce contexte, pour quelles raisons un nouveau variant, non reconnu par les anticorps précédents, s'est-il développé là ? Ceci soulève la question de la capacité du virus, qui connaît naturellement des mutations relativement aléatoires, à être dirigé par une pression de sélection immunologique, en population ou au niveau individuel, conduisant à sélectionner un type de mutation qui lui permet d'échapper aux éléments susceptibles de le neutraliser. On parle alors d'« échappement immunitaire ».
S'agissant du variant sud-africain, il faut savoir que l'Afrique du Sud est le pays comptant en valeur absolue le plus grand nombre de patients séropositifs au VIH, traités dans des conditions plus ou moins satisfaisantes. L'une des explications de l'apparition des variants est qu'ils surviendraient plus vite et plus facilement chez les patients immunodéprimés.
L'autre constat est qu'une immunité populationnelle de l'ordre de 45 % avait été atteinte au Cap, où est apparu un virus échappant, comme le variant brésilien, aux anticorps neutralisants.
Ces observations sèment évidemment un certain trouble quant à la relation entre hôte et virus. Je tiens à vous rassurer sur le fait que ce modèle ne se vérifie pas dans le cas du variant anglais, qui se comporte de façon très différente.
Enfin, l'immunité induite par les vaccins est probablement plus forte, plus solide et plus durable que celle induite par l'infection elle-même. Cet élément positif est à prendre en considération dans le tableau un peu sombre que je suis en train de dresser.
Qu'en est-il au niveau français ? Nous connaissons actuellement en France une double infection, avec une circulation du virus ancestral à un niveau relativement important et une présence de plus en plus conséquente du variant anglais, qui se répand dans le pays de façon rapide et dont on voit mal ce qui pourrait arrêter la progression.
Notre pays est aujourd'hui plutôt bon élève au niveau européen, après être passé par des situations comparativement moins flatteuses. Le Royaume-Uni et l'Allemagne, que l'on citait auparavant en exemples, mais aussi la Suisse, la Belgique et le Portugal connaissent actuellement des situations moins favorables.
En France, les mesures de couvre-feu permettent de contenir la diffusion de l'épidémie, la situation étant cependant très limite quant à son impact sur le système sanitaire, le taux d'occupation des lits et le nombre de nouvelles hospitalisations. Certaines régions sont en tension ; je pense en particulier à la Franche-Comté et au sud de la France. À l'inverse, dans d'autres territoires dont la région parisienne, la tension est contenue.
Toutefois, les projections effectuées par les modélisateurs avec lesquels travaille le Conseil scientifique montrent que l'arrivée du variant anglais pourrait conduire à la mi-mars à ce que ce variant soit dominant, avec un facteur de transmission très élevé et des conséquences sanitaires importantes en termes d'hospitalisations et d'admission en réanimation, notamment pour la population la plus fragile. Avec l'arrivée de ces nouveaux variants (essentiellement anglais, mais aussi sud-africain, dans 1 à 2 % des cas) ayant une capacité de transmission beaucoup plus élevée que le virus ancestral, la situation, qui était dans un équilibre précaire, risque fort de se trouver déséquilibrée.
Que faire face à cette perspective ? Quelles décisions prendre ? Le Conseil scientifique a pour mission d'éclairer les autorités gouvernementales sur les enjeux d'une telle situation. Il ne lui revient pas de trancher. Ceci relève de décisions politiques.
J'insiste sur la question, très importante à mes yeux, de l'outre-mer. La Guyane est très proche des forêts de Manaus. La frontière est très poreuse. Ce territoire français avait connu une vague épidémique très importante au cours de l'été et semblait « protégé » par l'inversion de la saison, le virus étant sensible au climat. Or la Guyane va être confrontée à la pénétration du variant brésilien, déjà en cours. Il est illusoire de penser arrêter cette progression. Il en va de même du côté de l'océan Indien, où le virus sud-africain progresse très vite le long de la côte est de l'Afrique, notamment au Mozambique. Les liens avec La Réunion et Mayotte y font craindre un développement de ce variant. Les premières données concernant La Réunion montrent d'ailleurs que le variant sud-africain représente déjà 5 à 6 % des contaminations. De plus, indépendamment de l'épidémie, Mayotte connaît une situation sanitaire de fond déjà très difficile. La population y étant très jeune, les conséquences en termes d'hospitalisations et d'entrées en réanimation y seront certainement assez faibles, mais la situation risque néanmoins d'y être tendue, eu égard à la contagiosité du virus.
À nos yeux, l'arrivée des variants est en train de modifier la donne, pour les raisons que je viens d'exposer. Certains ont évoqué une « épidémie dans l'épidémie », d'autres une « deuxième pandémie ». Je crois pour ma part que ceci relève de l'histoire naturelle d'un virus, qui donne nécessairement lieu à l'apparition de multiples variants. Il est important de disposer des outils de surveillance adaptés et de se donner une très grande souplesse dans la construction des vaccins. La sensibilité un peu diminuée aux vaccins pour certains de ces variants montre bien l'importance de conserver une réponse immunologique parfaitement forte et adaptée, donc de respecter les règles en matière de vaccination.