Intervention de Charlotte Dunoyer

Réunion du jeudi 18 février 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Charlotte Dunoyer, chef de l'unité d'évaluation des risques liés à la santé, l'alimentation et au bien‑être des animaux, ANSES :

. ‑ Il me revient de vous présenter les résultats d'un rapport de l'ANSES de 2015 intitulé « Approfondir l'expertise scientifique relative aux conséquences sur la santé animale et sur les performances zootechniques des champs électromagnétiques extrêmement basses fréquences ». Les champs électromagnétiques visés sont ceux des lignes à haute tension et à très haute tension. Cette étude s'est focalisée sur les animaux d'élevage.

La méthode d'expertise fait appel à différents outils, dont une analyse approfondie de la littérature – 300 publications analysées – et l'audition des parties prenantes (le GPSE, Réseau de transport d'électricité (RTE), les organisations professionnelles agricoles de la Manche, etc.). Un vétérinaire géobiologue a également été auditionné pour comprendre cette discipline et son approche du problème. Cette saisine a aussi mobilisé une convention recherche et développement pour acquérir des données nécessaires pour l'expertise.

Ce travail d'approfondissement de l'expertise scientifique a été décliné en deux volets : caractériser l'exposition des animaux d'élevage aux champs électromagnétiques ; définir si cette exposition peut générer des effets.

Face à la faiblesse des données existantes sur les animaux d'élevage, nous avons dû mettre en place une étude exploratoire. Nous avons ainsi relevé des données d'exposition aux champs électromagnétiques en bâtiment et à l'extérieur dans 10 élevages de porcs, 10 élevages de bovins, 9 exploitations de poules pondeuses et un couvoir. 17 de ces exploitations se situaient à proximité de lignes à haute tension et 13 se situaient à l'écart total des lignes à haute tension.

Les bovins ont été équipés d'appareils portables afin d'enregistrer le champ électromagnétique auquel ils étaient exposés tout au long d'une journée. L'objectif était de connaître les sources des champs électromagnétiques dans les élevages, leur intensité et la durée d'exposition des animaux.

Il a été montré que les bovins sont exposés à des champs électromagnétiques au cours de la journée. Lorsque les animaux pâturent dans une exploitation proche de lignes à haute tension, l'exposition aux champs électromagnétiques augmente. Cette exposition varie en fonction du parcours de l'animal et des sources des champs électromagnétiques. Les niveaux d'exposition sous les lignes de transport d'électricité n'ont jamais excédé 3,5 microteslas dans les conditions de mesure.

La convention recherche et développement nous a ainsi permis de montrer qu'il est possible d'identifier les principales sources d'exposition aux champs électromagnétiques, d'en mesurer les niveaux ainsi que leurs variations en fonction de l'activité des animaux. Les champs magnétiques mesurés sous les lignes de transport d'électricité ont une intensité comprise entre 0,01 et 7,59 microteslas, ce qui reste conventionnel d'après les physiciens. Les champs électriques sont compris entre 46 et 5 060 volts par mètre. Les champs magnétiques sont globalement inférieurs à 3 microteslas dans les bâtiments d'élevage. Certaines sources internes aux élevages peuvent atteindre jusqu'à 25 microteslas à proximité de certains équipements : ceux‑ci se trouvent néanmoins rarement à grande proximité des animaux. Ces champs magnétiques sont comparables à ceux mesurés auprès d'équipements domestiques courants.

Ces premières mesures ne sont bien entendu pas représentatives de toutes les populations d'élevage et de toutes les lignes électriques de France. Les experts avaient recommandé de poursuivre l'étude à grande échelle pour mieux quantifier cette exposition et pouvoir l'utiliser dans le cadre d'études épidémiologiques.

Les experts ont ensuite orienté leur travail sur l'analyse des articles scientifiques avec comme thématiques : les aspects neurophysiologiques et comportementaux des animaux soumis à des champs électromagnétiques ; les performances zootechniques et les impacts sanitaires éventuels ; les mécanismes physiologiques et neuro-comportementaux de l'effet des champs électromagnétiques sur différents points physiologiques des animaux.

Seul l'effet indirect des champs électromagnétiques, lié aux courants parasites, a fait l'objet d'études nombreuses et convergentes. Les courants induits par les champs électromagnétiques peuvent en effet circuler dans des équipements métalliques qui ensuite créent des tensions auxquelles l'animal peut être confronté. Les études concluent bien à des réponses de stress modéré à sévère en fonction de la résistance intrinsèque des espèces et de chaque animal.

Les courants parasites peuvent avoir une origine interne, liée à l'activité de l'élevage, ou externe, imputable aux lignes électriques. La contribution relative des deux sources n'est pas évaluée dans les différentes études. Des mesures de prévention existent, en lien avec la mise à la terre de l'installation et l'équipotentialité des masses métalliques.

Concernant les possibles effets directs du champ électromagnétique sur les animaux d'élevage, les données disponibles sont beaucoup trop limitées et obtenues avec des protocoles très différents : les experts n'ont pas pu conclure. Des études existent en revanche concernant des espèces modèles de rongeurs avec des variabilités qui dépendent de la durée et du niveau d'exposition. À des niveaux d'exposition très supérieurs à 100 microteslas, on peut trouver des effets de nature cognitive sur les rongeurs.

Pour les autres domaines étudiés, et faute notamment de standardisation de protocoles par ailleurs souvent imprécis, nous n'avons pu ni conclure ni interpréter les résultats. Il y a eu des études de cas dans des fermes à proximité de lignes à haute tension, notamment par le GPSE. Elles sont difficiles à interpréter en l'absence de situation de référence. Les rares études expérimentales qui peuvent montrer quelques effets ne parviennent pas à déterminer de relation dose‑effet.

Les experts ont donc recommandé la poursuite de l'effort de recherche à la fois sur la méthode et sur les sujets évoqués. Depuis 2015, cela ne semble pas avoir été beaucoup suivi d'effet, que ce soit en matière d'encouragement à la recherche ou de nouveaux programmes de recherche.

En ce qui concerne les conclusions du rapport sur l'effet des champs électromagnétiques eux‑mêmes, notamment en matière de conséquences physiologiques, toutes les tentatives visant à relier les champs électromagnétiques à des dysfonctionnements du système immunitaire ou au stress physiologique restent infructueuses. La difficulté majeure, qui demeure irrésolue, est celle de l'identification du mécanisme d'action des champs électromagnétiques sur la physiologie du vivant.

S'agissant des effets neurobiologiques, hormis les courants parasites, il ne semble pas y avoir d'effets manifestes sur le comportement des animaux aux niveaux d'exposition mesurés. Nous avons uniquement constaté une certaine dégradation des fonctions cognitives chez les rongeurs à des expositions de plus de 100 microteslas.

En ce qui concerne les performances zootechniques et sanitaires, dans des conditions semi-contrôlées ou de terrain, il ne semble pas qu'il y ait d'effets majeurs sur la fertilité. Pourtant, lors d'études contrôlées avec des expositions permanentes, des baisses de la production laitière, du taux butyreux et l'augmentation de l'ingéré peuvent être enregistrées. Chez les volailles, des effets sur le développement embryonnaire sont possibles avec des effets fenêtre. La littérature fait part également d'effets positifs des champs électromagnétiques sur la coccidiose. Tout cela nécessite d'être consolidé par de nouvelles recherches. Les études concernant le porc sont très peu nombreuses. Des effets sur les performances de reproduction semblent pouvoir être mis en évidence, mais à des niveaux d'exposition qui dépassent 1 millitesla, soit mille fois plus que les taux d'exposition mesurés dans les élevages.

Tous les détails de ces travaux figurent dans le rapport qui est disponible sur le site de l'ANSES.

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