. – La question de la circulation du virus et des endroits dans lesquels on se contamine est très importante. Qu'en sait-on après un an de pandémie ? Trois études (une américaine, une anglaise et une française conduite par Arnaud Fontanet de l'Institut Pasteur) ont été publiées sur le sujet début décembre. Les informations dont nous disposons sont donc relativement récentes. Ces travaux ont été menés sur la base des déclarations de personnes contaminées, volontaires pour répondre à un certain nombre de questions par mail. Il en ressort que l'on se contamine essentiellement lorsqu'on enlève son masque pour manger et boire, à l'extérieur ou chez soi. Une partie des contaminations, notamment chez les plus anciens, provient ainsi des familles, des amis, des personnes qui viennent leur rendre visite. Les restaurants d'entreprise sont aussi possiblement un lieu de contamination.
Certains endroits, comme les transports et certains commerces, n'apparaissent pas clairement comme lieux de contamination, ce qui montre que la grande majorité de nos concitoyens font preuve d'une grande vigilance, contrairement à l'image qu'en donnent parfois les médias. Les Français ont jusqu'à présent été très raisonnables et supporté des mesures extrêmement difficiles. Ils portent le masque dans les transports, dans les commerces.
Il apparaît que plus une mesure peut s'appuyer sur une donnée scientifique, permettant de raconter l'histoire à nos concitoyens et d'expliquer les raisons pour lesquelles elle est prise, plus elle est crédible et participe d'un climat de confiance. Malheureusement, les données dont nous disposons pour la Covid-19 sont relativement récentes, y compris sur cette question simple relative aux lieux propices à la contamination. Comme vous le savez, la contamination s'effectue par voie aérienne et tactile, d'où l'expression des mesures de protection. Ces trois études sont concordantes. Celle conduite par Arnaud Fontanet s'est déroulée sur les périodes allant du 1er au 15 octobre, puis du 1er au 15 décembre. Elle se poursuit actuellement, en phase de couvre-feu. Les résultats sont robustes, puisque l'on trouve à chaque fois les mêmes résultats.
Concernant les flux et les transports, il est évident que chaque rassemblement multiplie le risque de transmission. La situation en France est très contrastée : alors que la circulation reste autorisée entre les régions, certaines sont beaucoup plus touchées que d'autres. Ceci est en partie lié au phénomène des grandes métropoles, mais pas seulement. L'ouest de la France est jusqu'à présent relativement protégé, à la fois vis-à-vis des variants et en termes de niveau de contamination, contrairement à la partie centrale et à la partie est du pays, beaucoup plus touchées.
Le problème des frontières est un sujet complexe. Je n'ai pas à me prononcer sur la dimension politique de cette question et me cantonnerai à son volet sanitaire, pour vous dire que le variant anglais est déjà présent en France. On peut imaginer retarder l'arrivée du variant sud-africain dans la métropole pendant un certain temps, mais il est évident qu'il va finir par arriver. Jusqu'à présent, les pays africains étaient très peu concernés par la contamination, si bien qu'il n'y avait aucune raison de couper les liens entre l'Afrique du sud ou le Mozambique et Mayotte et La Réunion par exemple. Le virus est transporté par les humains, qui ont des contacts mutuels : faut-il par conséquent bloquer l'ensemble de la circulation pour limiter sa dissémination ? Il s'agit d'une décision éminemment politique, sur laquelle je ne me prononcerai pas.
Une question, en lien avec la notion de souveraineté, concernait le financement de la recherche en France et le fait que les équipes françaises n'avaient pas mis au point de vaccin. Cette question renvoie à la fois à la situation de la recherche académique, mais aussi à l'écosystème des start-up et aux big pharma. Il y a en France une très grande entreprise big pharma, Sanofi, pourtant spécialiste des vaccins, dont les travaux visant à la mise au point d'un vaccin contre le coronavirus ont, pour des raisons diverses, connu un départ difficile. Notre pays n'est donc pas au rendez-vous, au moins dans l'immédiat. Rien n'indique toutefois que nous ne serons pas au rendez-vous à l'automne prochain. Pour l'instant il est vrai, les vaccins, issus de recherches académiques (on pense au vaccin d'AstraZeneca élaboré avec les équipes d'Oxford) ou de start-up (comme BioNTech avec Pfizer), n'impliquent pas d'équipes françaises. Sans doute savez-vous par ailleurs que les travaux portés par l'Institut Pasteur et le laboratoire Merck sur un vaccin porté par le virus de la rougeole ont été arrêtés, car les premiers résultats n'étaient pas suffisamment solides. Ce sont les aléas de la recherche. Est-ce lié à un problème de financement de la recherche ? Je ne souhaite pas entrer dans ce débat. Sachez seulement que la France est en cinquième position en termes de publications sur la Covid-19 depuis le début de la pandémie. Ce classement, issu d'une étude bibliométrique réalisée par REACTing et l'Inserm, est assez habituel pour notre pays en matière de recherche en biologie.
Madame Meunier, nous nous sommes côtoyés au sein du CCNE et vous savez donc que les thèmes de la démocratie sanitaire et de la communication me sont chers, avec le triangle dessiné par le politique qui décide, le scientifique qui éclaire et le citoyen qui participe à la réflexion. La notion même de démocratie en santé est construite sur ce schéma. Or il faut reconnaître qu'elle n'a pas été véritablement au rendez-vous au cours de cette crise, pour diverses raisons tenant notamment à la sidération et à une gestion souvent top down en situation d'urgence. Je le déplore. Le Conseil scientifique avait souhaité que soit constitué un comité citoyen de liaison. Ceci a finalement été fait autour du vaccin, avec un certain retard. Il m'apparaît important de souligner que cette démarche a été mise en œuvre en région, ce que je trouve très intéressant : des comités citoyens ont ainsi été formés, en relation avec des scientifiques, à Grenoble, Lyon, Strasbourg, Rennes, bientôt Paris. Dans ce cadre, des discussions se nouent avec les autorités régionales, les maires, les responsables de grandes métropoles. Cette dynamique existe donc, même si elle a tardé à se mettre en place.
Je souhaite revenir sur les questions de communication et mes propos sur l'urgence et l'extrême urgence. Je maintiens ma position. Le Conseil scientifique n'a jamais recommandé d'entrer dans le confinement dès début janvier. Nous avons simplement invité les autorités à une vigilance accrue et à une surveillance active, afin d'observer d'éventuelles conséquences des fêtes de fin d'année. À partir de mi-janvier, nous avons évoqué différents scénarios, en fonction de l'arrivée des variants. Actuellement, les services de réanimation ne sont pas saturés. On perçoit bien la tension existant entre une vision strictement sanitaire consistant à agir vite pour éviter un « drame » mi-mars ou fin mars et l'attention portée à d'autres aspects, dont la santé mentale des plus jeunes ou l'acceptabilité des mesures par la population, qui devient de plus en plus difficile. De telles décisions méritent d'être réfléchies, construites. Le médecin que je suis considère qu'il existe une différence entre le cas d'un jeune de 18 ans qui vient d'avoir un accident sur le périphérique et dont la situation nécessite l'intervention de trois équipes chirurgicales pour l'opérer dans l'heure et un autre cas, certes difficile, requérant le recours à une IRM, à des examens radiologiques, mais pour lequel on dispose de plusieurs jours pour établir un diagnostic. Il faut distinguer urgence et extrême urgence. En l'occurrence, il est urgent d'agir, dans un délai d'une semaine.
Les conséquences du Covid – ou « Covid long » – sont également une question intéressante, un peu moins présente aujourd'hui dans l'actualité. Des recherches sont en cours sur le sujet. Plusieurs cohortes de suivi des patients Covid ont été constituées, sous l'égide de l'ANRS-REACTing, agence de recherche créée le 1er janvier. Sont ainsi étudiées les conséquences pulmonaires, mais aussi cardiovasculaires, neurologiques et psychiques de la Covid-19. Un colloque sur le Covid long devrait être organisé d'ici le mois de mars par l'ANRS-REACTing, si la situation le permet. Des liens sont par ailleurs établis entre les résultats de ces travaux et les données obtenues par nos collègues allemands et anglais. Il est en effet très important, en recherche opérationnelle comme dans le cadre du Conseil scientifique, d'avoir de multiples relations avec les équipes étrangères. J'ai consacré l'essentiel de mon temps au cours des quinze derniers jours à des échanges avec les collègues anglais, sud-africains, brésiliens et californiens, pour obtenir le maximum d'informations.
Dispose-t-on d'une évaluation des politiques publiques ? Est-on en capacité de connaître l'impact d'un couvre-feu à 18 heures, d'un confinement strict ou allégé ? Cette question est d'autant plus difficile dans un contexte de crise que l'évaluation de politiques publiques n'est pas dans les habitudes françaises. Des dispositifs ont toutefois été mis en œuvre en ce sens. Nous avons par exemple désormais, dans plusieurs territoires, un certain recul sur l'expérience du couvre-feu à 18 heures, qui montre une relative efficacité sur la circulation du virus en général, mais aucune sur la pénétration et la circulation des variants. En d'autres termes, le couvre-feu permet dans une certaine mesure de contrôler la circulation du virus. Ceci ne se vérifie toutefois pas dans l'ensemble des zones, comme en régions PACA ou Franche-Comté où la circulation virale n'est absolument pas contrôlée par le couvre-feu à 18 heures, et a fortiori la pénétration des variants.
Une stratégie de territoire pourrait-elle être mise en œuvre ? La réponse est affirmative. Une telle politique a toutefois été peu appliquée jusqu'à présent. Le Conseil scientifique a recommandé qu'elle soit l'un des scénarios envisageables : il s'agirait d'associer un couvre-feu strict, y compris pendant le week-end, avec un confinement dans certaines régions particulièrement touchées. Une telle démarche est possible, à condition d'être clairement expliquée. Il est en effet essentiel de communiquer sur les critères, indices et marqueurs utilisés pour déterminer les régions auxquelles s'appliquerait le confinement. Un marqueur très important dans les semaines à venir sera le pourcentage des variants présents dans telle ou telle zone. La décision d'une stratégie plus globale à l'échelle de l'ensemble du territoire est également une option entre les mains du politique.
Parmi les questions que vous avez relayées figure celle, très intéressante, des traitements, à un moment où l'attention est portée sur les vaccins. Je crois beaucoup à l'arrivée des traitements. Les vaccins vont permettre de protéger les plus anciens contre les formes graves, mais tous ne seront pas protégés. Que faire pour ceux qui n'auront pas bien répondu au vaccin ou qui n'auront pas été vaccinés ? L'une des solutions ne consisterait-elle pas à traiter immédiatement les plus anciens, de façon à réduire la morbi-mortalité ? Dispose-t-on des outils pour cela ? Pendant longtemps, aucun traitement n'était disponible. Le Conseil scientifique avait abordé le sujet dans un avis de juillet, après avoir examiné les résultats des grands essais internationaux : il n'existait alors pas de médicament spécifique ayant fait la preuve d'une efficacité directement dirigée contre la Covid-19. Ceci est vrai pour l'hydroxychloroquine, le remdesivir ou les anciens traitements du VIH comme le kaletra.
Quelles sont les nouvelles dans ce domaine ? Nous disposons désormais de cocktails d'anticorps monoclonaux, dirigés contre certaines protéines du virus, dont la protéine Spike, qui viennent de faire la preuve de leur efficacité dans le cadre de trois essais, à condition d'être prescrits très tôt. L'un des vrais enjeux des traitements réside non seulement dans les molécules que l'on utilise, mais aussi dans le moment où on les administre. Cette maladie compte une phase virale, puis inflammatoire et prend parfois une forme grave. Or administrer les anticorps monoclonaux de façon précoce permet de bloquer la multiplication du virus.
Un deuxième traitement envisagé pourrait reposer sur l'interféron alpha ou bêta, sur lequel une série d'essais démarre actuellement suite à des études physiopathogéniques menées par le Français Jean-Laurent Casanova. Celui-ci a pu mettre en évidence un mécanisme de défaut de production de l'interféron, en particulier dans les formes graves.
Nous connaissons également une ou deux nouvelles molécules de deuxième ou troisième génération, directement ciblées contre le virus lui-même, qui sont en phases de test 1 et 2. Je ne peux rien en dire de plus, si ce n'est que des recherches sont en cours dans ce domaine.
Des stratégies pourraient enfin s'appuyer sur les sérums issus de convalescents ou de patients vaccinés ayant développé une réponse immunitaire extrêmement forte.
Les données sur l'utilisation de vitamine D ne sont pas nombreuses. Il s'avère néanmoins que les sujets âgés sont généralement en carence de vitamine D durant la période hivernale. Il peut donc être utile, à condition de ne pas dépasser certaines doses, de prendre raisonnablement une ampoule de cholécalciférol une fois par mois : ceci peut contribuer à la lutte globale contre le virus. Il convient toutefois d'être prudent et de ne pas prendre de vitamine D tous les jours, afin de ne pas risquer une intoxication.
Les avis du Conseil scientifique sont parfaitement accessibles au grand public sur le site du ministère de la santé et les bibliographies des études épidémiologiques sur lesquelles nous nous appuyons sont généralement jointes à ces avis. Le site de l'Institut Pasteur, où travaille l'un des modélisateurs membre du Conseil scientifique, met par ailleurs à disposition du public, depuis le début du mois de décembre, les calculs d'incidence et d'hospitalisations.
Confiner les plus âgés est un débat difficile. Je présenterais les choses différemment : dans le contexte actuel, il pourrait être proposé aux personnes les plus âgées et les plus fragiles d'effectuer une sorte d'autoprotection individuelle, à charge pour elles de prendre la décision de suivre ou non cette recommandation. Cette proposition devrait s'accompagner d'une information sur le fait que la contamination ne survient pas uniquement à l'extérieur, mais est possible chez soi, lorsque l'on accueille des personnes sans prendre de précaution. Il n'est bien sûr pas question de couper les anciens de leur tissu social, mais il faut leur rappeler l'importance des règles de protection, y compris chez eux et notamment au moment des repas.
Une telle stratégie serait-elle suffisante ? La réponse est non, car il existe en France, fort heureusement serais-je tenté de dire, une porosité entre les générations les plus jeunes, les parents et les grands-parents. Ceci est humain. Or, à partir du moment où la circulation du virus dans la population jeune est importante, cette porosité conduit à une transmission progressive à la population la plus âgée. Nous disposons de données mettant en évidence ce phénomène au mois de septembre dans un certain nombre de grandes métropoles : au départ, la circulation du virus et la transmission ne s'effectuaient qu'au sein de la population jeune, avant de toucher progressivement les plus âgés. Je rappelle que la Suède, qui avait adopté l'attitude consistant à « laisser vivre » les jeunes en auto-isolant plus ou moins les personnes âgées, a effectué voici deux mois un virage radical de sa stratégie.
Plusieurs questions portaient sur le complotisme et les éventuels conflits d'intérêts au sein du Conseil scientifique. Ne confondons pas conflit et déclaration d'intérêts. J'ai demandé à l'ensemble des membres du Conseil scientifique d'effectuer des déclarations d'intérêts ; ceci figure dans le règlement intérieur de l'instance, publié sur le site. Ceci n'était pas un enjeu majeur, notamment dans la mesure où nous ne nous sommes qu'assez peu intéressés aux traitements, comme je vous l'indiquais précédemment. J'ai néanmoins demandé à deux ou trois membres du Conseil, quand il était question de traitements dans nos débats, de se retirer de la discussion, de se mettre en déport. Je déclare que je n'ai moi-même pas de conflit d'intérêts.
Je vous informe enfin que je me suis fait vacciner. J'ai 72 ans et je ne fais donc pas partie des personnes prioritaires en raison de leur âge ; mais ayant une consultation à l'hôpital Bicêtre, c'est au titre de soignant que j'ai pu recevoir une première injection du vaccin Pfizer.
Je pense avoir répondu à la quasi-totalité de vos questions.